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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Banni

(The Outlaw)

L'histoire

Doc Holiday (Walter Huston) est à la recherche de son cheval ; il retrouve celui-ci entre les mains du jeune William Bonney alias Billy le Kid (Jack Buetel), qui dit l’avoir acheté à Santa Fé et qui refuse donc de le lui rendre. Qu’à cela ne tienne ; se prenant immédiatement d’amitié pour ce jeune hors-la-loi, Doc ne lui cherche pas noise même s’il n’aura de cesse de l’asticoter sur ce sujet. Il retrouve également son ami Pat Garrett (Thomas Mitchell), qui d’aventurier est désormais devenu shérif de la ville. Billy tue en légitime défense un homme ayant cherché à devenir un héros en tentant de l’abattre. Pat Garrett, visiblement jaloux de l’amitié qui est née entre Doc et Billy, ne veut pas croire ce dernier et, voulant l’arrêter, le blesse grièvement. Doc Holiday le transporte en cachette chez sa maîtresse Rio (Jane Russell) à qui il confie les soins du blessé. Peu de temps auparavant celle-ci avait tenté de tuer Billy, responsable de la mort de son frère. Elle finit pourtant par le sauver en le réchauffant de son corps et tombe amoureuse de lui. En rentrant, Doc est surpris de les trouver mariés mais ne s’en offusque pas malgré le fait qu’il soit un peu vexé de s’être fait prendre par Billy tour à tour son cheval puis sa femme ! Seulement, il s’avère qu’il regrette bien plus le premier. Billy veut bien faire un sacrifice et lui rendre au moins... sa femme, ne pouvant pas non plus se passer de sa monture ! Humiliée par les marchandages qui la concernent, Rio décide d’aller livrer ses deux hommes en allant révéler à Pat Garrett leur cachette. Obligés de fuir, ils se réfugient dans la montagne en emmenant avec eux la jolie métisse ; non seulement ils se retrouvent poursuivis par Pat et ses hommes mais aussi par les Mescaleros...

Analyse et critique

En 1940, le milliardaire Howard Hughes décide de produire un western mettant en scène pas moins de trois légendes de l’Ouest : Doc Holiday (l’ami de Wyatt Earp avec qui il participera au fameux règlement de comptes à OK Corral), ainsi que Pat Garret et Billy The Kid. Bien que le film ait été commencé en 1940, Le Banni ne sort sur quelques écrans américains qu’en février 1943 après un tournage épique, bien plus palpitant que son intrigue. Prévu d’avoir pour titre Billy The Kid mais devancé par David Miller à la MGM, il deviendra The Outlaw. Cela aurait dû être le premier véritable western de Howard Hawks mais finalement il lui faudra attendre Red River cinq ans plus tard. Ne supportant pas la folie des grandeurs de son producteur, ses excentriques exigences et sa mainmise permanente sur tous les aspects du tournage, le réalisateur de Scarface, L’Impossible M. Bébé (Bringing Up Baby) ou Seuls les anges ont des ailes (Only Angels Have Wings) quitte le plateau au bout de dix jours, débauchant avec lui son chef opérateur Lucien Ballard qui sera remplacé par Gregg Toland. Certains affirment que les deux hommes se sont fait virer par Howard Hughes, qui leur reprochait de ne pas assez mettre en valeur les magnifiques paysages de Flagstaff en Arizona ni les impressionnants attributs mammaires de sa jeune découverte de dix-neuf ans, la pulpeuse Jane Russell. Démission ou licenciement ? Quoi qu’il en soit, Howard Hawks est parti mettre en scène les exploits du Sergent York alors que Hughes lui-même s’est attelé à reprendre les rênes de son western atypique et iconoclaste.


D’un film censé être peu onéreux avec un budget initial estimé à 440 000 dollars, le coût total de production sera presque multiplié par dix et s’élèvera finalement à 3 400 000 dollars. Le producteur/réalisateur mégalomane fera tourner quelques séquences une centaine de fois, prendra un retard considérable, grèvera son budget publicitaire par des campagnes tapageuses destinées à lancer sa plantureuse trouvaille (il lui fait créer sur mesure un soutien-gorge mettant encore plus en valeur ses formes avantageuses), fera sauter par avance au plafond les ligues de vertu et les organismes de censure... Tout ce bruit fait autour du Banni avant sa sortie et la rumeur de scandale parfaitement orchestrée assureront finalement son immense succès. Howard Hughes rembourse sa mise peu de temps après la sortie de son western puisqu’il récolte pas moins de 5 millions de dollars dans les semaines qui suivent le lancement du film dans quelques Etats seulement. En commercial roublard et plein de ressources, Hughes ne s’arrêtera pas en si bon chemin puisque la véritable distribution du film à l’échelon national n’aura lieu qu’en 1950, après que tout le monde aura entendu parler de son statut sulfureux. Si Le Banni est passé à la postérité et demeure encore aujourd’hui si célèbre, c’est avant tout, bien plus que pour ses qualités, grâce aux nombreuses et différentes controverses qui eurent lieu avant même sa sortie sur les écrans : l’exigence de 108 coupes par le Code Hayes, la colère des organismes de censure offusqués, les quelques affiches scandaleuses reposant sur la poitrine de l’actrice...


Ceux qui ne jurent que par la véracité historique ou l’analyse des motivations psychologiques des personnages ont très certainement compris à la lecture du pitch qu’il ne fallait pas y compter avec The Outlaw ; Hollywood est habituée à violer l’histoire mais en l’occurrence il ne s’agit ici que de pure fantaisie. Qu’à cela ne tienne, ce western à moitié raté a au moins le mérite de posséder un ton unique à défaut d’un style. Se jouant des clichés du western, Howard Hughes signe une œuvre d’une misogynie ahurissante (la femme est ici bien moins considérée que le cheval) et d’une ironie constante à vrai dire assez jouissive. Le scénario de Jules Furthman est d’une hardiesse stupéfiante, mais malheureusement l’intrigue n’a absolument aucun intérêt puisqu’elle tourne principalement autour du "suspense" qui consiste à savoir qui de Doc ou de Billy finira par avoir le cheval et jusqu’où iront les deux hommes dans le fait de se moquer comme d’une guigne de la pourtant désirable Jane Russell. Les amateurs de westerns traditionnels devraient être décontenancés et un peu déçus, d’autant qu’ils constateront par la même occasion la quasi-absence d’action et de séquences mouvementées. Cela ne serait pas bien grave si Howard Hughes s’avérait doué pour la mise en scène, ce qui n’est franchement pas le cas. Entre deux fulgurances, celle-ci retombe dans la plus grande platitude ou se vautre dans le ridicule (le zoom avant sur les lèvres de Jane Russell au moment du baiser), et le rythme de son film excessivement bavard est inégal et se traîne parfois assez lamentablement surtout vers la fin. Mais le ton insolite, l’humour constant, les allusions homosexuelles et quelques éclats plastiques font oublier la prétention du cinéaste qui a cherché avant tout à choquer le Code Hayes, à adopter un constant parti pris sacrilège sans paraître s’être soucié d’autre chose hormis la poitrine de son actrice et les relations scabreuses entre ses trois protagonistes masculins.

Il faut avoir vu les scènes de jalousie que fait Thomas Mitchell à Walter Huston, le zoom artificiel sur le visage de Jane Russell, la séquence puissamment érotique au cours de laquelle elle enlève ses bas avant d’aller réchauffer le malade de son corps, le visage de Billy semblant alors faire montre de spasmes précédant l’extase, la cruauté de la tante de Rio souhaitant ardemment la mort de Billy réfugié sous son toit, la sécheresse des éclairs de violence lors des duels, le sadisme de la scène où Billy se fait arracher les deux oreilles par des balles tirées par Pat Garrett, la poussière soulevée par les cactus arrachés au lasso pour retenir les Indiens en arrière ; soit quelques plans pour se rendre compte que, malgré ses innombrables défauts, le film de Hughes mérite d’être vu au moins une fois d’autant qu’il nous montre le Billy the Kid le plus crédible jusqu’à présent. Contrairement à John Mack Brown et Robert Taylor, Jack Buetel possède un vrai visage d’adolescent et il est ma foi très à l’aise dans la peau de ce jeune homme violent, capricieux, susceptible, parfois inquiétant mais néanmoins charmant. Il est dommage que sa carrière se soit arrêtée presque net après ce rôle car ce sosie de James Stewart semblait avoir un certain potentiel. D’après les rumeurs, Buetel aurait été le jouet (dans tous les sens du terme) du producteur qui ne l’aurait même pas payé pour ce premier et quasi unique rôle. Il forme avec Walter Huston un "couple" franchement pittoresque. En revanche, Thomas Mitchell semble se demander ce qu’il fait au milieu de cette galère. Quant à Jane Russell, elle s’avère pour une fois plutôt pas trop mauvaise puisqu’on ne lui demande pas grand-chose à faire et surtout pas de débiter un long texte !


Carton rouge en revanche pour Victor Young ; on savait que la finesse n’était pas sa qualité première mais là il atteint des sommets. Sa musique est non seulement envahissante mais elle copie sans vergogne le thème principal de Stagecoach (ce ne serait encore pas bien grave puisqu’il s’agit d’un air traditionnel) et le compositeur ne se gêne pas, pour le thème d’amour, à piller à la note près un mouvement d’une des symphonies de Tchaïkovski (la moindre des choses aurait été de l’indiquer au générique). Quant à l’accentuation de l’humour soulignant à gros sabots des dialogues ironiques ou humoristiques par des "rires" de trompettes bouchées, on croyait l’entendre uniquement dans des cartoons ! Néanmoins, cette partition est à l’image du film : outrancière, surprenante et insolite à défaut d’être pleinement réussie. Même si l'on s’y est parfois ennuyé, on n’est pas prêt d’oublier la sensualité de Jane Russell et l’amitié virile et vacharde qui lie Jack Buetel et Walter Huston. Quant à la pirouette finale, elle vaut son pesant de cacahuètes et devrait faire prendre leurs jambes à leur cou aux historiens qui ont voulu rester jusqu’au bout.

La première fois, Le Banni m’avait agacé ; la seconde fois, j'ai trouvé cette blague de potaches bourrée de défauts mais au final bien sympathique. Dommage que, étant libre de droit, aucune copie ne rende justice au fabuleux travail de Gregg Toland à la photographie...


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 25 novembre 2010