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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Folle escapade

(Watership Down)

L'histoire

A la suite d’une sombre prophétie, quelques lapins quittent leur garenne à la recherche d’une autre, plus paisible. Leur chemin sera semé d’embuches et de désillusions.

Analyse et critique

La Folle escapade est le premier long métrage d’animation de Martin Rosen. Si le film est inédit en France, relativement méconnu, il compte parmi les plus grands succès du cinéma britannique. A l’origine, il s’agit de l’adaptation d’un best-seller de Richard Adams : Les Garennes de Watership. Rosen n’était absolument pas lié à l’animation avant d’y tomber un peu par hasard et de manière précipitée en reprenant le tournage du film. Ayant travaillé avec Ken Russel sur Love, il n’avait aucune appréhension du support lorsqu’il s’y colla.

D’emblée, dès l’ouverture, le contraste avec son film suivant, The Plague Dogs est saisissant. Autant The Plague Dogs débutait de la manière la plus sombre, la plus anxiogène possible dans le bassin d’un laboratoire d’expérimentations, autant La Folle escapade peut sembler plus enfantin. Les teintes sont pastels, les lapins assez mignons, le décor bucolique à souhait. Néanmoins Rosen, dès ce film inaugural, sait injecter du malaise et de la noirceur dans l’univers a priori rose bonbon et aseptisé qu’il dépeint. Dans les deux films, l’aventure débute à la suite de terribles prédictions. Ici, un petit lapin imagine la fin de sa garenne après avoir reniflé la fumée d’un vieux mégot. Soudain, le décor adorable est submergé par des aplats de couleurs sombres, la garenne est plongée dans les ténèbres, le sang afflue et immerge le plan. On songe presque aux ascenseurs de Shining. Comme dans The Plague Dogs, la fuite, la recherche d’une terre promise, d’un quelconque paradis découlent d’une vision d’horreur. La Folle escapade et The Plague Dogs sont des récits de prophétie.

Cette irruption de l’horreur dans le monde enchanté de la Garenne provoque un malaise dont le film ne se remettra jamais. Chez Rosen, le malaise est d’autant plus prégnant que le graphisme est enfantin, les couleurs simples et douces, l’animation assez rudimentaire. La Folle escapade est moins souple que The Plague Dogs. On y trouve encore peu de mouvements de caméra, peu de fluidité. Il se produit toujours un décalage entre le monde tel qu’il est présenté et ce que dissimule, cache cet univers. Alors que les lapins errent dans une étrange garenne, l’un d’eux ressent le danger aux alentours et dit se sentir comme « dans un brouillard. » Le monde de Rosen est une énorme brume où derrière la façade jolie se tapit la violence d’une nature à moitié sauvage.

Dans La Folle escapade, l’Hampshire se fait une puissante image de cet entre-deux. Il s’agit d’une campagne verdoyante anglaise, à mille lieues du décor romantique et sauvage du Lake District dans The Plague Dogs. C’est un terrain à la fois naturel et domestiqué, un lieu où les lapins peuvent à la fois se nourrir convenablement mais également être à chaque instant la proie des hommes. Ainsi, aux détours d’un buisson fleuri, l’un d’eux est capturé dans un collet. Une garenne peut dissimuler un tombeau. Un terrier peut être le lieu de privilèges des chasseurs. Dans ce monde, il n’y a jamais de répit. La main de l’homme est partout au milieu d’un décor qui lui-même n’est qu’un attrape-nigaud. Chaque fleur, chaque bosquet, chaque sous-bois n’est jamais exactement ce qu’il semble être. Comme pour les lapins, le spectateur est victime de ses représentations, de ses clichés sans appréhender le danger de cette fausse nature.

Comme il le réitèrera dans The Plague Dogs, Rosen fait jouer John Hurt et différents comédiens. Leurs voix sont souvent atones, monocordes, d’une puissante sobriété. Cela renforce le malaise et la distance avec les lapins. Autant ces voix nous permettent de mieux les approcher par un travail assez commun d’humanisation des bêtes, autant cette manière de discuter nous les rend lointains. On est à la fois avec eux sans être tout à fait eux. Cette idée travaille ce qui intéresse vraiment Rosen dans les deux films : une forme de réalisme dans le dessin animé et une façon de mieux faire comprendre aux humains leurs erreurs et leur irresponsabilité.

La Folle escapade est donc l’histoire d’une quête et d’une prophétie. Rosen et Adams ont créé des héros mythologiques inspirés autant de LÉnéide que de L’Odyssée. La plupart des lapins cherchent leurs fonctions à jouer dans ce groupe, leurs dons respectifs. Le chef est un héros sacrificiel qui doit d’abord songer à l’avenir de son espèce. Sur leur chemin, les petits rongeurs de carottes croisent et affrontent des politiciens. C’est le versant fable politique du film qui emprunte à divers niveaux à La Ferme des animaux d’Orwell. Le premier chef de garenne est un vieux politicard roué, fatigué et gras. Il vit replié au fin fond de son terrier sans aucun contact avec ses sujets, ni le réel. Il reste là, tapi, effrayé par la rumeur du monde en attendant de mourir après avoir mangé tout ce qu’on aura été susceptible de lui apporter. C’est la première critique acerbe du film portée contre l’immobilisme politique. En effet, le vieux chef refusera de quitter sa garenne sans écouter la voix des plus jeunes. Il fera ainsi mourir une partie de son peuple. Quant au second, c’est un tyran, un despote qui ne croit plus en rien. Sceptique, il croit s’étouffer quand on lui propose une vie de paix, d’harmonie entre les lapins. Egalement sujet à une peur maladive du réel, paranoïaque, il exerce son joug d’une patte de fer. Il est le grand ennemi de nos héros. Quant à ces derniers, au fil de leurs aventures, ils feront l’expérience de la démocratie et de l’égalité. Mais aussi de la rencontre et de l’amitié avec les étrangers dont une étrange et facétieuce mouette.

Le film jouit aussi d’une pente onirique et poétique. Le héros est suivi par l’ombre du lapin noir, de la mort. Jusqu’au bout de son aventure, il cherchera à sauver son peuple en échappant aux assauts de son plus cruel ennemi. Parvenu au bout de sa mission sur Terre (mission symbolique, sacrificielle, mythologique), il devra enfin accepter la mort et le passage des générations. La scène survient au terme du film et lui insuffle une ultime touche mélancolique et douce.

Mais comme nous le disions, la sombre prophétie du début aura inoculé son malaise sur le monde. Et l'on ne s’étonnera plus dès lors de voir au milieu de cet univers faussement enfantin le sang couler régulièrement, la violence s’abattre sur la brume. Le duel final en particulier est d’une cruauté rare qui annonce les morsures de The Plague Dogs. Dans ce premier long métrage très ambitieux, Rosen invente surtout une manière ultra réaliste, dans un univers du doute, du danger. Un chausse-trappe vertigineux sans répit. Un univers piégé sans concessions. La nature n’est jamais aussi sauvage ou belle qu’elle le paraît. Et ces bêtes, elles-mêmes sont beaucoup moins naïves qu’on le voudrait. Rosen a innové avec ce dessin animé aussi beau que gênant, enchanté que malaisant. Malheureusement, contrairement à ses lapins, le cinéaste n’aura pas de vraie descendance dans le monde animé. La Folle escapade est une étonnante découverte.

Dans les salles

DISTRIBUTEUR : SPLENDOR FILMS

DATE DE SORTIE : 28 novembre 2012

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Par Frédéric Mercier - le 22 novembre 2012