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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Chouchou du professeur

(Teacher's Pet)

L'histoire

James Gannon (Clark Gable) est rédacteur en chef d’un grand quotidien new-yorkais. C’est un autodidacte qui estime que seule l’expérience compte pour faire un bon reporter et non pas la supposée efficacité d’une quelconque éducation universitaire. Il a d’ailleurs refusé - par l’intermédiaire d’une lettre cinglante - une invitation du professeur Stone à aller faire part de son expérience dans l’université où ce dernier donne des cours de journalisme. Ayant eu vent de ce refus, le directeur du journal oblige Gannon à se rendre sur place pour s’excuser afin de ne pas déplaire à un membre du conseil d’administration de l’université qui n’est autre que leur éditeur. A contre-cœur, Gannon s’exécute ; quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il constate que le professeur Stone est en fait une charmante jeune femme nommée Erica (Doris Day). Seulement, il tombe sur celle-ci alors qu’elle est en train de lire sa fameuse lettre à ses élèves pour évoquer la muflerie de certaines "reliques du passé". Étant donné la situation malencontreuse où il se trouve, et alors qu'Erica l’a pris pour l’un de ses élèves, Gannon ne cherche en aucune manière à rétablir la vérité. Au contraire, il décide de profiter de cette méprise pour lui faire comprendre à quel point elle a tort dans ses conceptions sur le journalisme. Évidemment ils vont tomber amoureux, malgré la présence d’un rival en la personne d’un séduisant professeur de psychologie, le Dr Pine (Gig Young)...

Analyse et critique

1958. Les musicals n’étant plus trop au goût du jour, c’est dans un autre registre de la comédie que la vedette féminine toujours la mieux payée de l’époque allait commencer à s’épanouir et à en devenir une sorte d’égérie : la Sex-comedy. Doris Day l’avait déjà testée l’année précédente avec pour partenaire Richard Widmark ; il s’agissait d’un film réalisé par Gene Kelly, The Tunnel of Love (Le Père malgré lui). Paradoxalement, à ce moment de sa carrière, cette première incursion dans ce sous-genre allait se révéler être son plus mauvais film, une comédie pas très drôle faute surtout à l’indigence de la mise en scène et à un Richard Widmark absolument pas convaincant et semblant très mal à l'aise, ce dont il ne fut d’ailleurs pas dupe puisqu'il a par la suite reconnu son incompétence dans ce domaine. Teacher’s Pet est donc la première très belle réussite parmi les comédies non musicales tournées par Doris Day. Et cela n’allait pas être la dernière, la plupart de celles pour lesquelles elle aura ensuite pour partenaires Rock Hudson, David Niven, Cary Grant ou James Garner allaient faire partie des comédies américaines les plus amusantes des années 60. Dans Le Chouchou du professeur, elle donne cette fois la réplique à une autre immense star, non moins que Clark Gable - 57 ans, sans n'avoir encore rien perdu de sa vivacité - avec lequel elle forme ici un couple qui fonctionne à merveille et dont on regrette qu’il ne se soit pas réuni à nouveau par la suite.

Cette comédie a été réalisée par George Seaton, un cinéaste tenu en haute estime dans son pays mais au contraire - à tort à mon avis - plutôt considéré comme un tâcheron en France ; en effet, au vu de ce que j’ai pu en voir et apprécié, sa filmographie mériterait vraiment d’être redécouverte. Il commença sa carrière à Hollywood en tant que scénariste, cosignant d’emblée deux des meilleurs films des Marx Brothers de la MGM, Une nuit à l'opéra (A Night at the Opera) et Un Jour aux courses (A Day at the Races). Puis, rejoignant les rangs de la 20th Century Fox, Seaton écrivit quelques-unes des innombrables comédies musicales exotiques du studio avec souvent en têtes d'affiche Carmen Miranda, Alice Faye ou Betty Grable, ainsi que l’un des plus beaux films de Henry King, Le Chant de Bernadette (The Song of Bernadette). Passant derrière la caméra en 1945, il continuera dans la plupart des cas à scénariser lui-même ses films, ce qui était alors très rare dans le cinéma américain des studios. Parmi ses réussites, on trouve le sympathique The Shocking of Miss Pilgrim avec Betty Grable, le célèbre Miracle sur la 34ème rue avec John Payne et Maureen O’Hara - un classique de Noël - puis plus tard l’intéressant Une fille de la province (The Country Girl) avec Grace Kelly et Bing Crosby. Tout le reste est toujours aussi peu connu dans notre contrée, si ce n’est un film aujourd’hui lui aussi injustement moqué à cause des ZAZ et leur hilarante parodie - Airplane -, le pourtant toujours très efficace Airport qui obtint un immense succès mondial assez mérité.

Mais revenons-en à Teacher’s Pet, l’une de ses plus jolies réussites  -tout du moins au sein de la petite partie immergée de l’iceberg -, une comédie établie sur plusieurs bases : un quiproquo reposant sur une méprise de la charmante professeur, qui prend pour un "simple élève" le rédacteur en chef d’un grand quotidien dont elle vient de se moquer en public pour avoir refusé avec virulence de manière épistolaire son invitation à venir faire une conférence dans son université ; la traditionnelle bataille des sexes qui a toujours fait les beaux jours de la comédie américaine - assez proche ici de celles des films mettant en scène le couple Katharine Hepburn / Spencer Tracy, et pour cause, l’un des scénaristes a écrit l’un de leurs premiers films en commun, le délicieux La Femme de l’année (Woman of the Year) - avec une femme de tête au caractère bien trempé faisant vaciller l’assurance et les certitudes de son futur compagnon ; l’irruption d’un troisième larron à l’origine de quelques nouveaux quiproquos et situations savoureusement croustillants en la personne d’un psychologue "beau gosse" interprété avec une grande drôlerie par l’inénarrable Gig Young, rival d’autant plus dangereux du journaliste qu’il s’avère brillant, sachant tout faire mieux que lui (danser le mambo notamment) et qu’il peut soutenir n’importe quel sujet de conversation même sans rien en connaitre ; une petite histoire en marge de l’intrigue principale venant débuter et clore le film, celle de la mère protectrice qui supplie le patron de son fils de pousser ce dernier à poursuivre ses études - des séquences assez émouvantes  ; enfin, de longues discussions prises très au sérieux par les auteurs portant sur l’opposition des deux professionnels quant à leur manière de concevoir le journalisme, sur ce que devrait être un article ou plus globalement un journal.

C’est surtout grâce à l’ajout de cette réflexion sur le journalisme, au travers de passionnantes joutes oratoires, que Teachers’ Pet prend de l’ampleur et de la profondeur, rares étant les comédies de l’époque qui, à côté de l’habituel comique de situation basé sur des successions de quiproquos, qui se préoccupaient de sujets sérieux et abordés comme tels. Car en plus de la différence de conception du journalisme, avec d’une part le rédacteur en chef chevronné qui ne croit qu’en l’expérience pratique et dédaigne les reporters éduqués - un "mépris" peut-être dû à un sentiment d’infériorité comme il s'en confiera plus tard - et de l’autre le professeur qui prône l’éducation théorique, quelques thématiques supplémentaires sont abordées en catimini par l’intermédiaire d’une sous-intrigue, celle d’un fait divers tragique à l’origine d’un exercice de rédaction. Ses élèves devant rédiger un article sur un crime commis en pleine rue, Doris Day va mettre sur le tapis la question du fond et du journalisme d'investigation en insistant lourdement sur le fait qu’un journal ne devrait pas seulement se contenter d’énoncer des faits le plus efficacement possible mais également chercher à comprendre pourquoi on en est arrivé à une situation aussi dramatique. Au cours de cette "enquête", le progressisme des auteurs se fera jour puisque seront évoqués pêle-mêle le racisme ordinaire, la pauvreté, l’éducation, la qualité de vie au sein des grandes villes, les injustices sociales... C’est pour cette raison que certains diront avec justesse qu’il ne s’agit pas de la comédie la plus drôle ni la plus trépidante avec Doris Day mais néanmoins de l’une des plus riches sur le fond. Quoi qu’il en soit, l'actrice s’avère ici parfaite, trouvant le bon compromis entre fantaisie et retenue, Clark Gable et Gig Young lui damant même le pion au niveau du dynamisme et de l'exubérance. Enfin, pour le plaisir des yeux, Miss Day est subtilement maquillée et somptueusement vêtue par Edith Head. Une chose est certaine : elle était fin prête à poursuivre sur cette voie avec une dizaine d’autres titres à venir, certains encore plus drôles et délurés.

Voici une comédie certes candide dans ses réflexions mais cependant plus riche que la moyenne, avec des dialogues aussi amusants qu’intelligents, pleins de délectables sous-entendus sexuels, de belles performances d'acteurs qui ont tout compris du timing, un très joli noir et blanc avec en bonus une savoureuse Mamie Van Doren dans le rôle d’une chanteuse un peu écervelée qui se déhanche sur The Girl Who Invented Rock and Roll ainsi qu’une Doris Day qui interprète la chanson-titre. En attendant, George Seaton, Clark Gable, Doris Day et Gig Young nous offrent un formidable moment de gaieté et de bonne humeur non dénué de réflexions et d'un louable sens de l’éthique. Une sorte de version légère de Bas les masques (Deadline USA) de Richard Brooks, une screwball comedy au rythme bien plus apaisée que celui de His Girl Friday (La Dame du vendredi) - qui se déroulait également au sein d’une rédaction -, une comédie stylée, élégante, drôle et spirituelle... Que demander de plus ? A signaler pour ceux qui hésiteraient encore que le film fit partie d’une majorité des tops 10 de fin d’année des grands journaux américains, dont le New York Times.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 21 juillet 2017