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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Vallée maudite

(Gunfighters)

L'histoire

Brazos Kane (Randolph Scott), tireur d’élite, tue son meilleur ami qui venait de le défier au pistolet. Dégoûté, il décide de ne plus jamais porter d’armes, de quitter la région pour changer de vie. Il se rend dans le ranch où travaille son ami Bob Tyrell. Mais en arrivant là-bas, il assiste à son assassinat. Les notables et les hommes de loi du coin le prennent pour le coupable et il manque de peu d’être lynché, sauvé à la dernière minute par Inskip (Charley Grapewin), le petit éleveur pour qui travaillait Bob. Etant arrivé à prouver au shérif qu’il n’était pour rien dans cette affaire, Brazos décide d’enquêter lui-même et découvre très vite la vérité. Bob Tyrell avait surpris les cowboys qui travaillent pour Banner, le plus puissant rancher de la région, en train de voler des chevaux et du bétail à d’autres modestes éleveurs ; devenu un témoin gênant, il s’était fait abattre par l’homme de confiance de Banner, Brad Mackey (Bruce Cabot). Mais il se trouve que ce dernier a laissé des indices prouvant sa culpabilité et que Brazos est entré en leur possession. Alors qu'il est toujours sans armes, on va essayer de l’éliminer à son tour avant qu’il ne puisse dévoiler les malversations qu’il a mises à jour et au sein desquelles sont mêlées aussi bien Banner, la bande à Mackey que des hommes de loi corrompus. Dans le même temps, Brazos va se sentir tiraillé entre les deux jumelles de Banner qui semblent ne pas être insensibles à ses charmes, Jane (Dorothy Hart) réellement amoureuse, et Bess (Barbara Britton) minaudant pour sauver son homme qui n’est autre que... le meurtrier…

Analyse et critique

En cette année 1947, la Columbia n'a encore jamais été une compagnie très prolifique en matière de western, mais quasiment tous ceux qu'elle a produits se sont révélés de très honnêtes divertissements, le précédent ayant été le savoureux The Desperadoes de Charles Vidor. Et Gunfighters ne déroge pas à la règle. Un tireur d'élite qui décide de se ranger définitivement en raccrochant ses armes, fatigué d'être sans arrêt pris à parti par de jeunes chiens fous voulant se prouver qu’ils peuvent le défier en duel pour savoir s’ils seront plus rapides que lui : une histoire qui a été traitée à maintes reprises depuis, mais à ma connaissance le film de George Waggner la propose pour l'une des toutes premières fois. Ainsi, alors que je l’ai lu à maintes reprises, il est historiquement totalement injuste de critiquer Gunfighters pour son sujet rebattu. Et même si dans l’ensemble le film se révèle effectivement assez conventionnel, il se laisse regarder avec grand plaisir grâce au professionnalisme de toute l’équipe, du scénariste aux interprètes en passant par le metteur en scène.

Comme nous le disions ci-dessus, le thème de l’as de la gâchette déposant ses armes pour retrouver une vie apaisée était en somme tout nouveau ; mais le fait que le puissant rancher ait pour héritières deux filles l’était également car jusque-là c’était plutôt deux frères qui se disputaient la succession (voir, encore pas si éloigné dans le temps, Duel au soleil). Alan LeMay, en adaptant Twin Sombreros de Zane Grey, avait donc à sa disposition des éléments assez neufs et prouvait une fois de plus qu’il était un excellent conteur, lui qui venait déjà de signer quelques mois plus tôt le savoureux scénario de Cheyenne de Raoul Walsh et qui avait eu l’occasion de faire ses armes en écrivant de très bons scripts pour Cecil B. DeMille au début des années 1940 (Les Tuniques écarlates, Les Naufrageurs des mers du Sud...). Et George Waggner, cinéaste surtout connu pour The Wolf Man avec Lon Chaney Jr., n’est pas en reste puisqu’il nous concocte quelques cadrages assez originaux, quelques courts plans-séquences bien réfléchis, et enfin de très jolis travellings lors des très efficaces séquences de chevauchées tournées d’ailleurs sans aucune transparence, ce qui est grandement appréciable à une époque où, même pour les productions de prestige, on se sentait la plupart du temps obligé d’insérer des gros plans sur les acteurs en studio qui cassaient l’harmonie de la scène mouvementée. On peut aussi remarquer l’attention assez délicate que porte le cinéaste à la nature, filmant les arbres frémissants avec sensibilité, la bande-son étant en outre émaillée de chants d’oiseaux. Bref, ce n’est pas forcément le film totalement insignifiant mis en avant par certains car chacun s’est efforcé de dépasser le traditionnel film de série routinier. Et d’ailleurs, chose rarissime encore à Hollywood, le film commence alors que le générique se déroule, la musique de Rudy Schrager se superposant à la musique du pianiste que l’on voit de dos derrière la vitre du saloon. Quelques secondes après que le nom du réalisateur a fait son apparition, on assiste au duel qui voit Randolph Scott tuer son meilleur ami et la séquence suivante nous fait entendre en voix off le personnage de Brazos tourmenté par ses remords et ses problèmes de conscience ; encore du jamais vu dans un western même si tout cela apparaitra aujourd’hui comme négligeable.

Une solide et convaincante performance de Randolph Scott, deux actrices belles à croquer, notamment Barbara Britton que nous avions déjà croisée dans Le Traitre du Far West (The Virginian) aux côtés de Joel McCrea, un shérif ambigu et ventripotent interprété par Charles Kemper et le duo Forrest Tucker / Bruce Cabot incarnant les bad guys avec pas mal de conviction. Rien d’exceptionnel dans ce casting mais du bon travail d’ensemble rehaussé aussi par le fait que Gunfighters soit filmé dans de magnifiques paysages naturels à l’aide d’un procédé photographique encore assez inhabituel, le Cinecolor, qui avait comme particularité de rehausser les rouges, les bleus et les bruns et de faire disparaitre le vert et le jaune ; le résultat n’est pas flamboyant comme le Technicolor trois bandes mais le rendu se ,révèle assez joli, en tout cas plutôt original. Et enfin, nous devons à ce western une reconnaissance éternelle car sachez, amoureux de Budd Boetticher, que c’est grâce à son succès commercial (même s'il demeure aujourd’hui en France toujours totalement méconnu) que Randolph Scott et le producteur Harry Joe Brown s’associèrent pour créer leur propre compagnie ; une compagnie qui comme beaucoup le savent fut à l’origine d'inoubliables chefs-d’œuvre du genre dès le milieu des années 50, de Sept hommes à abattre (Seven Men from Now) à Comanche Station.

La Vallée maudite est une série B de la Columbia qui mérite qu’on s’y arrête et qui devrait au moins plaire à une majorité d’amateurs du genre. Et même si l’action ne prime pas, elle est bien présente et compte pas mal de séquences très bien menées dont plusieurs, poursuites, duels et bagarres (dont celle qui débute par la tentative de faire tuer Randolph Scott par les sabots d'un cheval) au milieu d'un ensemble fort sympathique qui pourra cependant sembler de nos jours un peu convenu, manquer de tension et de rigueur dans l'écriture. Néanmoins, voici une bonne surprise que l'on est heureux de voir enfin sortir en DVD.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 23 janvier 2016