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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Route de l'Ouest

(The Way West)

L'histoire

L’ancien sénateur William J. Tadlock (Kirk Douglas) organise une expédition vers l’Oregon ; sur cette "terre promise" où l’homme blanc n’a pas encore mis les pieds, ce visionnaire conçoit de grandes idées pour le futur de sa communauté. Un convoi de pionniers qu’il dirige quitte ainsi en 1843 la ville d’Independence dans le Missouri pour se rendre jusqu’à cette "Nouvelle Jérusalem". Pour arriver à bon port, Tadlock engage comme éclaireur Dick Summers (Robert Mitchum), un veuf solitaire qui non seulement connait bien les indiens - son épouse était une squaw - mais qui parle également leur langue, ce qui pourra grandement leur servir durant ce dangereux périple. Mais Tadlock s’avère un homme dur et exigeant qui se braque souvent avec ses compagnons de voyage et notamment avec le fermier Lije Evans (Richard Widmark) qui ne supporte pas sa "dictature". En plus des conflits internes, la caravane va être également confrontée à de nombreux obstacles naturels (rivières tumultueuses, montagnes et falaises difficilement franchissables, déserts, etc.), à de difficiles conditions météorologiques ainsi qu’à des embuches tendues par les Indiens...

Analyse et critique

The Ballad of Josie (Le Ranch de l’injustice) - toujours totalement méconnu dans notre contrée - était le cinquième western du protégé de John Ford et fils d’un de ses comédiens fétiches, Victor McLaglen, soit Andrew V. McLaglen. Les précédents étaient Rancho Bravo (The Rare Breed) - un marivaudage laborieux avec James Stewart et Maureen O’Hara - qui arrivait après le pourtant très prometteur Gun the Man Down, l'amusant Le Grand McLintock (McLintock !) et surtout le très beau et très fordien Shenandoah (Les Prairies de l’honneur). La même année 1967 que ce western humoristique avec Doris Day et Peter Graves, McLaglen réalisait également La Route de l’Ouest aux ambitions plus vastes et au budget bien plus conséquent. En effet, The Way West - comme son titre le laisse deviner - est un western épique empruntant la voie tracée par deux des premiers classiques du genre - The Covered Wagon de James Cruze et La Piste des géants (The Big Trail) de Raoul Walsh - qui narre les aventures et le long périple d’une caravane de pionniers se rendant en Oregon, une région à l’époque encore vierge où ils souhaitent ériger leur "New Jerusalem". Étonnamment, avec pourtant trois immenses stars en têtes d’affiche, La Route de l’Ouest est un grand spectacle boudé des deux côtés de l’Atlantique, sa réputation calamiteuse m’étant à vrai dire assez incompréhensible !

Le scénario est basé sur le deuxième d’une série de trois romans consacrés à la conquête de l’Ouest, écrits par un écrivain ayant gagné le prix Pulitzer, A. B. Guthrie. Le personnage central de cette trilogie est Dick Summers, interprété par Robert Mitchum dans le western de McLaglen et auparavant - avec un autre patronyme - par Arthur Hunnicut dans le chef-d’œuvre de Howard Hawks, La Captive aux yeux clairs (The Big Sky), Kirk Douglas tenant d’ailleurs le rôle principal de ces deux films. La dernière partie de cette saga épique, Fair Land, Fair Land, ne sera écrite qu’en 1981. Toujours dans le genre, l’auteur sera également à l’origine d’un autre roman superbement adapté par Richard Fleischer, These Thousands Hills (Duel dans la boue). Si le film de McLaglen ne gagne évidemment pas - loin s'en faut - les sommets atteints par Hawks ou Fleischer, il n’en demeure pas moins une bien belle réussite, au moins du niveau de Shenandoah. Il se révèle être à mon humble avis bien plus sympathique, bien mieux tenu et beaucoup plus rigoureux sur la forme et sur le fond que d’autres westerns à grand spectacle des années 60 réalisés par de grands noms et devenus, quant à eux, de grands classiques du genre toujours relativement appréciés de nos jours tels les laborieux La Conquête de l’Ouest (How the West was Won) du trio Hathaway / Ford / Marshall ou encore La Ruée vers l’Ouest (Cimarron) d'Anthony Mann.

Il faut d’emblée se rendre à l’évidence : même si le scénario de Ben Maddow et Mitch Lindemann fait voir quelques trous et lacunes assez énigmatiques - qui seraient dues notamment au sabordage par le vice-président de la United Artists, David Picker, des 20 premières minutes du film censées présenter les personnages - il n’est pourtant pas dénué d’ampleur, de grandeur épique et de multiples sous-intrigues plutôt bien écrites et à vrai dire toutes assez captivantes malgré leur aspect parfois un peu soap (la femme frigide qui devient folle de jalousie, la jeune adolescente qui couche avec le mari de cette dernière...) Même les personnages souvent critiqués pour leur simplisme s’avèrent finalement pour certains assez riches, témoin celui interprété par Kirk Douglas, assez ambigu et pas du tout manichéen, un visionnaire à qui l'on peut trouver une certaine grandeur tout en le craignant, un homme que l’on peut prendre en pitié et haïr la seconde d’après tout en arrivant à comprendre ses motivations. Sa première apparition, alors qu'il est vêtu de sa belle et soyeuse capeline rouge, fait son effet, le mouvement de caméra qui le montre s’approcher du campement de Mitchum ne manquant pas de lyrisme, aidé en cela par le travail du chef-opérateur William Clothier qui sera d'ailleurs admirable de bout en bout. Il n’est du reste pas interdit de rapprocher le travail de ce dernier de celui de Winton C. Hoch pour John Ford, certains de ses immenses plans d’ensemble de l’avancée du convoi sous l’orage s’avérant tout simplement sublimes et ne déméritant pas en comparaison de ceux du "parrain de cinéma" de McLaglen.

Mais cessons quelques minutes de nous extasier devant ces "vistas" plastiquement étonnantes pour en revenir à Tadlock et pour essayer d’en appréhender la richesse. Il s’agit d’un idéaliste obsessionnel faisant passer par dessus tout le reste - y compris sa famille - sa vision d’une ville à bâtir dans un endroit reculé. Si ses intentions sont les meilleures du monde, pour y arriver il ne recule pas devant la plus grande des brutalités, faisant parfois régner une sorte de terreur sur son convoi. Il est même capable à un moment donné, afin qu'aucun de ses futurs concitoyens ne l'abandonne en cours de route, de faire croire à une épidémie de petite vérole au sein de sa caravane pour empêcher ceux qui souhaitaient mettre fin à leur voyage dans le fort - où ils devaient en principe ne rester que le temps d'une pause - de mettre leurs idées à exécution suite à l'accueil fort chaleureux des Anglais. En effet, la fausse rumeur de la maladie s'étant répandue comme une trainée de poudre, les habitants du fort (Anglais et Indiens) n'ont plus d'autre solution que de les chasser pour ne pas être contaminés. On verra également Tadlock tenter de s’accaparer l’épouse de l’un de ses compagnons de voyage, voyant en elle une femme capable de l’aider à réaliser son rêve. Il n’est pas non plus dépourvu d’une certaine dose de masochisme quand, écrasé de chagrin, il demande à se faire châtier par son "esclave" à coups de fouet. Autrement, en d’autres occasions il est en revanche tout aussi capable d’humanité, de grande tendresse envers son fils voire même de larmes sincères. Il est même prêt à prendre sans se démonter de pénibles décisions qui lui vaudront de se mettre à dos la majorité mais qui, en y réfléchissant bien, s’avéraient les solutions les plus raisonnables afin de pouvoir protéger son convoi ; il s’agit en l’occurrence de la séquence la plus souvent citée et effectivement la plus puissante et tendue du film, celle de la confrontation avec les Sioux au cours de laquelle il décide de pendre l'un de ses hommes presque au hasard - je ne vous en dévoilerai pas plus - pour ne pas que les indiens massacrent tout le monde. Un modèle de construction et de tension dramatique qui prouve, si besoin était, que ce western est loin d’être le navet annoncé.

Tadlock est donc un illuminé progressiste certainement compétent pour accomplir de très grandes choses mais non sans avoir écrasé quelques-uns de ses semblables au passage. Grâce à l’écriture et à l’interprétation de Kirk Douglas, il est évident que ce personnage est loin d’être simpliste. Ceux de Robert Mitchum - l’éclaireur - et de Richard Widmark - le paysan pionnier - comporteront évidemment moins d’aspérités mais n’en seront pas moins relativement attachants, même s’ils auraient effectivement mérité un peu plus d’attention et de nuances de la part des auteurs. Ceci étant, les deux comédiens accomplissent fort bien leur travail ; tout comme Jack Elam en pasteur illuminé qui apporte un peu d’humour à l’ensemble ou bien Sally Fields dans son premier rôle, celui d’une adolescente titillée par sa puberté et dont le pressant besoin d’amour va être à l’origine de sombres drames, ou encore Lola Albright dans celui de l’épouse aimante de Richard Widmark... On trouve donc une interprétation d’ensemble convaincante mais surtout une mise en scène assez impressionnante, non dénuée d’ampleur et de lyrisme, portée par une très belle partition de Bronislau Kaper. Difficile de ne pas être happé par la grandeur et la sauvagerie des paysages traversés, par le réalisme et la beauté des images du convoi qui s’avance dans les grandes plaines puis dans le désert et enfin à travers les Montagnes Rocheuses jusqu’à se trouver nez-à-nez avec la plus infranchissable des falaises, le plus majestueux des canyons. Non seulement tout cela est parfaitement bien cadré mais, ajouté à un montage rigoureux et à de beaux placements et mouvements de caméra, cette description reste constamment spectaculaire et captivante même si l’ensemble ne possède évidemment pas ni l’ampleur de La Piste des géants de Raoul Walsh, ni l’âpreté du Convoi des femmes (Westward the Women) de William Wellman, ni le climat mi-chaleureux mi-mélancolique du Wagonmaster (Le Convoi des braves) de John Ford, les trois chefs-d’œuvre de cette catégorie "road movie" de westerns.

Paysages somptueux, grande aventure, adultères, romances, drames psychologiques, rivalités découlant de suspicions, de haine et de jalousies, humour, chansons et danses autour du feu, bisons, Indiens décrits avec décence, bagarres homériques et teigneuses avec des cascadeurs chevronnés, chevauchées remarquablement bien filmées... il y en a pour tous les goûts. J’espère en avoir convaincu quelques-uns qui auraient été rebutés par une majorité de critiques fortement négatives, et surtout que ces quelques courageux ne soient pas déçus du voyage. Même s’il ne peut raisonnablement pas être compté parmi les sommets du genre, The Way West n’a pas non plus à rougir, le budget dépensé pour le tournage se voyant à l’écran et le spectateur en ayant pour son argent. Un film à réhabiliter, tout comme le réalisateur dont je me commence à me rendre compte qu'il aura souvent été injustement vilipendé - par moi le premier !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 11 mars 2017