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Critique de film
Le film

La Taverne du cheval rouge

(Frontier Gal)

L'histoire

Johnny Hart (Rod Cameron), poursuivi par des cavaliers, arrive dans la petite ville de Red Gulch. Il se réfugie à la Taverne du Cheval Rouge tenue par l'impétueuse Lorena Dumont (Yvonne de Carlo) qui n’est pas insensible à sa muflerie (elle le gifle en public, il l'embrasse) puisqu’elle finit immédiatement dans son lit et qu’elle l’oblige dès le lendemain à l’épouser. Blackie (Sheldon Leonard), jaloux, lui apprend que son mari est recherché pour meurtre. Suite à leur nuit de noces, elle le fait arrêter. Six ans plus tard, dès sa sortie de prison, Johnny revient trouver son épouse qui le voit arriver d’un mauvais œil mais lui annonce néanmoins qu’il est désormais papa d’une petite Mary Ann âgée de 5 ans, qui va tenter de réconcilier ses parents. Johnny découvre par ailleurs que l’amoureux évincé n’est autre que le véritable auteur du crime pour lequel il avait été accusé. Avant qu’il ait pu régler son compte à Blackie, ce dernier lui kidnappe sa fille...

Analyse et critique

Si l’année cinématographique 1945 s’avéra moribonde, en matière de western ce fut une véritable Bérézina. Fallait-il en plus, à l'approche des fêtes de fin d’année, que les amateurs du genre aient à supporter un film d’une telle bêtise et d'une telle misogynie ? Mettons qu’il ait pu faire illusion au milieu de cette morne plaine westernienne, et même faire rire les spectateurs de l’époque qui sortaient à peine d’une tragédie aussi terrible que la Seconde Guerre mondiale ; j’imagine pourtant mal à qui il pourrait plaire à l’heure actuelle surtout que, rien que pour cette même année, un film assez amusant comme Le Grand Bill (Along Came Jones) de Stuart Heisler avec Gary Cooper et Loretta Young est aujourd’hui souvent taxé de ridicule. Dans ce cas-là, en comparaison, quel adjectif pourra-t-on trouver pour décrire le scénario et les situations du film de Charles Lamont qui ne lui arrive même pas à la cheville que ce soit au niveau de l’intrigue, des dialogues et de l’interprétation ?

Mais fallait-il en attendre plus de la part d’un réalisateur aussi médiocre que Charles Lamont, homme à tout faire du studio Universal quand il n’allait pas tourner pour ceux de la Poverty Row ? Après de nombreux courts métrages pour Mack Sennett, il se spécialisa dans les films avec Ma and Pa Kettle sans oublier ceux avec "Francis le mulet qui parle". Autant dire pas ce qui se faisait de plus fin à l’époque. Dès les années 50, il devint quasiment le réalisateur attitré des deux nigauds, à savoir Abbott et Costello ; il est facile de deviner que l’évolution n’est guère notable ! Quelques mois avant Frontier Gal, sortait sur les écrans de cinéma américains un autre film de ce cinéaste, peut-être son seul titre de gloire, Salome Where She Danced, aujourd’hui étrangement devenu culte. Cette réputation flatteuse est due à son scénario rocambolesque, ballotant le spectateur du Far West à Vienne en passant par San Francisco et la Prusse, lui faisant assister à l’attaque d’une jonque chinoise, à un duel à l’épée ou à des danses lascives du style Mille et une Nuits. Malheureusement la mise en scène et l’interprétation ne suivaient pas le mouvement et le résultat se révélait bien médiocre. Le couple principal de cette histoire était déjà celui que l’on retrouve maintenant dans La Taverne du Cheval Rouge, Yvonne De Carlo acquérant son statut de star à l’occasion de ces deux films de Charles Lamont et son partenaire étant un ex-cascadeur, l'assez terne Rod Cameron, "Randolph Scott du (très) pauvre". Le réalisateur aimait à faire entendre que, ayant entièrement confiance à ses acteurs, il les laissait toujours jouer sans les conseiller ; on peut malheureusement constater le fait au vu du cabotinage éhonté des uns et des autres au sein de ce western "humoristoco-musicalo-serialesque", plus proche du vilain nanar que de la parodie décoiffante !

Une poursuite à cheval plutôt dynamique qui débute dès le générique au sein de magnifiques paysages "technicolorisés" avec des cavaliers émérites, dont un Rod Cameron tout de noir vêtu sautant les obstacles avec une aisance déconcertante. Une séquence suivante, dans la taverne, assez drôle du fait de la muflerie du personnage principal et franchement très agréable pour les yeux pour cause de pulpeuses rondeurs et costumes somptueux de la jolie Yvonne de Carlo. Puis arrive la scène des gifles et des baisers en retour, s'enchainant pendant plusieurs bonnes minutes ; cela commence sérieusement à se gripper à partir du moment où nous commençons à nous dire que les plaisanteries les plus courtes sont toujours les meilleures. Une fois le film tombé dans la bouffonnerie la plus lourdingue, nous avons complètement décroché. Tant de bêtise, des chansons ineptes (dont un blues par le pénible Fuzzy Knight), une musique inappropriée et envahissante, une mise en scène sans ampleur ni idées, sans parler de l'interprétation catastrophique de l'ensemble du casting, la petite Beverly Simmons n'étant pas la plus pénible de tous quoique déjà sacrément agaçante. C'est d'ailleurs à cause de son personnage qui lui semblait proéminent et susceptible de lui voler des scènes que Maria Montez avait refusé le rôle avant qu'il ne soit attribué à Yvonne de Carlo, faisant de cette dernière une nouvelle vedette du studio à seulement 23 ans.

Quelques exemples qui pourront paraître drôles sur le papier mais qui au sein du film finissent de le faire couler. Où l’on entend la petite Mary Ann, de sa chambre, appeler son père en disant qu'il y a un serpent à sonnette au pied de son lit. Ne la croyant pas, il lui conseille de dormir et quelques secondes après un coup de feu retentit ; c'est la petite fille qui a envoyé le reptile ad patres. Où l’on voir la même peste recevoir une magistrale fessée avec le sourire puisqu'on lui a dit que le fait de battre son enfant, c'est l'aimer... Car en plus d'être très mauvais, le film fait l'apologie de la femme au foyer, de la loi du talion et des sévices corporels ; c'est tout à fait anodin évidemment et pas du tout choquant (cela pourrait même prêter à sourire comme la misogynie de The Outlaw de Howard Hughes) mais à ce stade, y avait-il encore besoin d'en rajouter ? Alors, après quasiment une heure de scènes de ménage censément être drôles (on est loin du Homéric ! Impetuous ! de L'Homme tranquille), quand arrive le dernier quart d'heure se transformant presque en serial, comment voulez-vous qu’on s’y attache d’autant plus que les transparences hideuses et les invraisemblances ridicules se multiplient ? Dans le même genre d’histoire, mieux vaut revoir l’excellent Femme ou démon (Destry Rides Again) de George Marshall ou le Frenchie de Louis King. Mais il faut néanmoins avouer que le film est parfois amusant (notamment dans son premier quart d'heure assez réjouissant) et se laisse aisément regarder pour la somptuosité du Technicolor et la beauté de son actrice principale.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 26 octobre 2013