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Critique de film
Le film

La Rivière sanglante

(Drums across the River)

L'histoire

Crown City, une petite ville du Colorado qui s’est édifiée suite à la découverte de mines d’or dans les alentours. En cette fin de XIXème siècle, les habitants se demandent s’ils vont continuer à pouvoir y vivre plus longtemps, les gisements étant presque épuisés. Il reste cependant des filons qui n’ont pas encore été touchés ; le problème est qu’ils se situent de l’autre côté de la rivière San Juan, dans les montagnes du territoire de la tribu des Utes sur lequel, suite à un traité, les hommes blancs n’ont pas le droit de pénétrer. Gary Bannon (Audie Murphy), qui gère une petite entreprise de fret avec son père Sam (Walter Brennan), se laisse convaincre par Frank Walker (Lyle Bettger) d’aller malgré tout prospecter en territoire indien afin d’éviter la faillite. Sam, qui connait bien et respecte la tribu des Utes, tente de s’interposer mais son fils n’en fait qu’à sa tête (d’autant qu’il hait les Indiens responsables de la mort de sa mère). Le voilà parti avec Walker et ses hommes. En réalité, Walker nourrit le projet de créer un incident avec les Utes : il pense que si une guerre est déclenchée entre colons et Indiens, ces derniers seront reconduits dans des réserves, laissant le champ libre pour pouvoir exploiter les mines d’or situées dans les montagnes. A peine le groupe a-t-il franchi la rivière qu’il est pris en embuscade par les Utes. Malgré un effort consenti pour parlementer, Walker et ses hommes arrivent néanmoins à créer l’incident fatal en tuant trois Indiens. Voyant la tournure que prennent les évènements, Gary commence à vouloir changer de camp mais il n’est pas au bout de ses peines puisque, sentant qu’il ne le suivra pas dans ses noirs desseins, Walker fait tout pour le discréditer auprès de ses concitoyens...

Analyse et critique

Alors que le studio Universal fut durant les premières années des années 50 le champion de la série B westernienne, on sent, qualitativement parlant (et à quelques exceptions près), un sacré relâchement depuis le début de 1954. Les budgets semblent s’être resserrés (d’où une esthétique moins léchée, un rendu moins immédiatement agréable à l’œil, plus réaliste aussi) et les quelques nouveaux producteurs paraissent moins ambitieux et semblent faire moins attention quant à la qualité d’écriture des scripts ou au choix du casting. Quelques mois plus tôt, le régulièrement talentueux George Sherman ratait deux westerns après tant de réussites dans le genre ; et voilà que Nathan Juran, qui avait l’année précédente délivré pas moins que trois westerns très sympathiques pour la firme - Quand la poudre parle (Law and Order) avec Ronald Reagan, ainsi que Le Tueur du Montana (Gunsmoke) et Qui est le traître ? (Tumbleweed) déjà avec Audie Murphy - en réalise un nouveau, cette fois à l’intrigue bien trop banale et aux protagonistes bien trop caricaturaux pour arriver à nous captiver. Cet affaiblissement qualitatif, on le remarque même au travers des bandes originales, bien faiblardes en rapport à certains scores précédents signés par les excellents Herman Stein ou Hans J. Salter. La seule chose sur laquelle le studio ne veut toujours rien lâcher est sa volonté de ne tourner les scènes d’extérieurs qu’en décors naturels (ici encore bien choisis), sans jamais utiliser la moindre transparence même au sein des séquences mouvementées. C’est déjà ça de gagné, et c’est une des raisons pour lesquelles les amoureux du western apprécient tant les productions d’un studio qui se moque le moins possible de son public ! Cela dit, les nouvelles productions ont dans l'ensemble perdu un peu de la magie qui caractérisait les films qui s'étendaient en gros de 1947 à 1953.

Continuons par un petit rappel de la biographie de Nathan Juran, qui le mérite au vu des petits plaisirs qu’il nous aura procurés à maintes reprises. Né en Autriche, il fut directeur artistique à Hollywood dès 1937. Alors qu’il opère dans les services de contre-espionnage américain pendant la Seconde Guerre mondiale, il gagne un Oscar pour son magnifique travail en tant que directeur artistique pour Qu'elle était verte ma vallée (How Green Was My Valley) de John Ford. Il vient à la mise en scène une dizaine d’années plus tard, en 1952, avec The Black Castle, une transposition des célèbres Chasses du Comte Zaroff. Juran se consacre ensuite surtout au western, à la science-fiction et au film d’aventures (The Golden Blade avec Rock Hudson et Piper Laurie) ; il tourne même un film de sous-marins dans lequel nous trouvons réunis Ronald et Nancy Reagan, Hellcats of the Navy. Sous le pseudonyme de Nathan Hertz, il réalisera également à la fin des années 60 des séries Z aux titres ne manquant pas de piquant tel The Brain from Planet Arous ou Attack of the 50 Foot Woman. Mais Nathan Juran est aujourd’hui surtout réputé pour avoir tourné des films cultes avec le procédé d’effets spéciaux "Dynamation" (avec entre autres Ray Harryhausen aux manettes) : les indémodables Septième voyage de Sinbad (1958) et Jack, le tueur de géants (1962). Mais revenons-en au film qui nous concerne !

Des Blancs cherchant à créer un conflit avec les Indiens dans le seul but de profiter de la confusion. Des Indiens pacifiques mais ne souhaitant pas être délogés ni que l’on vienne empiéter sur le bout de territoire qu’on leur a difficilement accordé. Un homme raciste finissant par comprendre qu’il l’était à tort, que l’on ne doit pas juger un peuple sur un seul de ses membres... Des intentions évidemment tout à fait louables mais au bout du compte rien de bien neuf à se mettre sous la dent. Du déjà vu et revu mais surtout en bien mieux ! Le western de Nathan Juran est de nouveau un véhicule pour la star maison, Audie Murphy. Ce dernier, très bien comme à son habitude, se fait pourtant voler la vedette par Walter Brennan, mais aussi par les vicieux bad guys interprétés par Lyle Bettger et Hugh O’Brian. Malheureusement leur jeu est tellement caricatural et répétitif que finalement, qu'ils soient ternes, pittoresques ou picaresques, aucuns des protagonistes n’arrive vraiment à attirer notre attention. Nous visionnons donc ce petit western sans passion ni trop d'intérêt, comme les spectateurs de l’époque d’ailleurs qui boudèrent le film. Un échec commercial assez justifié par le fait que l’ensemble fait ressentir comme un air de bâclage et qu’il s’agissait alors de l’un des moins bons films avec Audie Murphy. Il faut dire que Melville Tucker à la production est loin d'avoir une filmographie mirobolante à son actif, au contraire par exemple d'un Aaron Rosenberg qui avait d’ailleurs produit le premier western de Nathan Juran (Law and Order) ou de Ross Hunter, producteur du jubilatoire Tumbleweed, tous deux d’une toute autre qualité. Non qu’ils aient été spécialement plus originaux mais plutôt mieux écrits, mieux rythmés, et somme toute plus efficaces. A travers le western made in Universal, on se rend encore mieux compte du fait, qu’à l'époque des studios, le producteur comptait souvent presque tout autant que le réalisateur dans le résultat final qui, et notamment dans la série B, dépendait plus du travail d'une équipe que de la personnalité d'un auteur.

Si ce Drums Across the River s'avère moins palpitant que les westerns précédents signés Nathan Juran, c’est aussi à cause de son intrigue paresseuse, banale et guère palpitante (malgré une bonne dose d'action), les scénaristes de ce dernier film étant bien moins doués que DD Beauchamps ou John Meredyth Lucas. Car autrement, la mise en scène, même si sans aucun génie, se révèle toujours plutôt correcte, nous proposant même de nombreuses séquences assez réussies comme cette bagarre à poings nus dans un grand baquet de récupération d’eau, une pendaison se déroulant sous une pluie battante (plastiquement superbe) et surtout cette belle scène des obsèques du chef indien dans un lieu désert et venté. A noter encore une autre jolie scène dans le campement indien qui voit Audie Murphy perdre ses préjugés racistes lorsqu’il se rend au chevet du vieux chef mourant, interprété par Morris Ankrum, qui lui fait comprendre qu’il ne faut pas juger un groupe à la bêtise de l’un de ses membres, et expliquant aussi qu’il faut toujours combattre les ennemis de la paix : « I fought the enemies of peace, no matter who, while I lived. I will fight them after my death. » Pour le reste, à l’image du personnage féminin qui n’a d’autre fonction que de se jeter dans les bras du héros à la toute dernière image, il n'y a rien de vraiment intéressant à piocher au sein de ce petit western pro-Indien qui se laisse néanmoins visionner sans trop d'ennui. A conseiller surtout aux amateurs de ce comédien très sympathique qu'était Audie Murphy.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 11 octobre 2013