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Critique de film
Le film

La Rivière de la mort

(Little Big Horn)

L'histoire

1876. Fort Lincoln dans le Montana où se trouve un détachement du 7ème régiment de cavalerie. Le Lieutenant Haywood (John Ireland) s’apprête à quitter l’armée pour pouvoir refaire sa vie avec sa maîtresse (Marie Windsor) qui n’est autre que l’épouse négligée du Capitaine Donlin (Lloyd Bridges). Ce dernier, revenu à l’improviste, les surprend dans les bras l’un de l’autre. Il ne fait pas d’esclandre mais repart dès le lendemain en prenant le commandement d’une patrouille qui doit aller surveiller les mouvements des Indiens qui commencent à inquiéter par leur ampleur. Il est bientôt rejoint par un détachement commandé par Haywood qui a pour mission de rapatrier tous les soldats à cause du danger imminent d’une révolte indienne. Donlin refuse d’obéir aux ordres : il trouve plus important d’aller prévenir d’urgence le général Custer du péril qui le menace et lui dire de ne pas quitter son camp de Yellowstone avec le gros de ses troupes au risque de se faire piéger puis massacrer par les Sioux qui se rassemblent en grand nombre près Little Big Horn. C’est un voyage harassant de plus de 400 km que les soldats doivent accomplir le plus rapidement possible. Haywood pense qu’ils vont au suicide mais ne peut faire autrement que de suivre Donlin qui l’a engagé comme second. Est-ce en espérant que son rival en amour y perdra la vie ?

Analyse et critique

Dans les bonus du DVD sorti ces dernières semaines chez Sidonis, Bertrand Tavernier nous rappelle à quel point ce film était devenu difficile à voir en France, n’ayant pour sa part réussi à le découvrir que grâce à Jacques Lourcelles qui avait déniché une copie 16mm. Avant ça, ce fut longtemps l’un des westerns qu’il avait souhaité le plus ardemment visionner depuis qu’il était tombé sur le top d’un critique américain pour qui il avait beaucoup d’estime élisant Little Big Horn comme film de l’année 1951. C’est me concernant sacrément exagéré, estimant que rien que dans le domaine du western des films comme Tomahawk de George Sherman, Apache Drums (Quand les tambours s’arrêteront) de Hugo Fregonese ou encore les deux chefs-d’œuvre de William Wellman (Convoi de Femmes et Au-delà du Missouri) lui sont quand même nettement supérieurs. Ceci étant dit, la flatteuse réputation du premier film de Charles Marquis Warren est loin d’être usurpée. [Ceux n'appréciant pas les spoilers, même si ces derniers ne sont guère surprenants, sont priés d'arrêter ici la lecture ]. Il faut savoir d’emblée que le titre américain de ce western assez déconcertant est assez trompeur. En effet, le film ne traite absolument pas de la tristement célèbre bataille de Little Big Horn (comme la mémoire défaillante d’Yves Boisset semblait nous le faire croire) mais narre l’odyssée tragique d’un petit détachement parti à la rencontre de Custer et ses hommes pour les prévenir du piège dans lesquels ils risquent de tomber à cet endroit, les Sioux s’étant réunis en nombre pour les y attendre. Une fois n’est pas coutume, le titre français est donc plus représentatif du film, que ce soit par rapport à son pitch que pour son atmosphère un peu mortifère. Ce fait historique peu connu est tout à fait véridique mais il n’aura eu aucune incidence sur le ‘Waterloo’ de Custer ; il aura juste démontré le courage de ces soldats finalement morts pour rien. Et ce n’est pas gâcher la surprise que de le dévoiler puisque l’on sent dès le départ que personne ne réchappera à cette mission suicide, pas plus que ceux ayant participé à la fameuse bataille.

Charles Marquis Warren, tout d’abord écrivain, avait consacré de nombreux de ses romans à l’histoire de l’Ouest, privilégiant les faits peu connus, les thèmes originaux, les personnages atypiques. Avant d’être réalisateur il fut également un scénariste parfois très efficace et très intéressant, écrivant par exemple pour son deuxième essai le sympathique Streets of Laredo (La Chevauchée de l’honneur) de Leslie Fenton ou un peu plus tard le script diablement réjouissant de l’excellent La Mission du Commandant Lex (Springfield Rifle) d’André de Toth avec Gary Cooper, un des rares ‘westerns d’espionnage’. Quant au début des années 50, on lui proposa de passer derrière la caméra, il le fit sans hésitation, demandant néanmoins des conseils à Budd Boetticher. Le résultat fut cet excellent Little Big Horn qui malheureusement sera suivi (tout du moins parmi le peu de ses films que j’ai eu l’occasion de voir) par le navrant et raciste Arrowhead (Le Sorcier du Rio Grande), un Hellgate (Les Portes de l’enfer) qui tenait précédemment un peu mieux la route grâce surtout au décor unique choisi pour y implanter son intrigue et enfin, malgré une idée de départ séduisante, l'extrêmement mauvais Trooper Hook d’une immense platitude, sans aucune vigueur ni rigueur, sa direction d’acteur se révélant tout aussi inefficace, trouvant le moyen de rendre totalement amorphes Joel McCrea et, bien plus surprenant, Barbara Stanwyck ! Autant dire que la découverte de son premier film en tant que cinéaste fut agréablement surprenante.

"This is a story based upon a strange and little known incident in America's history. From such incidents has risen the greatest fighting force in the world today-The United States Army-to which this picture is respectfully dedicated." Contrairement à cet avant-propos, le western de Marquis Warren ne sera pas un film cherchant bêtement à glorifier l’armée américaine même si les soldats décrits par l’auteur se révèlent au final comme des modèles de courage et pour certains de probité. Little Big Horn surprend d’emblée par ses premières séquences que l’on dirait sorti tout droit d’un mélodrame et mettant en scène le couple formé par John Ireland et Marie Windsor. C’est un peu comme si nous arrivions à mi-film sans préambule et comme si nous connaissions déjà bien les personnages. Si Marquis Warren a pris des leçons de mise en scène de Budd Boetticher, ce dernier et ses scénaristes ont probablement dû se souvenir de ce film pour leurs chefs-d’œuvre à venir possédant ce même génie de la concision, de l’entrée en matière, de l’ellipse. Car pour en revenir à ce tout début, après ces scènes romantiques d’une douceur, d’une tendresse et d’une sensibilité que l’on n’attendait pas sous la plume et la caméra de Marquis Warren, le troisième personnage fait subrepticement son apparition, prenant en flagrant délit sa femme et son sous officier dans les bras l’un de l’autre, ayant surpris leur conversation quant à leurs projets communs. Encore un motif d’agréable surprise : les réactions attendues se révèlent toutes autres. Le mari trompé ne fait pas d’esclandre, malgré sa déception et sa colère rentrée, semblant comprendre les raisons de son épouse ; l’amant se trouve plutôt gêné, prenant quasiment son supérieur en pitié ; quant à la femme, d’une formidable franchise, c’est le protagoniste fort du trio à ce moment là, n’ayant pas peur de dire ses quatre vérités à son mari que son travail accaparait bien trop au point de l’avoir totalement délaissé. Un triangle amoureux digne des meilleurs mélodrames. Dommage que l’excellente Marie Windsor n'apparaisse ensuite dans aucune autres scènes hormis lors d’un touchant flash-back.

Car une fois passée la présentation succincte mais efficace de ces trois personnages principaux, une ellipse nous emmène immédiatement à la suite de la troupe conduite par Lloyd Bridges ; le film se déroulera désormais tout le temps en extérieurs, au sein de quelques décors en studio lors des scènes de nuit et en véritables décors naturels pour le reste. Et presque immédiatement, une deuxième séquence vient nous confirmer l’originalité du film et la qualité de son écriture, les auteurs utilisant certains petits détails très réalistes pour rendre le tout plus convaincant et pour donner des indices sur les portraits en fait très nuancés des différents protagonistes. C’est celle où les soldats harassés trouvent enfin un point d’eau après plusieurs jours de marche. Alors que dans la majorité des westerns, les hommes se seraient jetés tête la première dans cette petite étendue d’eau, dans Little Big Horn, leur commandant les en empêche. Si l’on prend au départ cette décision pour un caprice 'autoritariste', il n’en est finalement rien, s’agissant au contraire de la plus extrême prudence. En effet, l’eau aurait pu être croupie et faire des dégâts parmi ses hommes. Il envoie alors un ‘spécialiste’ chargé de tester si l’eau est ou non potable avant de laisser ses hommes s'abreuver. Ca n’a l’air de rien raconté comme ceci mais ça en dit long sur la rigueur du scénario et l’envie de ne rien laisser au hasard. De plus, cette situation commence dès lors à nuancer le caractère despotique du Capitaine Donlin superbement campé par Lloyd Bridges. Ce n’est pas nécessairement un va-t-en-guerre au caractère rude mais un chef qui prend soin de ses hommes. Son évolution tout au long du film sera elle aussi intelligemment décrite, par petites touches successives ; tout comme ses relations avec son rival en amour qui se termineront par un combat à mains nus dans les règles de l’art. En effet, entre temps Donlin aura appris à apprécier le lieutenant Haywood au point de lui laisser un moment les prérogatives quant au choix des éclaireurs à dépêcher à l’avant, ayant peut-être des problèmes de conscience en rapport avec ceux qu’il a déjà envoyé au casse-pipe. Entre temps, il aura également laissé faire le sort en demandant à ses hommes de se désigner en jouant aux cartes (mémorable séquence elle aussi).

L’homme dont Donlin a décidé de faire son bras droit n’est donc autre que celui qui lui a ravi son épouse. Dans cette histoire d’adultère, pendant une bonne partie du film, les soldats prendront faits et causes pour le mari trompé, leur commandant, auquel certains arrivent même à s’identifier pour avoir vécu la même situation sans jamais avoir pu mettre la main sur leur rival ; ils espérèrent ainsi se venger de leur propre situation par personnes interposées. Mais Haywood va se révéler tellement noble et courageux, capable de soutenir ses sous-officiers face à son supérieur, que leurs regards sur lui vont également évoluer dans le bon sens. Haywood, c’est probablement le plus beau personnage qu’ait eu à interpréter l’excellent John Ireland qui trouvera d’ailleurs ses plus grands rôles au sein du studio Lippert (c’est cette petite structure qui lui aura offert l’une de ses rares apparitions en tête d'affiche, non moins que dans le premier film de Samuel Fuller, le très intéressant J’ai tué Jesse James – I Shot Jesse James). Tout comme Lloyd Bridges, Ireland s’avère lui aussi remarquable, admirable de sobriété, tout comme d’ailleurs tous les autres seconds rôles, personne n’en faisant trop ni ne prenant jamais l’ascendant sur quiconque, que ce soit Reed Hadley, Jim Davis, Hugh O’ Brian, King Donovan... Leurs personnages ne sont d’ailleurs pour aucun dénués d’humanité sans que Marquis Warren n’ait eu besoin d’en passer par une trop grande caractérisation ni par un quelconque manichéisme. Au sein de cette galerie de soldats, on y trouve la jeune recrue s’étant portée volontaire pour cette mission suicide afin de rejoindre son père faisant partie du régiment de Custer, le soldat qui attend sa promise qu’il ne connait encore qu’à travers une photographie et qu’il va retrouver d’une manière tragique durant son périple (séquence d’une retenue absolument admirable), le joueur de cartes qui va tricher non pas pour se défiler mais au contraire pour affronter le danger à la place de ses camarades, celui qui attend des nouvelles de sa femme sur le point d’accoucher et qui va être rassuré par un ‘mensonge décent’ de son supérieur, le soldat raciste qui va être sauvé par le seul indien du détachement à qui il finira par rendre hommage… Non seulement une direction d’acteurs impeccable mais une écriture très riche et toujours nuancée des personnages, chacun ayant leur importance dans le déroulement du récit.

Sur la forme, le western de Marquis Warren est loin non plus d’être inintéressant : la photographie est magnifiquement contrastée et la mise en scène ne manque ni de vigueur ni d’idées, arrivant à nous rendre prégnante cette constante présence du danger qui guette les soldats, nous prenant par surprise lors des rares mais spectaculaires irruptions de violence ; enfin, pour ne rien gâcher, les combats et batailles (assez peu nombreux, budget oblige) sont assez efficacement filmées contrairement à ce que j’ai pu lire ici et là. Au final, une belle découverte que ce western sans fioritures, sans emphase, assez insolite, parfois déroutant et en tout cas très réussi sur le thème souvent utilisé de ‘la patrouille perdue en territoire hostile’. Une œuvre sombre et funèbre mais constamment délicate et profondément humaine. Merci à l'éditeur Sidonis de nous avoir déniché cette petite pépite de la série B !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 10 octobre 2015