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Critique de film
Le film

Le Barrage de Burlington

(River Lady)

L'histoire

Milieu du 18ème siècle. Dan Corrigan (Rod Cameron) est bucheron dans le Mississippi. L’hiver terminé, lui et ses hommes sont impatients de descendre la rivière sur les troncs des arbres qu’ils ont abattus afin d’aller vendre ces derniers. Ils vont enfin pouvoir prendre quelques mois de "vacances" en ville, dépenser leur salaire bien mérité dans les maisons de jeux et auprès des filles. D’ailleurs, lorsque ces "hommes des bois" arrivent en ville, les mères de famille cachent leur progéniture féminine qui risquerait sans cela d’être bien vite déshonorée. En revanche certains autres, comme les tenanciers de saloon et les commerçants, s’en frottent les mains. C’est ainsi que le "River Lady", un bateau à aube qui fait office de salle de jeux, vient accoster à ce moment-là. L’ambitieuse propriétaire, la pulpeuse Sequin (Yvonne De Carlo), n’est autre que la maîtresse de Dan. Elle est ravie de le revoir tout en souhaitant qu’il obtienne une situation plus honorable que celle de simple bucheron. Pour le faire se transformer en un gentleman à son goût et pouvoir ainsi l’épouser, par un roublard stratagème elle va en douce lui trouver un poste haut placé auprès du petit industriel H.L. Morrison (John McIntire), dont la fille Stéphanie (Helena Carter) n’est pas insensible aux charmes du vigoureux étranger. Le bucheron se trouve ainsi pris entre deux feux "féminins"... Beauvais (Dan Duryea), représentant d’un syndicat de bucherons, tente de racheter toutes les scieries florissantes afin de créer un monopole au détriment des petites entreprises privées. Partenaire de Sequin, il va néanmoins tenter de faire couler l’entreprise de Morrison qui refuse de lui vendre son affaire, d’autant que depuis l’arrivée de Dan elle rapporte plus que jamais. Dan et Sequin sont sur le point de se marier mais, apprenant cette nouvelle, Stéphanie vient apprendre à Dan comment sa promise a manoeuvré pour lui trouver ce nouvel emploi. Fou de colère d’avoir été manipulé à son insu, Dan épouse finalement Stéphanie mais n’est pas au bout de ses peines puisque Beauvais va tenter de lui mettre des bâtons dans les roues en débauchant ses hommes

Analyse et critique

1948-1952 furent les cinq années fastes en terme de réussite dans la carrière westernienne du prolifique réalisateur George Sherman qui, à cette occasion, aurait largement mérité plus d’enthousiasme à son égard dans les diverses histoires du cinéma voire même dans les différentes anthologies du genre. Si ce n’est pas le cas, c’est peut-être aussi que, fait rarissime dans les annales hollywoodiennes, n’ayant jamais donné la moindre interview il est toujours resté méconnu et obscur pour la plupart des journalistes et historiens du cinéma. Mais, grâce au DVD, cette reconnaissance tardive est enfin en train d’avoir lieu et ce n’est que justice ! Cette période bénie fut entamée avec Bandits de grands chemins (Black Bart) avec déjà le trio Dan Duryea, John McIntire et Yvonne De Carlo, tous très convaincants. River Lady, dans un ton assez approchant (jovial et sérieux à la fois), sera donc le suivant à peine trois mois après. Puis viendront d’autres excellents westerns, tous tournés pour la Universal, tels La Fille des prairies (Calamity Jane and Sam Bass), le superbe Tomahawk (probablement son chef-d’œuvre), le naïf mais sympathique Sur le territoire des Comanches (Comanche Territory) ou encore le très intéressant Au mépris des lois (The Battle at Apache Pass). C’est ensuite, dès 1954, que la carrière de Sherman se gâtera malgré encore quelques réussites éparses.



Les bucherons remplacent les cow-boys, leurs montures sont des troncs d’arbres qu’ils transportent par voie d’eau debout dessus, le convoyage du bois ayant du coup pris la place de celui du bétail ; exit les saloons à terre (quoique, la pittoresque Florence Bates en tient un et n’est pas la dernière à pousser à la consommation ses clients qui tombent comme des mouches, assommés par l’alcool) au profit des bateaux-maisons de jeux. Mais autrement, les intérieurs douillets et cossus, les bagarres hargneuses à poings nus, les jeux de cartes qui se finissent en eau de boudin, les chanteuses de cabaret gouleyantes, les beuveries et les coups de feu… tous ces éléments sont de la partie. Nous sommes donc bel et bien dans un western ; un peu trop à l’Est peut-être mais avec tous les ingrédients du genre auxquels on ajoute un aspect documentaire non négligeable et loin d'être inintéressant sur la vie des bucherons avec de superbes images de ces hommes au travail. C’est néanmoins la double romance qui bénéficie de la plus grande importance au sein de ce scénario bien écrit par D.D. Beauchamp et William Bowers, les talentueux auteurs de la majorité des westerns de Sherman à cette époque. On se met aisément à la place de Rod Cameron qui ne sait plus où donner de la tête et se retrouve devant un dilemme cornélien, à savoir décider vers qui reporter son amour entre Yvonne De Carlo et Helena Carter ; on comprend aisément que ce soit très difficile pour lui d’en favoriser l’une plus que l’autre ! En attendant qu’il prenne sa décision, les amateurs d’action seront nécessairement lésés et donc probablement déçus d’autant que la grande scène de bataille tant attendue, celle qui doit opposer les hommes de Rod Cameron à ceux de Dan Duryea au cours d’un face à face homérique, n’est pas à la hauteur de nos espérances.



En effet, si George Sherman nous aura habitués à parfaitement gérer ses séquences mouvementées, le climax de River Lady semble au contraire bâclé, la mort d’un des protagonistes principaux étant tout aussi vite expédiée que l’ample bataille convoitée. Point de rythme, des cascadeurs fatigués et un manque de vigueur flagrant rendent cette scène très décevante. Et puis, que ce soit le réalisateur ou le studio, ceux-ci ne nous avaient guère habitués à utiliser durant de nombreuses séquences en extérieurs autant de transparences aussi ratées ! Le budget aurait-il été restreint ? Quoi qu’il en soit, la réussite est quand même au rendez-vous et le convaincant duo Yvonne de Carlo / Rod Cameron peut cette fois faire montre de son talent dans un honnête divertissement, ce qui n’était pas le cas de leurs précédentes rencontres au sein du laborieux Salomé (Salome, Where She Danced) et du minable La Taverne du cheval rouge (Frontier Gal) tous deux réalisés par le médiocre Charles Lamont. Cette fois-ci le scénario est bien écrit, les dialogues savoureux, l’interprétation d’ensemble de qualité et la mise en scène plutôt bien enlevée. Plus bavard que remuant mais vraiment plaisant à suivre puisque les personnages sont bien croqués et psychologiquement assez fouillés dans l’ensemble.



Le bucheron joué par Rod Cameron (c’était d’ailleurs son métier précédent avant qu’il ne devienne comédien) n’est pas un héros comme ceux que l’on a l’habitude de rencontrer (il en sera de même dans le très bon Fort Osage de Lesley Selander) : il s’agit d’un homme modeste et pas ambitieux pour un rond, fidèle en amitié (celle qui le lie au personnage interprété par Lloyd Gough est assez bien vue), foncièrement honnête mais pas benêt pour autant ; simplement un peu naïf quant à sa fiancé, lui faisant aveuglément confiance, ce dont se moquera Beauvais, son rival, interprété avec talent par Dan Duryea toujours impeccable dans la peau de charmantes et viles canailles :
Sequin (Yvonne de Carlo): « He trusts me. »
Beauvais (Dan Duryea) : « He must have learned about women in kindergarten. »

Un homme simple et bon (capable également de sombrer dans la déprime, ce qui le rend encore plus humain) qui refuse cependant qu’on dirige sa vie, préférant gagner moins d’argent et être son propre patron ; ce qui n’est pas du goût de sa fiancée, femme d’affaires calculatrice qui refuse d’épouser un homme dont la situation sociale n’est pas assez élevée. Elle qui, fatiguée de s’être vue marcher sur les pieds toute sa vie, rêve désormais de luxe et de respectabilité avec pour but par la même occasion de se venger d’avoir été rabaissée par les honnêtes femmes : « Je veux assez d’argent pour traiter les femmes convenables comme elles m’ont traitée, comme la boue sur leurs pieds ! » Yvonne De Carlo, habituée à ce genre de rôle, s’avère irrésistible d’autant qu'elle est sublimement mise en valeur par le maquillage, la coiffure et les costumes ; les relations qu’elle entretient aussi bien avec Rod Cameron qu’avec Dan Duryea se révèlent assez savoureuses. La morale sera néanmoins sauve puisque son entêtement à modeler son futur époux à son gré se révèlera fatale pour son histoire d’amour ; et ce n’est pas faute d’avoir été prévenue : « She must accept him for what he is, not what she wants him to be. »



Mais le personnage interprété par Helena Carter est bien plus original ; on se croirait revenus au début des années 30 durant la période dite "pré-code". Stéphanie est une fille dont la mère fut trop stricte quant à son éducation, l’ayant trop cocoonée en l’empêchant de sortir jusqu’à un âge avancé. Du coup, pour se démarquer de ses parents qui voient en elle toujours une petite fille, elle se jette sur les premiers hommes qu’elle croise. Elle s'avère mutine, insolente et libertine au point de lancer à Dan, dans les bras de qui elle souhaiterait se blottir, qu’elle apprécierait beaucoup recevoir des fessées de sa part :
Dan Corrigan (Rod Cameron) : « Stevie, behave yourself or I'm going to give you the worst spanking of your life
Stephanie (Helena Carter) : « I might even like that. »

Stephanie est une fille qui n’a pas froid aux yeux mais cache derrière ce dévergondage voulu une belle sensibilité. Helena Carter aura ainsi eu l’occasion de débiter les dialogues les plus "osés" du film, ce qui est d’autant plus savoureux qu’ils contrastent avec le doux visage d’ange de l’actrice. De plus, elle tout aussi attachante quand elle se met dans la peau de l'épouse aimante.



En même temps que River Lady brosse avec saveur le portrait de quatre attachants personnages, il aborde également la lutte entre petites entreprises privées et syndicats voulant le monopole d’une activité précise. George Sherman nous délivre au passage une virulente bagarre à poings nus entre ses deux acteurs principaux, nous octroie quelques superbes travellings et autres mouvements de caméra (notamment dans sa première demi-heure) mais les amateurs de drame romantique sans conséquences devraient être plus à la fête que les "westerners" purs et durs. Mais comme des bucherons au sein d’un western, nous n'en avions pas croisés beaucoup et que nous n’en rencontrerons plus avant La Vallée des géants (The Big Trees) de Felix Feist avec Kirk Douglas, certains ont dû trouver ce western plutôt exotique et dépaysant. River Lady, cru mineur de George Sherman, est néanmoins un divertissement fort sympathique qui contient pour bonus une chanson assez dynamique chantée par Yvonne De Carlo en personne.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 22 août 2012