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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Grande attaque du train d'or

(The Great Train Robbery)

L'histoire

En 1855, l'Angleterre, en guerre contre les Russes, organise le transport par train d'une cargaison de lingots d'or pour entretenir ses troupes qui combattent en Crimée. Escroc à la mine aristocratique, Edward Pierce entreprend de faire main basse sur le chargement entre Londres et Ostende. Pour réussir son coup, il s'adjoint les services de Roger Agar, un habile perceur de coffres.

Analyse et critique


En 1855, en Angleterre, des centaines de lingots d’or, destinés au front de Crimée, furent subtilisés en plein convoi par un certain William Pierce. C’est ce fait divers qui inspira Michael Crichton pour son roman de 1975 : Un train d’or pour la Crimée. Les droits furent aussitôt achetés par Dino de Laurentiis qui rêvait de voir Sean Connery dans le rôle. Comme le rappelle Laurent Chollet dans un bonus de l'édition blu-ray du film en 2018, Connery, star difficile, refusa dans un premier temps, puis se ravisa, non seulement grâce à la qualité du scénario, mais aussi parce qu’il finit par s’identifier, lui l’activiste écossais, avec l’impertinent Pierce qui fit ce magistral pied-de-nez à la couronne d’Angleterre ! A tout seigneur tout honneur, comme il avait déjà prouvé son efficacité de cinéaste avec Mondwest (1973) et le thriller Morts suspectes (1978), Crichton fut également engagé pour mettre en scène son propre roman dans cette production de prestige pour la MGM.


A priori, La Grande attaque du train d’or est largement éloigné des délires techno-futuristes ou des drames médicaux (voir la série Urgences) pour lesquels Crichton sera surtout célèbre, et le film connut un relatif insuccès à sa sortie en 1978. Mais en regardant de plus près, cette reconstitution mouvementée du premier casse ferroviaire de l’histoire est du pur Crichton : il s’agit, pour ce féru d’anthropologie et de civilisations, de pointer ironiquement, comme il le fait à chaque fois, les contradictions d’une société occidentale imbue d’elle-même, dont les prouesses technologiques (ici le train à vapeur lancé à toute vitesse et le système complexe de coffre-fort à ouvertures multiples) cachent mal la volonté de domination et de violence.


Et c’est peu de dire qu’avec la société victorienne, Crichton s’en donne à cœur-joie ! C’est pourquoi, pour accompagner les méfaits du gang dirigé par Pierce (prénommé Edward dans le film), il a demandé à son compositeur fétiche, Jerry Goldsmith, une musique particulièrement enjouée. Car Pierce, si immoral soit-il, ne fait que reprendre à son compte l’ironie de la haute société britannique (voir son dialogue à double sens sexuel avec la jeune épouse frustrée d’un vieux banquier), se sert des vices de cette bourgeoisie (les combats d’animaux, les bordels de luxe, l’exclusion sociale) pour manipuler ses proies de manière éhontée et, finalement, semble surtout concevoir son casse pour mettre à l’épreuve son génie tactique et ses capacités physiques. Pour le sport. Au fond, le dynamisme, l’intelligence, le faux-semblant, la soif d’argent et de respectabilité, et même le « fair-play » de ce personnage ne sont que le reflet, dans l’illégalité, de ceux de l’Angleterre victorienne dans son entier.


Au niveau de la mise en scène, Crichton prend un malin plaisir à contredire la photographie raffinée et « bourgeoise » du grand Geoffrey Unsworth (2001, Cabaret, Superman - excusez du peu) par un montage heurté. Pour dire les choses autrement : Crichton casse l’académisme potentiel de la fine reconstitution d’époque par un découpage ludique dans le style de Mission : Impossible : séquences itératives où chaque membre du groupe apprend son rôle telle une troupe de théâtre, mini flash-back pour revenir sur une feinte trop rapide, chronométrages des mouvements à la seconde près, ellipses nous projetant à l’instant T, etc. Mais, comme toujours chez Crichton, cette science et ce ludisme ne sont qu’une course en avant suicidaire, celle d’une société au bord du gouffre : les Britanniques jugent à raison que cette guerre de Crimée, entre la Russie d’un côté et la coalition franco-anglo-turque de l’autre, est quelque peu confuse, mais cela ne les empêche pas d’y aller gaiement ! Et Pierce, évidemment, ne prend pas au sérieux ce conflit lointain.


Or, ce Great Game comme l’appelait Kipling (soit la rivalité entre la Russie et l’Angleterre pour contrôler les routes commerciales du Proche-Orient au détriment de la Turquie) va tout de même contribuer aux « ententes » hypocrites de 1914-1918 et, par la suite, au découpage arbitraire du Moyen-Orient, qui a toujours des répercussions aujourd’hui ! (1) Voilà, semble nous dire le moraliste Crichton dans ce film moins léger qu’il n’y paraît, où nous mène la science trop sûre d’elle-même, voilà où nous mène le nec plus ultra de la civilisation...

(1) En intervenant de nos jours au Moyen-Orient, Poutine poursuit à sa manière le Great Game de ses ancêtres.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Claude Monnier - le 29 novembre 2018