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Critique de film
Le film

La Vallée du solitaire

(High Lonesome)

L'histoire

Cette nuit-là, au ranch de Horse Davis (Basil Ruysdael), on appréhende un jeune rebelle en train de dévorer goulument la nourriture familiale ; il est immédiatement surnommé Cooncat (John Drew Barrymore) par le cuistot Boatwhistle (Chill Wills). Le lendemain, leur voisin Pat Farrell (John Archer), fiancé à l’aînée des filles Davis, Abbey (Kristine Miller), vient leur apprendre qu’il est à la recherche d’un homme ayant volé l’un de ses chevaux. Il va de soi pour Pat qu’il s’agit de Cooncat mais son futur beau-père ne veut pas qu’on accuse le jeune homme sans preuves et décide de le garder au ranch jusqu’à ce que l’affaire soit éclaircie. Néanmoins le jeune garçon tente de s’échapper à plusieurs reprises, ce qui renforce les soupçons portés à son encontre. Brutalement trainé derrière un cheval, il finit par avouer non seulement le vol de la monture mais aussi un meurtre commis quelques nuits plus tôt alors qu’il essayait de récupérer son argent. Il leur raconte les circonstances de ce drame dans lequel il compromet également deux inquiétants cow-boys (Jack Elam & Dave Kashner) ; le problème est que leur description correspond parfaitement à deux hommes... réputés morts depuis 15 ans, tués lors du violent conflit qui avait opposé pour une question de clôtures les deux plus gros ranchers de la région, les Davis et les Jessup, ces derniers ayant tous été décimés. Personne ne croit à ces histoires de fantômes et le jour où l’on découvre les cadavres des parents de Pat, Cooncat, désigné coupable, est sur le point d’être pendu. La seule personne qui va tenter de l’aider à sortir de cette mauvaise posture est la cadette de la famille Davis, (Lois Butler) tombée sous son charme et qui a vu récemment elle aussi les soi-disant revenants...

Analyse et critique

High Lonesome est l’unique film réalisé par Alan Le May, écrivain par ailleurs très réputé dans le genre puisqu’il est l’auteur des romans ayant servi de supports à deux westerns parmi les plus célèbres qui soient, rien de moins que La Prisonnière du désert (The Searchers) de John Ford et Le Vent de la plaine (The Unforgiven) de John Huston. Le May s’était également fait un nom en tant que scénariste, signant de très bons scripts tels que ceux écrits pour Cecil B. DeMille et qui furent d’ailleurs ses premiers travaux pour le cinéma - Les Tuniques écarlates (North West Mounted Police), Les Naufrageurs des mers du Sud (Reap the Wild Wind) - mais aussi celui du très amusant Le Grand Bill (Along Came Jones) de Stuart Heisler, du très agréable La Vallée maudite (Gunfighters) de George Waggner grâce au succès duquel Randolph Scott et Harry Joe Brown vont s’associer pour nous offrir entre autres la sublime collaboration Scott / Boetticher, voire encore celui de l’excellent et méconnu Cheyenne de Raoul Walsh. S’étant associé au producteur George Templeton, leur collaboration ne donnera que deux westerns, le second étant Les Cavaliers du crépuscule (The Sundowners) tourné la même année sur les mêmes lieux avec beaucoup des mêmes comédiens dont John Drew Barrymore, Dave Kashner, Chill Wills et Jack Elam. Nous reviendrons très bientôt sur ce film réalisé cette fois par Templeton avec toujours Le May à l’écriture, puisque l’éditeur Artus a eu la bonne idée de nous proposer ce duo de westerns à un mois d’intervalle.

Une très bonne chose effectivement puisque High Lonesome s’avère une bien belle surprise, un western très curieux que François Truffaut avait énormément apprécié à l’époque sans toutefois être arrivé à "l'imposer", malgré également la tentative a priori infructueuse du Nickel Odeon et de Bertrand Tavernier de le remettre en avant quelques années plus tard (dixit Tavernier dans le préambule de son pavé Amis américains). La première surprise - du jamais vu à ma connaissance - vient du générique qui cite les noms (accompagnés de leurs "logos") des différents ranchs ayant accepté que l’équipe tourne sur leurs terres. Autre élément d’emblée un peu perturbant, le fait qu’il soit assez difficile de situer avec précision l’histoire dans le temps ; les vêtements portés par quelques protagonistes font très années 1950 - notamment lors de la séquence du bal -, la veste en jean qu’arbore John Barrymore Jr. (le père de Drew Barrymore et le tueur inquiétant dans La Cinquième victime de Fritz Lang) semblant tout droit sortie des films de teenagers à venir. Le personnage de Cooncat fait d’ailleurs a posteriori beaucoup penser aux futurs rôles tenus par James Dean, Steve McQueen, Marlon Brando ou Sean Penn, en faisant de ce protagoniste l'un des premiers "rebel without a cause" de l’écran. L'interprétation de Barrymore pourra d’ailleurs au départ décontenancer et faire grincer quelques dents, l’acteur ne cessant de grimacer, de rouler des yeux, de se déhancher et de se débattre à tout bout de champ, semblant n’avoir qu’une seule corde à son arc, celle du cabotinage éhonté. Mais, au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue, on finit par s’y habituer jusqu’à trouver que finalement ce jeu un peu outré correspond assez bien à ce personnage en colère et frustré par le fait que personne ne le croie ni ne lui fasse confiance.

Il s’agit en effet d’un jeune homme au passé trouble, martyrisé par un père violent, qui a quitté la maison familiale non sans avoir "volé" ce qui lui estimait être dû (à peine quelques dollars), devant se battre pour ne pas se faire subtiliser cette modeste somme à son tour et se retrouvant empêtré dans une histoire de meurtre non résolu au sujet duquel il a du mal à prouver qu’il n’y est pour rien, d’autant plus qu’il s’est cru un moment coupable. Il y a de quoi être déstabilisé, d’autant plus lorsque l'on est encore un jeune homme inexpérimenté et naïf, fonçant tête baissée sans trop réfléchir. Comme si cela ne suffisait pas, on finit par le prendre pour un menteur et/ou un malade mental puisqu’on ne retrouve pas le cadavre en question et que les deux autres protagonistes qu’il met en cause dans ces assassinats passent pour morts aux yeux de tous depuis plus d’une dizaine d’années. Bref, à force de maladresses le jeune rebelle se retrouve dans une situation très inconfortable et quasi inextricable, tous les drames qui vont se dérouler ensuite allant lui être également imputés. Les deux flash-back - assez bien amenés - au cours desquels il raconte comment il en est arrivé à voler et à "tuer" font fortement penser à un film noir, et les apparitions fantomatiques des deux bad guys à un film fantastique. Ajoutez à ce curieux mélange deux charmantes jeunes femmes aux caractères bien trempés, une chanson country de Chill Wills, quelques séquences d’une grande douceur et dignes d’un "film familial avec animaux" réunissant John Archer et Kristine Miller autour d’un pur-sang, d’autres scènes au contraire d’une étonnante brutalité pour l’époque (John Barrymore trainé cruellement par une corde attaché à un cheval, le violent conflit armé opposant des hommes quelques jours auparavant amis) et vous obtiendrez un western aux brusques changements de ton et à l’atmosphère assez unique.

Au vu de cette description, on pourra logiquement émettre un doute sur la qualité de l’écriture. Mais il aurait été dommage de ne pas être confiant en l’auteur de The Searchers puisque même si elle se montre sacrément tarabiscotée, moyennement convaincante dans sa résolution et non dénuée de grosses invraisemblances, l’intrigue n’est - à condition de ne pas se laisser distraire - jamais confuse ; de leur côté, les personnages, leurs relations et leurs caractères sont tous assez richement dépeints, et les protagonistes féminins loin d’être inintéressants et destinés uniquement à la "décoration". D’ailleurs la direction d’acteurs n’a à souffrir d’aucun reproche en particulier, les comédiens s'avérant tous très bons ; que ce soit John Archer dans un rôle finalement assez ingrat mais au final très humain (je vous laisse découvrir le retournement de situation à la mi-film), la dynamique Kristine Miller, le vieux Basil Ruysdael assez charismatique en patriarche, Jack Elam parfait dans un de ses premiers rôles de bad guy inquiétant et vicieux, ou encore Chill Wills en gentil cuistot. Tous accomplissent leur travail avec un grand professionnalisme. Sachant aussi que les décors naturels de Big Bend au Texas - les mêmes que ceux dans lesquels a été tourné Géant de George Stevens - sont superbes et plutôt bien utilisés (on se souviendra longtemps de cette image assez rare du charnier du troupeau décimé quelques années en arrière), que la photographie en Technicolor nous octroie de superbes plans, que certaines idées de mise en scène et de cadrage s’avèrent assez réjouissantes, que l’action et la tension ne sont pas aux abonnés absents et que la musique de Rudolph Schrager est assez belle... il serait dommage de passer à côté d’un western certes pas forcément génial mais possédant assez d’éléments satisfaisants et originaux pour nous tenir constamment en haleine. Les thèmes traditionnels qui l’accompagnent apportent encore plus de densité au scénario en étant également très bien traités, notamment la guerre pour les terres avec l’érection de clôtures qui sera six ans plus tard au centre de l’intrigue de L'Homme qui n'a pas d'étoile (Man Without a Star) de King Vidor.

Une œuvre intrigante et de bonne facture, à cheval entre le western, le film noir, le drame psychologique et à l’orée du fantastique, manquant parfois un peu de rigueur mais sinon constamment captivante, rehaussée par le fait que, contrairement au choix habituel adopté par les petites compagnies du noir et blanc ou d'un procédé de couleur peu couteux pour la photographie, a été retenu un tournage en Technicolor, une technique ici superbement utilisée par le chef-opérateur du Jesse James de Henry King, du Livre de la jungle de Zoltan Korda ou des Tuniques écarlates de Cecil B.De Mille qui furent autant de régals pour nos yeux de cinéphiles. Fortement recommandé aux amateurs de westerns en manque de jolies découvertes !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 3 septembre 2016