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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Tragédie de la mine

(Kameradschaft)

L'histoire

Dans une exploitation minière de la frontière, une explosion de grisou provoque un incendie qui fait de nombreuses victimes parmi les ouvriers surpris en plein travail. Les secours s'organisent, une équipe de mineurs allemands franchit la frontière et vient prêter main-forte aux sauveteurs. Et les efforts réunis de tous ces braves réussissent à triompher des éléments et à sauver des vies humaines.

Analyse et critique

Ce matin du 10 mars 1906, 1 700 mineurs sont au fond des différentes fosses de la compagnie des mines de Courrières. Une explosion, un coup de poussier (en suspension dans l'air, les fines particules de poussières de carbone prennent feu et finissent par exploser) retentit et dévaste plus de 100 kilomètres de galeries, tuant près de 1 000 mineurs en quelques heures. Rapidement, les secours locaux s'organisent. On va chercher, d'abord, à déblayer les galeries alors que de la fumée sort des grilles et que toute la cité environnante constate déjà l'ampleur de la catastrophe. A la surprise générale, des mineurs allemands, présents non loin de là après la frontière, viendront aider leurs camarades miniers.

A la découverte de ces tragiques évènements survenus il y a plus d'un siècle, on peut aisément comprendre pourquoi Pabst a pu s'intéresser à cette histoire. Lui, « Pabst le rouge » qui a réalisé deux ans plus tôt un film de guerre pacifiste, Quatre de l’infanterie, sur le « front de l'Ouest » déjà entre France et Allemagne... Lorsque Pabst décide d'en faire un film, nous sommes en 1931 et la situation politique entre la France et l'Allemagne a grandement évolué vingt-cinq ans plus tard. La Première Guerre mondiale a eu lieu il y a plus d'une décennie et les relations entre les deux nations se tendent à nouveau, pour le résultat que l'on connaît déjà. Comme beaucoup d'intellectuels, le réalisateur s'inquiète de cette situation et souhaite proposer un film de réconciliation, une œuvre qui mettrait en avant les liens entre les deux pays.

Pabst va profiter de cet acte de bravoure des mineurs allemands pour relayer la catastrophe avec une minutie hors pair. On imagine assez facilement, là aussi, le retentissement d'un tel événement à l'époque et donc l'accès possible à tous les détails de cette journée et de celles qui ont suivi. Sa reconstitution est très linéaire, chronologique, presque minutée. D'abord l'explosion, puis la fumée et ensuite la peur des familles et l'inquiétude (le personnage féminin principal du film, Françoise, fait demi-tour après voir vu l'explosion) avant l'organisation des secours. Parmi certains des grands poncifs de la critique de cinéma, on dit souvent que le documentaire nourrit la fiction mais que la fiction nourrit encore plus le documentaire (Herzog, autre grand réalisateur allemand, en étant l'étendard le plus magistral!). Dans La Tragédie de la mine, Pabst, très rapidement, montre le village environnant comme une communauté, une communauté de mineurs. Les fameux corons - les cités minières - ont été créés par les compagnies quelques années auparavant, notamment afin que le travail de mineur ne soit plus seulement un à-côté (les premiers mineurs étaient des ouvriers agricoles) mais qu'une véritable population ouvrière puisse exister... et rapporter le plus de charbon (d'argent) possible aux compagnies.

Celles-ci vont donc créer des villes de toutes pièces, avec logements (plusieurs étages et chambres), fournils, latrines, puits, poulaillers ou encore laveries communes. Une vraie convivialité se développe, on entend ce qui se passe chez le voisin, on discute de maison en maison et des premiers mouvements syndicaux font leur apparition. Par la suite, les compagnies vont mettre sur pied des cités pavillonnaires avec plus de confort et d'individualisme pour éviter, notamment, des mouvement trop contestataires tandis que le quotidien est régulé par un gardien qui est chargé de veiller au bon déroulement de la vie de la cité. Il doit contrôler l'état d'entretien des logements, des jardins, surveiller les enfants et peut notamment donner des amendes en cas de non-respect des règles. Pabst, ne faisant pas un long-métrage sur le quotidien des mineurs, ne rentre bien évidemment pas dans tous ces détails mais cela ne l'empêche pas de montrer les familles inquiètes dès le boum de l'explosion et l'apparition des fumées, la filiation de la mine de père en fils et son impact néfaste sur les familles (hors catastrophe, des mineurs meurent régulièrement dans les mines), les logements en brique tous similaires ou encore l'estaminet où se retrouvent certains des habitants pour discuter.

La reconstitution du travail dans le fond de la mine est, elle aussi, saisissante. Les mineurs ont chacun une tâche bien précise à effectuer et travaillent en petites équipes. Dans un noir et blanc superbe, Pabst montre l’obscurité, l’exiguïté de la mine et la promiscuité entre les mineurs. La mine n’est alors pas si différente des tranchées présentent dans Quatre de l’infanterie. C’est un espace qui appartient entièrement à ceux qui l’habitent mais qui reste malgré tout sauvage, dangereux. Pabst, d’ailleurs, replace temporellement la catastrophe de Courrières, comme pour lui donner une résonance historique supplémentaire. Nous sommes en 1919 et la Première Guerre mondiale vient de se terminer. Les relations entre les deux pays sont tendues, du point de vue humain comme économique. A la frontière encore plus qu'ailleurs, les entreprises vont tenter de travailler en bonne intelligence. Après tout, business is business. Dans les mines de l'Est du pays, qui traversent en sous-sol les territoires, de véritables frontières souterraines sont installées pour séparer les différentes fosses et éviter des conflits entre les travailleurs. Une frontière, ce sera d'ailleurs ce que devront franchir les mineurs allemands venus aider les Français.

C'est là ou le film de Pabst se joue. Il va faire de cet acte héroïque le centre de son récit. C'est dans une impressionnante salle des douches à l'architecture presque cyberpunk que Wittkopp (Ernst Busch) harangue ses camarades à aller sauver leur confrère mineur car, avant tout, « un mineur est un mineur ». Convaincant leur bureau de direction, ils embarquent dans un camion et disent au revoir à leurs proches. Un au revoir que le réalisateur allemand filme comme des adieux et un départ à la guerre. Filiation avec la guerre, encore, qui fait de ces mineurs allemands des soldats partant au front. Lorsqu'ils franchissent la ligne de démarcation, c'est à toute vitesse pour éviter de potentiels tirs de fusil des douaniers. Ces soldats-mineurs partent en mission suicide. Une fois sur place (en quelques heures dans le film mais deux jours après la catastrophe dans la réalité), ils sont accueillis avec étonnement mais aussi respect et confiance. Ils ne sont alors plus allemands et ils ne vont plus secourir des Français, ils sont seulement du secours supplémentaire. Pabst sonde l'inconscient des deux pays (le conflit de la Première Guerre mondiale est dans toutes les têtes, ancré dans un inconscient collectif) mais encore plus celui des hommes, lui l'habituel compagnon de l'érotisme féminin. Certains ont fait la guerre pour leur pays respectif, ont très probablement tué des Français ou des Allemands. Jean (Daniel Mendaille), le minier français coincé dans les décombres des galeries, sombre dans une folie passagère et perd l'esprit au son du tintement métallique de la clé qu'il frappe sur les tuyaux qui l'entourent. Le son devenant celui d'un mitrailleuse ouvrant le feu sur le front et les secouristes allemands (dont l'équipement, et notamment le masque à gaz, revêt un caractère quelque peu surréaliste, guerrier) devenant soldats et ennemis à tuer. C'est dans la folie de l'un que l'autre retrouve sa nationalité allemande et donc son statut d'homme à abattre, manière pour le réalisateur allemand de dire que c'est la folie des hommes qui conduit à la guerre et à la destruction.

La Grande Guerre et ses traumatismes encore vivaces. Françoise, unique personnage féminin ou presque du long-métrage, a perdu des membres de sa famille aussi bien à la guerre que dans les mines. Elle cherche à s'affranchir de ce monde d'hommes et ne veut plus souffrir à cause de leur folie. Promise à Emile, elle sait que ces hommes préféreront toujours la mine à l'amour. Les femmes, lorsqu'arrive la catastrophe, se précipitent à l'entrée de la mine mais sont stoppées net par les grilles qui se ferment. Ce n'est plus une frontière entre deux pays mais entre les deux sexes. Elles sont exclues de ce monde ouvrier, de cette réconciliation fraternelle entre les peuples. On ne leur permet toujours pas de prendre une vraie place dans la société de l'époque, d'avoir un impact politique. Pabst ne manque évidemment pas de le préciser, lui qui aura déjà mis en avant les déboires et difficultés féminines face/à cause des hommes dans Loulou ou La Rue sans joie notamment. Une fois tous les rescapés sortis des décombres (13 mineurs furent retrouvés après 20 jours d'errance dans les galeries, et un quatrième survivant fut même miraculeusement retrouvé 24 jours plus tard !), c'est dans l'allégresse et la camaraderie que sont fêtés les héros !

Pabst, de nouveau, fait l'économie de la crise politique et du mouvement social qui suivit la catastrophe. Des grèves massives auront lieu, qui s’étendront à tous les bassins miniers français et jusqu'en Belgique, suivies par près de 60 000 mineurs. Georges Clemenceau, alors ministre de l'Intérieur, devra même intervenir directement et pas moins de 30 000 (!) gendarmes seront réquisitionnés pour stopper le conflit. Mouvement social qui aboutira sur l'instauration... du repos hebdomadaire pour tous et où dans le même temps une première vague d'immigration importante aura lieu avec Algériens et Polonais qui viendront remplacer les mineurs tombés. Toutes ces répercutions n'intéressent pas le réalisateur qui choisit avant tout de dresser un portait à hauteur d'homme, un film humaniste et sur l'humanité. Une humanité tancée par les conflits et brisée par la guerre. Comme le précise fiévreusement Wittkopp, gouvernements comme entreprises ne s'intéressent pas aux êtres humains mais seulement aux profits. Ils ne s'occuperont pas du bien-être et de l'avenir de tout à chacun, et c'est donc au peuple, à tous les peuples de s'entraider, de se soutenir et d'arrêter de se battre les uns contres les autres. Pour Pabst le rouge, c'est le peuple qui a le pouvoir et s'il croit fortement à cette idée et à un avenir pacifié, il n'en reste pas moins dupe. Censuré à l'époque, il clôt son film par une dernière séquence où la frontière souterraine brisée par l'héroïsme des mineurs allemands est remise en place, plus résistante que jamais. Devant une bureaucratie étatique toujours plus déshumanisée, l'homme n'est qu'une marchandise et si le mineur reste un mineur, business is still business...

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La fiche IMDb du film

Par Damien LeNy - le 3 février 2020