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Critique de film
Le film

La Panthère Noire

(The Black Panther)

L'histoire

La Panthère noire relate l'histoire vraie de Donald Neilson, ennemi public n°1, braqueur, meurtrier et auteur d'un rapt qui choqua l'Angleterre dans le milieu des années 70...

Analyse et critique

Le polar est un genre qui a toujours été présent au sein du cinéma anglais, sans pour autant constituer - malgré quelques indéniables réussites - une réelle alternative thématique et/ou visuelle au cinéma américain comme a pu le faire la France avec Jean-Pierre Melville et quelques autres. Au début des années 70, un vrai désir de polar se fait pourtant jour en Angleterre avec la production de trois réussites majeures : Get Carter de Mike Hodges (1971), The Offence de Sidney Lumet (1972) et Villain de Michael Tuchner (1972) - auxquels on peut ajouter l’ultime coup d’éclat d’Alfred Hitchcock, Frenzy (1972). Les films imposent une vraie proposition faite de paysages industriels sinistres du nord de l’Angleterre, de réalisme social, violence crue et de héros bordeline. L’accueil sera cependant mitigé, voire hostilee pour ces tentatives devenues cultes avec le temps, enterrant toute production réellement ambitieuse jusqu’au succès du mémorable The Long Good Friday (1980). C’est dans ce contexte sinistré que s’inscrit La Panthère noire, une tentative aventureuse qui choquera l’Angleterre.

Après avoir officié aux Etats-Unis à divers postes techniques, Ian Merrick revient au pays en 1976 pour trouver une cinématographie anglaise exsangue, à l’image de la crise économique que traverse le pays. Pensant être capable de monter des projets ambitieux à l’économie, il crée sa société de production et se lance dans l’écriture de son premier film. L’idée est de dépeindre l’impossible réinsertion dans la vie civile d’un ancien tueur de l’armée. Le projet s’enlise jusqu’à la rencontre avec le petit distributeur Alpha Films, qui accepte de financer le film à condition que Merrick transpose un fait divers très proche de la trame qu’il a imaginée, l’affaire de « la panthère noire ». Il s’agit des méfaits de Donald Neilson, ex-militaire, braqueur et auteur du rapt d’une adolescente à l’issue tragique qui vient de choquer le pays. Merrick accepte, le sujet à sensation attirant même des financiers supplémentaires même si cela desservira le film à sa sortie. Le cinéaste profite de la situation précaire des studios anglais pour construire des décors à moindre coût aux studios Elstree mais plus que la logistique, c’est le ton à adopter au niveau du scénario qui demande le plus d’efforts. L’affaire étant encore fraîche dans l’opinion publique, Ian Merrick et son scénariste Michael Armstrong font le choix de rester au plus près de la réalité en s’inspirant des témoignages, interviews et compte-rendus de procès disponibles. En enlevant tout le superflu, Merrick cherche à la fois à s’éviter les accusations de racolage, mettre en arrière-plan les réelles failles de la police et endosser le point de vue du très perturbé Donald Neilson. On sait par exemple que, nostalgique de ses années au sein de l’armée, ce dernier en imposait la discipline dans son foyer et emmenait femme et enfant dans des excursions en campagne où il leur faisait simuler des actions commandos. Merrick résume magistralement cela au ton martial et sec qu’adopte Neilson pour dicter la moindre tâche domestique durant le quotidien familial.

Tout tire ainsi vers l’épure, La Panthère noire déployant tout à la fois le mystère et l’interprétation de ce qui constitue un monstre. Les premières images frappent ainsi avec cet homme arpentant la campagne anglaise le paquetage chargé de pierres, s’astreignant à de pénibles exercices physiques et équipé comme s’il était en mission d’infiltration. La banalité de son allure détonne d’ailleurs avec l’arsenal déployé et l’attitude farouche qu’il se compose. Cette dichotomie entre sa médiocrité et la virilité à laquelle il aspire court ainsi tout au long du récit, dans des proportions de plus en plus dramatiques. La préparation militaire  méticuleuse jure avec la nature modeste de la cible de ses hold-up, de simples bureaux de poste, et surtout avec la maladresse de l’exécution ainsi que le ridicule butin en jeu. Toute sa persona criminelle repose d’ailleurs sur l’apparat, avec cette cagoule sombre et ce ton glacial qui intimident ses victimes avant que se révèle l’amateurisme de la Panthère Noire et que chaque tentative tourne court. La panique le fait ainsi céder à la violence meurtrière, le surnom et statut d’ennemi public numéro 1 se créant des conséquences plus que du délit initial. Ian Merrick crée ce sentiment par la répétitivité des cambriolages suivant le même schéma désastreux et qui s’alterne avec la jubilation de Neilson de retour chez lui. On le voit s’admirer fièrement dans son miroir, collectionner tel un adolescent le récit de ses méfaits dans un cahier qui en rejoint d’autres exposant une carrière militaire qu’on devine modeste. Là encore, la mise en scène nous met à distance de la psyché perturbée du personnage par un panoramique qui expose entièrement son bureau bondé d’équipements guerriers avant de s’arrêter sur la silhouette quelconque de leur possesseur.

Cette construction prendra une tournure plus sordide lorsque Neilson va s’essayer à un crime pour lequel il n’a pas l’envergure, l’enlèvement avec demande de rançon de l’adolescente Lesley Whittle. L’amateurisme de Neilson conjugué à la maladresse de la police et à une suite de hasards malheureux conduisent ainsi au fait divers qui révoltera l’Angleterre. Donald Sumper est absolument magistral dans le rôle-titre, incarnant une paradoxale "normalité imprévisible". Son visage insignifiant semble pouvoir se déformer à tout moment dans un rictus illustrant sa démence. Parfois l’armure se fend étonnamment lorsqu’on le voit pleurer devant un film ou prendre une attitude plus tendre pour convaincre sa victime alors qu’il l’emmène dans les égouts pour la séquestrer. Finalement Neilson est le reflet monstrueux de l’Angleterre des seventees. Il vit dans le souvenir de son passé militaire exaltant, tout comme le pays en crise fantasme la grandeur révolue de l’Empire britannique. Pour répondre à son quotidien terne, il revit donc par le crime les sensations de campagnes guerrières mais sera toujours renvoyé à son incompétence. L’imagerie clinique et terne dépeint ainsi un ordinaire morose impossible à transcender, la photo de Joe Mangine scrutant avec crudité la désolation du réel dans une campagne dépressive, une urbanité grisâtre. Aucune fioriture psychologique dans un montage sec et un dialogue réduit au minimum, le malaise naît de cette approche frontale et sans maniérisme qui laisse tout à l’interprétation du spectateur. Ian Merrick pousse en quelque sorte à l’extrême les expérimentations de Richard Fleischer dans L’Etrangleur de Boston (1968) et  L’Etrangleur de la place Rilington (1971).

En fin de production les tensions s’exacerberont pourtant, la presse extrapolant sur le contenu supposé racoleur du film. Convié à s’exprimer lors d’une émission télévisée, Ian Merrick est pris au piège sans pouvoir se défendre et la diffusion a un effet désastreux alors que la sortie est imminente. Le distributeur procède alors a une sortie limitée pour observer les réactions à Liverpool, Norwich, Hull et Birmingham. La malchance s’en mêle à nouveau puisqu’une météo catastrophique dans le nord de l’Angleterre ne permet une sortie effective et triomphale qu’à Liverpool. Birmingham et Hull, épargnés par le climat, voient leurs élus s’imposer avec la police à la première du film pour en empêcher la projection. Cette initiative signera le glas d’une possible sortie et hormis une édition VHS au début des années 80, le film restera invisible de longues années. Ce classique dérangeant et maudit du polar passé ce contexte explosif se doit d’être redécouvert aujourd’hui.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 16 mai 2016