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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Coup de sirocco

L'histoire

Albert (Roger Hanin) et Marguerite (Marthe Villalonga) Narboni vivent paisiblement dans une petite ville d’Algérie alors que le pays est encore une colonie française ; petits épiciers de quartier, ils participent activement à la vie locale et suivent d’assez loin les évènements qui mèneront à l’indépendance en 1962, année durant laquelle ils sont plus ou moins forcés de rejoindre la métropole avec leur adolescent de fils, Paulo (Patrick Bruel). C’est évidemment un grand déchirement pour la famille de quitter la terre natale, d’autant plus qu’ils ne sont pas accueillis avec une grande chaleur que ce soit à Marseille ou à Paris où ils vont tenter tant bien que mal de s’intégrer. Après pas mal de désillusions, grâce à leur courage et à leur ténacité, ils y parviendront néanmoins...

Analyse et critique


Alexandre Arcady, alors jeune directeur de théâtre, décide de se lancer dans le cinéma vers la fin des années 70 pour nous raconter son enfance en Algérie au sein d’une famille de pieds-noirs forcée après la déclaration d’indépendance de 1962 de s’exiler en "métropole". Un premier film très largement autobiographique qu’il eut l’idée de réaliser pour rapporter à sa mère « les photos de son pays, de son enfance, de sa vie », en en profitant pour lui rendre un vibrant hommage. Le premier scénario écrit par Arcady lui-même en collaboration avec Jean Pélégri était d’une profonde noirceur, plus violent et plus dur que le résultat que l’on verra à l’écran, « sans la moindre place à un espace de sourire et de plénitude. » Michel Piccoli et Guy Bedos avaient été pressentis pour le distribution. Daniel Saint-Hamont, qui venait d’écrire un livre pas encore publié sur le même sujet, le fait lire en primeur à Arcady ; les deux hommes ont l’agréable sensation d’avoir vécu exactement les mêmes choses et avec les mêmes personnes, sauf que l’un les raconte d’une manière dramatique alors que l’écrivain trouve un style beaucoup plus léger. Ce dernier estimant que l’on peut dire des choses difficiles avec un peu d'humour, et le producteur Gérard Lebovici approuvant certainement avec soulagement, ce sera le ton finalement adopté pour ce Coup de sirocco puisque le réalisateur novice décidera d’adapter le livre de Saint-Hamont plutôt que de partir de sa première mouture qui lui avait fait pourtant obtenir l’avance sur recettes.

Il semble qu'il s'agisse du premier long métrage sur la déchirure vécue par ces pieds-noirs après qu’ils soient contraints de quitter leur beau pays ensoleillé. Pour l'anecdote, la première demi-heure ne pourra pas être tournée en Algérie, les équipes techniques et artistiques s'étant alors repliées sur la Tunisie. Cette partie nous dépeint avec force ellipses la jeunesse heureuse et insouciante du timide Paul, qui vit dans une famille très extravertie entre un père à la faconde haute en couleurs et une mère aussi aimante que maladivement possessive - qui n'a pas non plus sa langue dans sa poche et brasse beaucoup de vent. Une chronique douce-amère se met en place mais, d’emblée, quelque chose empêche de nous y immerger et de vraiment y adhérer malgré l’évidente sincérité du réalisateur. Celui-ci fait lui-même la voix off sans jamais nous convaincre tellement elle ne sonne pas très juste, bien trop "écrite" et antinaturelle y compris dans ses maladresses voulues de vocabulaire, de syntaxe et de grammaire. Le scénario s’avère dès le début mal charpenté et manquer de rigueur, la mise en scène d’inspiration. L’ensemble fait penser, plus qu'à un long métrage maîtrisé, à une succession de vignettes/sketchs plus ou moins drôles ou attachants faute à un évident manque de liant entre les séquences, à un défaut de fluidité dans l’écriture.


Après ces heureuses années d'insouciance, ce sera le départ forcé de ces familles modestes qui en restant sur place se seraient mises en danger, le déchirement du fait de devoir quitter le pays dans lequel elles ont toujours vécu avec bonheur, le choc culturel qui découle de modes de vie totalement différents entre l’Algérie et la France. On assiste alors à l’arrivée de ces familles de "migrants" exclus de leur patrie, immédiatement mal acceptées, méprisées et surtout accueillies avec une grande hostilité. La séquence du guichetier marseillais qui leur dit que l’on ne peut pas accepter toute la misère du monde, les nouveaux arrivants allant prendre le travail des "vrais" Français de la métropole... fait énormément écho avec notre époque contemporaine. La force de ces juifs pieds-noirs qui n'ont plus de chez-soi nulle part va résider dans l’unité, le courage, la fierté et le communautarisme. Les auteurs aborderont les problèmes de ces déracinés pour se reloger, se réinsérer et trouver du travail, tout cela s’avérant assez difficile face à l’attitude dédaigneuse et condescendante des "Français" à leur égard... tout cela pourtant dépeint par un ton toujours aussi débonnaire.

Cette partie rapidement marseillaise puis longuement parisienne n’arrive malheureusement pas plus à décoller que la précédente, jamais vraiment désagréable mais jamais non plus captivante. Les mêmes défauts se font jour : l’impression de regarder plus, qu’un film de cinéma, une suite de vignettes comme on en trouve désormais dans les séries comiques françaises d’après 20 heures. Il faut dire que la mise en scène d'Arcady n’est pas vraiment enthousiasmante même s’il l’avoue lui-même, ce n’était absolument pas sa priorité à l’époque. Le réalisateur ne s’intéressant alors pas à la technique, préférant surtout se concentrer sur la direction d’acteurs ; sauf que cette dernière ne s'avère pas non plus totalement convaincante ! Outre toute une galerie de seconds rôles qui resteront fidèles au réalisateur, on trouve Patrick Bruel dans son premier rôle au cinéma avant la carrière que l’on connaît, réussissant dans tous les domaines, bien meilleur comédien qu’on a voulu le dire. L’entendre raconter cette première expérience au cinéma dans un bonus inclus dans le Blu-ray est un véritable régal tellement l’homme est drôle et sympathique, nous faisant regretter n’avoir pas pris plus de plaisir à la vision dudit film. Il interprète ici le jeune homme qui narre cette chronique, adolescent timide assez charmant mais à qui l’on a bien du mal à s’attacher tout simplement par le fait que son personnage n'est paradoxalement pas spécialement mis en avant. Il faut dire que le duo qui interprète ses parents est tellement expansif qu’il parait un peu écrasé à leurs côtés.


Le duo Roger Hanin / Marthe Villalonga est, comme nous pouvions aisément le deviner, gouailleur et haut en couleurs, les deux comédiens forgeant dès lors la plupart des personnages qu'ils auront à interpréter par la suite, quasiment tous interchangeables, ceux de pieds-noirs chaleureux, volubiles et exubérants. Le premier à la faconde "pagnolesque" et à l'ample gestuelle ; la seconde, mère possessive, susceptible et constamment excitée. Ils nous font parfois rire ou sourire, et le Narboni de Roger Hanin n’est pas sans rappeler l’affable et jubilatoire Roger Karbaoui dans Le Sucre de Jacques Rouffio. Ils peuvent néanmoins parfois aussi agacer par le fait d’être sans cesse en train de brailler, l’écriture de leurs personnages n’étant pas plus nuancée et subtile que la plupart de ceux qui les entourent. A signaler une jolie performance de Michel Auclair même si sa scène finale - que je m'abstiendrai de raconter, s'agissant du seul véritable spoiler du film - n’est guère crédible, faute une fois encore à des dialogues parfois trop écrits, manquant de spontanéité et de naturel, neutralisant ainsi toute force émotionnelle.

Non pas que ce long métrage soit désagréable à regarder, mais l'on a beaucoup de mal à s’attacher à des personnages certes extrêmement sympathiques mais aussi peu fouillés, ainsi qu’à des situations aussi peu captivantes, même au sein d’une chronique qui n’a certes pas pour ambition de proposer une intrigue obligatoirement bien charpentée mais qui aurait néanmoins nécessité plus de rigueur à tous les niveaux. La sincérité et l’humanité du regard restent tout à fait louables mais ne sont parfois pas suffisantes pour rendre un film satisfaisant ; car Le Coup de sirocco, loin d'être honteux, est cependant un peu trop candide, anecdotique, décousu, plat et mal rythmé. C’est un peu dommage tellement nous aurions aimé apprécier ce film aux dignes intentions, assez unique sur le sujet du déracinement des rapatriés d’Algérie - une communauté d’environ 800 000 pieds-noirs qu’Arcady réhabilitait, elle qui avait tant été décriée - mais qui oublie presque totalement d’expliquer voire d’aborder les circonstances et les conséquences de la Guerre d’Algérie, la petite histoire pittoresque ayant entièrement phagocyté la grande Histoire à peine esquissée. Mais trêve de critiques, surtout sur un film qu'il m'est arrivé de défendre ; gageons que cette comédie tendre et  modeste, qui fut un immense succès à l’époque de sa sortie, continuera à ravir toute une génération de spectateurs. Et ce sont eux qui auront raison !


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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 4 juin 2018