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Critique de film
Le film

Le Démon de l'or

(Lust for Gold)

L'histoire

1949. Barry Storm (William Prince) assiste au meurtre d’un prospecteur d’or qu’il suivait au milieu de la région désertique et montagneuse de Superstition Mountain en Arizona ; il pensait que ce dernier allait le mener à la mine perdue de son grand-père. Plutôt que de continuer à la chercher seul, il rentre faire part au shérif local (Paul Ford) de sa découverte du cadavre. On lui rappelle alors la légende qui court sur ce gisement d’or découvert par des espagnols au siècle dernier. Ils n’eurent pas l’occasion d’en profiter puisque tous décimés par les Apaches qui cachèrent le filon en bouchant l’entrée de la mine. Ce trésor fut néanmoins quelques années plus tard retrouvé par un aventurier d’origine allemande sans foi ni loi, Jacob Walz (Glenn Ford). C’était aux alentours de 1870. Flashback. Ou l’on voit Jacob Walz, ancêtre de Barry, tomber sur le filon en suivant deux prospecteurs partis à sa recherche. Ou on le surprend à tuer ces deux derniers ainsi que son partenaire (Edgar Buchanan) pour ne pas avoir à partager. Ou on le voit revenir en ville où il attise les convoitises et jalousies, la ‘femme du boulanger’ (Ida Lupino) tentant alors de s’en faire aimer afin d’avoir sa part du magot. Ou l’on s’étonne de constater que cette dernière opère son petit manège sous les yeux de son époux qu’elle pousse à s’éclipser jusqu’à ce qu’elle ait réussi à mener à bien son entreprise de séduction. Ou l’on voit que le mari jaloux accepte tout sans broncher espérant au moins pouvoir récupérer quelques miettes du butin… Après que le flashback se soit terminé (sans pour autant vous en avoir narré la fin), retour au temps présent au cours duquel Barry et les autorités sont toujours à la recherche du mystérieux assassin du prospecteur d’autant qu’il n’en était pas à son premier méfait puisque pas moins de trois autres cadavres avaient déjà jonchés le sol au même endroit, aux alentours du trésor perdu…

Analyse et critique

Décidément, cette fin de décennie voit se succéder des westerns de plus en plus noir. Après avoir incarné un juge assoiffé de sans dans La Peine du Talion (The Man from Colorado), Glenn Ford endosse à nouveau la tenue d’un antihéros dur et sans scrupules. Mais alors que précédemment, le comportement sanguinaire de son personnage pouvait s’expliquer et ‘s’excuser’ par les séquelles de la guerre ayant fortement endommagées un cerveau malade, son Jacob Walz est un pur salaud sans presqu'aucune trace d'humanité, rien qui puisse nous faire ressentir de l’empathie à son égard. Culotté quand même pour l’époque de la part du réalisateur, des scénaristes et du comédien ; ça n’allait pas empêcher ce dernier de devenir l’une des plus grosses vedettes de la Columbia la décennie suivante après avoir déjà bien roulé sa bosse durant ces années 40. Malgré l’éclectisme des personnages incarnés jusqu’ici, et même s’il s’avère déjà un acteur tout à fait honnête, il ne nous a pourtant pas encore pleinement fait pressentir tout le potentiel qu’il possédait et qui allait véritablement éclater dans les années 50. Ou tout simplement son jeu allait grandement s’améliorer au fur et à mesure de l'avancée de sa carrière.

Un trésor perdu voici plus de cinquante ans. La mort mystérieuse de tous ceux partis entre temps à sa recherche. Un homme (Barry Storm, l’auteur du livre dont est tiré le film puisqu’il s’agirait de faits réels) dont le grand-père en fut un temps le propriétaire, parti à son tour en quête de ce butin. Et le spectateur de suivre ses pérégrinations, ainsi que celles de son aïeux dont il narre à un moment l’histoire. Avec Lust for Gold, nous voici de fait en présence de deux films pour le prix d’un. En effet, un très long flashback rattaché au genre western est encadré par deux sections de 15 minutes chacune (se déroulant à l’époque de la réalisation du film) typiquement ancrées dans le film noir.

Une véritable curiosité que ce dernier film de S. Sylvan Simon (qui décéda d’un infarctus peu de temps après la sortie du film), d’une noirceur d’autant plus étonnante que le cinéaste est plus connu en France pour avoir réalisé des films familiaux gentillets pour la MGM tels Le Fils de Lassie ainsi que des véhicules plutôt idiots pour Abbott et Costello. Plutôt culotté comme je le disais plus haut car si au milieu de cette 'série' de sombres westerns, le personnage interprété par Gregory Peck dans Yellow Sky, se ‘refaisait une moralité’, si celui joué par William Holden dans La Peine du talion venait contrebalancer l’homme de loi psychopathe, personne dans Le Démon de l’or pour rattraper l’autre et pas non plus les habitants de la ville, tous plus ou moins langues de vipère, idiots ou haineux ni même les autorités locales du segment moderne presque tous corrompus.

En effet, l’autre originalité de cette œuvre intrigante et âcre est qu’aucun des principaux protagonistes n’est réellement sympathique, surtout dans l’épisode westernien au cours duquel les personnages interprétés par Glenn Ford et Ida Lupino rivalisent d’ignominies et de rapacité, le spectateur se demandant constamment quel sera le plus salaud des deux, le tueur de sang-froid ou l’intrigante corrompue. Glenn Ford, plus sobre que dans La Peine du talion, ne fait pas encore dans la nuance et l’ambigüité (comme il saura si bien le faire dans 3h10 pour Yuma) mais le scénariste lui a-t-il laissé le choix en lui offrant un personnage aussi monolithique ? En tout cas, il possède un fort charisme et le voir barbu et mal rasé est assez inhabituel et renforce la virilité bestiale de son personnage. Quant à Ida Lupino, elle se révèle très bonne comédienne même si pas forcément très à l’aise lors des séquences paroxystiques du final de l’histoire centrale. Le troisième larron n’est autre que Gig Young dans le rôle de l’époux d’Ida Lupino, homme lâche et faible se laissant manipuler par sa femme tout en espérant récupérer une partie du butin. Lui aussi s'en sort d'ailleurs très bien dans ce personnage pas très gratifiant.

Notons dans les autres points très positifs un fameux casting de seconds rôles (Edgar Buchanan, présents quasiment dans un western sur deux en cette deuxième partie de décennie), une remarquable photographie contrastée d’Archie Stout (Fort Apache), une très belle exploitation des décors qu’ils soient naturels ou de studio (la scène de l’attaque indienne étant même d’une redoutable efficacité, d'une violence assez fulgurante), et les dénouements des deux segments aussi inattendus l’un que l’autre. Mais, le retour de bâton de cette noirceur constante est qu’il est quasiment impossible de s’attacher aux personnages et du coup, le climax du film (le final de la partie westernienne centrale) très mélodramatique et spectaculaire manque singulièrement de tension ; on se fiche un peu de savoir qui va ou pas mal finir puisque personne ne possède un échantillon d’humanité sur lui. Le combat à poings nus au dessus des falaises escarpées du second final, même si bien plus conventionnel, contient bien plus de suspense puisque l’un des bagarreurs n’est autre que le narrateur, seul personnage fréquentable du film.

Avec un peu plus de subtilité dans l’écriture du scénario, des personnages plus fouillés et une mise en scène à la personnalité un peu plus affirmée (George Marshall, pressenti au départ pour réaliser le film, aurait-il pu mieux faire ?), nous n’étions pas loin d'un grand film. Dans l’état, Le Démon de l’or est un mélange plutôt réussi de film noir, western et film d'aventure et se révèle une œuvre très honorable méritant d’être redécouverte. Cependant, John Huston avait lancé Walter Huston, Tim Holt et Humphrey Bogart, l'année précédente, dans une "chasse au trésor" autrement plus mémorable et tout aussi rugueuse, ironique et désespérée (Le Trésor de la Sierra Madre). Néanmoins, un divertissement assez original pour mériter d’être conseillé et dont l’intrigue et le décor sont ainsi savoureusement décrits par le narrateur dès l’ouverture : "A Biographie of a Death trap in Satan's Private Art Gallery" !
 

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 25 septembre 2006