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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Rivière d'argent

(Silver River)

L'histoire

Durant la Guerre de Sécession, alors que la bataille de Gettysburg fait rage, de peur que le million de dollars en billets de banque dont il a la charge tombe aux mains des Sudistes qui le poursuivent, le capitaine Mike McComb (Errol Flynn) prend la décision de mettre le feu au chariot qui le contient. Pensant avoir accompli un acte héroïque, cette action lui vaut au contraire d’être conduit devant une cour martiale, dégradé puis renvoyé de l’armée. Il décide désormais de n’obéir qu’à ses propres lois et de ne plus se laisser marcher sur les pieds, porté par ses ambitions démesurées. Après avoir volé une coquette somme à Sweeney (Batton McLane), le tenancier malhonnête d’un tripot de mèche avec l’armée, avec son loyal ami Pistol Porter (Tom d’Andrea) il se rend dans l’Ouest où il ouvre sa propre maison de jeu à Silver City. Il s’éprend de Georgia Moore (Ann Sheridan) dont l’époux, Stanley (Bruce Bennett), détient les mines d’argent de la région. Un vil chantage lui en fait devenir le principal actionnaire. John Plato Beck (Thomas Mitchell), son homme d’affaires en même temps que son "Jiminy Cricket", commence à voir d’un mauvais œil la manière dont Mike mène ses négoces ; il est outré quand Mike "oublie" de prévenir son rival qu’un grand danger le guette s’il se rend sur le territoire des Shoshones pour y prospecter. Et en effet, on le retrouve tué par les Indiens quelques jours plus tard. Alors qu’il a épousé la veuve et que sa puissance ne cesse de croître, Mike se fait construire un vrai palais en plein désert ; mais on commence dans son entourage à le comparer au roi David ayant envoyé son rival à la mort pour s’approprier Bethsabée. Son empire commence à vaciller, ses amis à l’abandonner après que Plato a avoué ses malversations en public…

Analyse et critique

« Que d’injustices ! Pourtant je ne suis pas aigri mais reconnaissant. C’est une leçon : j’ai désobéi et on me chasse. J’obéirai dorénavant mais à mes lois. Dès maintenant, c’est moi qui mènerai la danse ! » Cette phrase qu’on aurait pu croire sortie de la bouche du "bad guy" de n'importe quel western précédent est en fait prononcée par le personnage joué par Errol Flynn, qui en fera son mode de vie et de pensée. Son Mike McComb est en effet un antihéros, l’un des protagonistes les plus noirs interprétés par l’acteur australien dans ce Citizen Kane du western ; mais ce serait avoir oublié son précédent rôle dans Saboteur sans gloire (Uncertain Glory) du même Walsh, dans lequel il interprétait un criminel athée ayant échappé à la guillotine durant la Seconde Guerre mondiale. Silver River marque la dernière collaboration d’Errol Flynn avec son deuxième réalisateur de prédilection après Michael Curtiz : Raoul Walsh, avec qui il avait déjà tourné dans La Charge fantastique (They Died with Their Boots On), Gentleman Jim ou Aventures en Birmanie (Objective Burma) pour ne citer que les chefs-d’œuvre. Il narre l’ascension et la déchéance d’un homme devenu ambitieux, égoïste et intriguant après qu’il a été radié de l’armée pour un fait héroïque que les autorités ont jugé être un acte de trahison.

« Un homme est seul quand il dépend des autres ; ce n’est pas mon cas. » En lisant l’intrigue et ces quelques phrases, on devine l’ambition du film de Walsh, l’envie de dépeindre sans concession l’ascension d’un individualiste forcené à l’ambition personnelle démesurée afin de mieux critiquer la férocité du capitalisme naissant, les escroqueries boursières et autres malversations mises en branle pour satisfaire aux intérêts personnels qui peuvent même conduire jusqu’au meurtre. Il s’agit donc ici d’un "western financier" d’une grande modernité mais qui ne tient malheureusement pas toutes ses promesses, faute à un scénario décousu et sans ampleur et à une mise en scène sans grande envergure. Raoul Walsh nous prouve pourtant qu’il n’avait rien perdu de son dynamisme à travers les deux séquences épiques qui encadrent le film : le prologue avec la chevauchée-poursuite du chariot par les Confédérés et surtout l’épilogue qui voit se retourner l’ensemble des mineurs contre ceux qui les poussaient à la révolte pour mieux s’emparer de leurs biens. Deux scènes au cours desquelles le cinéaste montre sa maîtrise du montage, du rythme et de sa formidable gestion d’un nombre imposant de figurants et des mouvements de foule. Dommage qu’entretemps, personne n’arrivait plus à nous passionner, pas plus le scénariste que le metteur en scène ou de nombreux comédiens.

A l’instar de Citizen Kane, avec lequel je l’ai comparé peut-être abusivement au début de ce texte, l’intrigue racontant cette "grandeur et décadence" file à cent à l’heure mais, contrairement au chef-d’œuvre d’Orson Welles, Silver River manque de cohérence interne, de fluidité dans la narration, étant plus construit comme une succession d’épisodes sans véritable progression dramatique que comme l’ample fresque qu’il aurait semblé vouloir être. On suit tout cela avec détachement, sans se sentir très concerné par ce qui se déroule sous nos yeux, sans ressentir quelconque empathie pour les différents protagonistes de cette course à l’argent. Le film est bavard et manque singulièrement de souffle ; Raoul Walsh peine souvent à le faire décoller tout comme Errol Flynn qui, à 39 ans, bien que toujours talentueux, semble très fatigué, ayant perdu une partie de sa verve et de son dynamisme. Le cinéaste a bien réussi à ce que son acteur principal ne boive plus durant le tournage mais il n’arrive cependant pas à lui faire retrouver son irrésistible entrain, son impétuosité et son panache habituel. Evidemment un tel personnage, d’une complexité, d’une richesse et d’une ambiguïté qu’on ne saurait remettre en cause, n’avait pas obligatoirement à se voir pourvu d’une telle séduction mais, dans le même registre, son criminel de Saboteur sans gloire, quoique aussi cynique et à priori antipathique, nous était bien plus attachant que ce Mike McComb, qui se révèle parfois une fascinante figure d’antihéros mais dont on a bien du mal à croire à sa tentative de rachat moral, son revirement final amenant l’un des happy end les plus improbables jamais vu jusqu’ici dans un western de prestige. L’amertume et le désenchantement qui irradiaient le film (sans émotion cependant) se transforment en une leçon de morale assez pénible : un élément du scénario à l’image du film, bien bancal.

Mais nous aurions dû dès le départ le prévoir à l’écoute du score composé par Max Steiner, l’un de ses plus faibles, aussi décharné que l’ensemble du film, Sid Hickox n’accomplit lui non plus pas de miracles en tant que chef opérateur, Walsh ayant par dessus le marché multiplié les transparences malvenues à chaque fois qu’Errol Flynn et Ann Sheridan sont réunis à l’écran en extérieurs. D’ailleurs, autant le couple était crédible dans l’excellent Ange des ténèbres (Edge of Darkness) de Lewis Milestone, autant il est difficile d’être convaincu par celui qu’ils forment ici, l’actrice mal maquillée se révélant assez limitée, n’arrivant jamais à nous faire oublier Olivia de Havilland. Alors il y a certainement de belles choses ici et là, de très beaux plans comme ceux en plongée sur le saloon, de jolies scènes bien dialoguées, un évident sens du rythme, quelques réflexions bien senties, de l’intelligence dans les propos, un Thomas Mitchell franchement bon dans son rôle d’avocat philosophe, sentencieux et alcoolique, véritable conscience de son patron qui lui l’a enterrée depuis bien longtemps…mais l’ensemble ne s’avère jamais vraiment passionnant et l’on se surprend souvent à trouver le temps un peu long.

Et pour chipoter encore, comment expliquer cette étonnante faute de goût, ce mouvement de caméra allant du visage d’Errol Flynn à celui de Bruce Bennett avec un zoom avant esthétiquement très laid ? Ou encore comment ne pas trouver pesant la parabole de David et Bethsabée rabâchée à tout bout de champs ? Se montrer aussi tiède à propos d’un film qui ne mérite pas tant qu’on s’acharne dessus n’est néanmoins pas très honnête de ma part. Car ce n’est pas tous les jours que l’on pouvait observer une telle intrigue et l'incursion de la politique à l’intérieur d’un western, Errol Flynn et Thomas Mitchell s’en tiraient plutôt bien (personne ne sort en revanche du lot en ce qui concerne les seconds rôles, et surtout pas le fadasse Tom D’Andrea), et la critique des magouilles financières ainsi que la remise en cause du capitalisme (la visite du président Grant et ses idées de grandeur reprises par Mike, en gros « Travailler plus pour gagner plus », vous rappellent certainement une pénible situation actuelle) étaient alors plutôt bienvenues… Dommage seulement qu’à l’arrivée, nous (je plutôt) ne nous soyons pas sentis plus concernés par l’histoire et que nous n’ayons pas été plus touchés par ce personnage haut en couleur, orgueilleux et sans scrupules, mais qui dans la solitude dans laquelle il était tombé aurait pu nous bouleverser ou tout du moins nous le faire prendre en pitié. Silver River n’est pas un mauvais western, loin de là, mais il se révèle frustrant surtout au vu des chefs-d’œuvre précédents et manque singulièrement de vie et de chair à mon goût. Son Cheyenne de 1947 (qui aurait d'ailleurs dû être interprété par Errol Flynn, dans le rôle tenu par Dennis Morgan), un film dont on ne parle quasiment jamais, était bien plus enthousiasmant quoique plus conventionnel.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 28 mai 2011