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Critique de film
Le film

Le Cygne Noir

(The Black Swan)

L'histoire

Le roi d'Angleterre décrète l'amnistie de tous les pirates du royaume s'ils s'engagent à renoncer au crime. Sa respectabilité retrouvée, le pirate Morgan devient gouverneur de la Jamaïque. Son ami James Haring, considérant ce revirement comme une trahison, rejoint l'équipage du réfractaire capitaine Leech. Haring tombe alors amoureux de Margaret Denby, la fille de l'ancien gouverneur, et décide de changer de vie. Il s'oppose dès lors à son ancien allié.

Analyse et critique

Le Cygne Noir est une réponse de la Fox à la Warner qui avait triomphé tout au long des années 30 avec d’époustouflants films d’aventures signés du duo Michael Curtiz / Errol Flynn. C’est d’ailleurs plus précisément aux films de pirates de la Warner - Capitaine Blood (1935), L’Aigle des mers (1940) - que Darryl Zanuck cherche à faire concurrence et verra pour ce faire les choses en grand. Le film adapte ici un roman de Rafael Sabatini (en réalité la trame fut grandement remaniée, ne conservant que le personnage de Henry Morgan au final), un auteur auquel le cinéma d’aventure doit une fière chandelle puisque de ses écrits furent tirés les titres précités mais également les deux versions de Scaramouche. Le Cygne Noir se démarquera de ses prédécesseurs par sa magnificence affichée avec le choix de la couleur, où la photo chatoyante de Leon Shamroy saura mettre en valeur la luxuriance des décors et des costumes.


Le choix de Henry King à la réalisation (plutôt qu’un Henry Hathaway, autre réalisateur majeur de la Fox qu’on associe plus - Peter Ibbetson (1935) étant l’exception qui confirme la règle - à un pur cinéma d’action quand un certain raffinement est recherché ici) se révèle particulièrement judicieux tant le réalisateur est durant cette période associé à des films historique prestigieux comme Capitaine de Castille (1947) ou Échec à Borgia (1949), tous deux avec Tyrone Power d’ailleurs. Le dépaysement et l’aventure doivent ainsi s’exprimer dans un apparat inédit qui doit surclasser la Warner. Une démarche opportuniste mais réussie à l’image du héros du film, ce Jamie Waring qui va abandonner du jour au lendemain sa tapageuse carrière de pirate pour suivre son ancien mentor le Capitaine Morgan (Laird Cregar), gracié et promu gouverneur de la Jamaïque. Le film s’ouvre néanmoins sur un moment d’action fulgurant où Waring se montre sous son ancien jour criminel en dépouillant un fort espagnol. Le temps des corsaires semble pourtant révolu avec la paix signée entre l’Empire britannique et l’Espagne ; et Jamie, pragmatique, va se ranger du côté de son ami quitte à se mettre ses anciens complices à dos comme le redoutable Capitaine Leech (George Sanders, loin des dandys suaves qu’on lui connaît et sacrément intimidant, chevelure et barbe rousse hirsute). On semble ici loin de la droiture propre aux héros à la Errol Flynn mais le charisme de Tyrone Power estompe toute méfiance, d’autant que le moteur de ses choix semble plutôt être les charmes de Margaret (Maureen O’Hara), la fille de l’ancien gouverneur. Leur relation orageuse constituera l'un des grands attraits du Cygne Noir et le versant sentimental d’un des thèmes du film.

L’histoire dépeint ainsi un complot des anciens maîtres et nobles "de souche" pour destituer du pouvoir le nouveau riche qu’est le gouverneur Henry Morgan. En s’alliant avec les pirates toujours actifs et en leur donnant des informations sur les cargaisons à venir, ils décrédibilisent le gouverneur en laissant croire qu’il n’a jamais réellement abandonné ses anciennes activités. C’est un refus de ce monde changeant où la piraterie est amenée à disparaître et les hors-la-loi rentrent dans le rang. Laird Craigar, engoncé dans des tenues élégantes, affublé d’une perruque ridicule et nageant dans son fauteuil de gouverneur, exprime bien cette difficile transition. Les attitudes rustres prêtes à ressurgir malgré le prestige de sa fonction sont sources de nombreux sourires, l’acteur imposant une présence tout à la fois ogresque, chaleureuse et paternelle envers Jamie. Si cette question reste en toile de fond au niveau politique (le film se concluant sans même que le traître n’ait été confondu...), elle s’exprime à plein dans la trame amoureuse. On nage dans la screwball comedy des plus musclée où, sous la distinction, le caractère orageux de Maureen O’Hara fait des étincelles face à la présence animale de Tyrone Power. Ce dernier incarne une virilité agressive qu’il devra doser pour conquérir le cœur de Margaret après une première rencontre tumultueuse.


Il fallait bien le tempérament volcanique de Maureen O’Hara pour éviter au film de basculer dans le machisme tant certaines situations semblent outrancières. Les dialogues évoquent des échanges de filles contre des tonneaux de rhum, Jamie fait la cour à Margaret en lui parlant de ses dessous, en regardant sous ses jupes puis excédé par tant d’hostilité (on se demande bien pourquoi) va tout simplement l’enlever et l’emmener sur son bateau. Le méchant Leech n’a guère plus de tenue, réveillant une fille en lui versant du rhum sur son visage ou vérifiant de manière insistante que l’union entre Jamie et Margaret a bien été consommée. Le cheminement est donc le même pour Jamie, qui devra montrer ce qui le différencie de ses patibulaires acolytes (Thomas Mitchell et Anthony Quinn grimés en seconds rôles savoureux) en se comportant noblement et en respectant son aimée. Entretemps, les remarques acerbes auront fait office de mots doux entre eux et les empoignades, coups de pierre et griffures auront remplacé les baisers. Il faudra attendre l’ultime séquence pour voir une vraie scène d’amour, la seule présente précédemment étant une imposture et une entorse audacieuse au Code Hays puisque notre couple est forcé de partager le même lit pour faire croire qu’ils sont mariés.


Le rythme alerte, l’intrigue prenante et ce charivari amoureux font ainsi oublier que l’action ne daigne vraiment se dévoiler que dans un final impressionnant. Hormis quelques plans d’ensemble sur les navires - récupérés du Lady Hamilton (1941) d’Alexander Korda - en mer le tournage se fit essentiellement en studio pour des morceaux de bravoure grandioses. La mise en scène de Henry King donne une sacrée ampleur à l’ensemble (ces plans en plongée du Black Swan se fracassant contre la terre), Tyrone Power bondissant porte l’estocade avec une vigueur et une souplesse démentes, notamment lors du duel final avec Sanders au découpage parfait. La mélancolie du Capitaine Morgan se mêle au baiser enfin sincère et fougueux entre Margaret et Jamie dans un beau coucher de soleil final, le crépuscule de la piraterie laissant place à la civilisation par le plus beau des motifs : l'amour.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 20 janvier 2015