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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Main qui venge

(Dark City)

L'histoire

Danny Haley et ses complices, bookmakers sans envergure, attirent Arthur Winant, un homme un peu naïf, dans une partie de poker. Mis en confiance par une première victoire dans une partie truquée par Haley et ses compères, il en joue une seconde au cours de laquelle il perd une grosse somme d’argent dont une partie appartient à son entreprise. Devant ce désastre, Arthur se suicide. Sidney, le frère aîné d’Arthur, un psychopathe, se met alors à la poursuite des trois hommes qu’il considère comme responsables de la mort de son frère, bien décidé à les tuer.

Analyse et critique

Le cinéaste William Dieterle a mené une carrière difficile à cerner, car composée de nombreuses époques. Il débute en Allemagne avant de rejoindre les Etats-Unis et la Warner, où il signera d’abord de très beaux films pré-code, à commencer par le sublime Jewel Robbery qui est peut-être son chef-d’œuvre. Le studio l’utilise ensuite pour réaliser des machines à Oscars beaucoup moins mémorables, dont La Vie d’Emile Zola, film récompensé plutôt pesant. Après un passage dans la démesure made in Selznick, il rejoint au début des années 50 le cinéma de série B, et le producteur Hal Wallis. C’est dans ce contexte qu’il tourne La Main qui venge, en plein âge d’or du Film noir et au sein d'une carrière déjà bien remplie pour ce cinéaste expérimenté. Tout le contraire de l’acteur principal du film, Charlton Heston, qui après avoir joué dans deux productions indépendantes trouve ici son premier rôle hollywoodien. Une entrée en matière marquante qui se classe probablement parmi les plus frappantes de celles des grands acteurs hollywoodiens. Dès le premier plan du film, Heston crève l’écran en marchant simplement sur un trottoir, sa présence et son charisme sont saisissants, nous offrant le sentiment incroyable de voir littéralement naître une star en un seul plan. Cela aurait déjà suffi à rendre le début de carrière de Charlton Heston unique mais il nous offre en plus une performance d’acteur très convaincante, particulièrement dans le rôle de Danny Haley, personnage de petit arnaqueur particulièrement antipathique auquel le comédien parvient pourtant à donner profondeur et humanité. Cette interprétation, à elle seule, justifie de voir La Main qui venge.


C’est tout le début du film qui est d’ailleurs plutôt marquant, Dieterle se montrant très inspiré dans sa mise en scène, notamment pour la séquence d’ouverture qui montre une descente de police dans le bureau de bookmaker contrôlé par Haley. Efficace et brutale, cette introduction donne le ton d’un film qui s’annonce très noir : des policiers sans complaisance, des délinquants peu aimables, il n'y a pas de refuge pour le spectateur dans le monde qui nous est dépeint. Voilà même un univers déprimant, où tout semble être mensonge. Danny n’est pas à sa place dans ce monde d’arnaqueurs à la petite semaine, sa relation avec sa petite amie semble vaine, et elle-même est une chanteuse ratée et en a conscience. Même Arthur Winant, la victime des escrocs, ment sur sa condition lorsqu’il nous est présenté, avant de gagner une partie de poker truquée, ce qui va l’amener à perdre gros dans une seconde partie elle aussi trafiquée. La Main qui venge dépeint un monde de mensonge, dont même l'intrigue principale, puisque le film suit un groupe de truands menant une enquête pour savoir qui cherche à se venger d’eux. Un renversement de valeurs étonnant, qui fait toute la singularité et l’intérêt du film qui se permet même de s’écarter de la norme du genre noir. Une des illustrations de ce décalage est le meurtre par Haley d’un homme qui convoitait sa femme et qui vient expliquer sa déchéance morale, qui aurait été une séquence typique de Film noir, est escamotée et uniquement racontée dans un échange entre Haley et le commissaire. Un choix surprenant, là où cette scène aurait été au cœur d'un Film noir banal. Dieterle fait à l'inverse un choix osé, et refuse ainsi d'excuser formellement le personnage par les images, une vraie prise de risque qui pourrait détruire l'empathie du spectateur mais qui au contraire continue d'ajouter à la passionnante complexité morale du film.


La première heure du film se déroule dans cette atmosphère noire, qui nous entraîne dans un récit rythmé et passionnant et dans un dilemme moral excitant. Malheureusement, le dernier tiers ne sera pas à la hauteur. L’introduction d’une romance très artificielle entre Haley et la veuve de Winant vient casser l’atmosphère du récit. Un mauvais choix probablement dû au producteur, Hal Wallis, qui abîme son film par cette décision mais n’en tirera pas de leçon, puisque lorsqu’il recyclera le même scénario pour 5 cartes à abattre de Henry Hathaway, la même faiblesse sera à déplorer. Toute la dynamique du film se grippe alors, les personnages se figent dans des archétypes moins profonds, et leur destinée semble évidente. Le suspense s’estompe et le rythme se fait bien moins soutenu. Nous sommes alors devant un film noir très commun, qui ne se distingue en rien des productions les plus banales du genre. Même Heston, mémorable dans la première heure, ne sauve pas la mise ; il propose un jeu plus rigide et terne, dans la peau d’un personnage qui l’est tout autant. Seule la présence de plus en plus oppressante du frère vengeur, interprété par l’impressionnant Mike Mazurki, vient donner de l’intérêt à cette terne dernière demi-heure. Il serait dommage toutefois de faire l’impasse sur La Main qui venge pour cette dernière partie. La qualité de ses deux premiers tiers et notamment de son ouverture, sa noirceur et l’apparition incroyable de Charlton Heston sont des arguments suffisants pour un visionnage plaisant, qui devrait offrir un bon moment à tous les amateurs de Film noir.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 12 juin 2020