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Critique de film
Le film

La Blonde du Far West

(Calamity Jane)

L'histoire

Calamity Jane (Doris Day), très populaire dans sa ville de Deadwood (Dakota), est un véritable garçon manqué aux manières frustres, très habile au tir. Derrière son dos, attisés par Wild Bill Hickok (Howard Keel), ses concitoyens ne manquent pas une occasion de se moquer de sa vantardise outrancière, de sa naïveté et de son caractère très "soupe au lait". Tous ces défauts ne l'empêchent pas d'avoir un cœur d'or ; elle va tout faire pour sauver de la faillite son ami Henry Miller (Paul Harvey), le tenancier du saloon local qui vient de subir un bide monumental avec la prestation calamiteuse de Francis Fryer (Dick Wesson) qu'il avait obligé à se travestir en femme après avoir annoncé à ses clients la venue d'une certaine... Frances Fryer. Pour que son établissement ne soit pas vite déserté, il faut que Miller trouve au plus vite une remplaçante qui fasse le poids. Voilà que Calamity part pour "Chicagee" à la recherche d'Adélaïde Adams, une chanteuse adulée que les habitants de Deadwood, en manque de présence féminine, rêveraient de voir se produire dans leur petite bourgade. Mais "Calam" ramène sans le savoir la bonne de la star, Katie Brown (Allyn Ann McLerie) qui, rêvant de monter sur scène, se fait passer pour sa patronne. Le lieutenant Danny Gilmartin (Philip Carey) et Wild Bill Hickok ne vont pas être insensibles aux charmes de la nouvelle venue, au grand dam de Calamity qui prend du coup conscience de son manque de féminité...

Analyse et critique

Après The Harvey Girls et Annie reine du cirque (Annie Get Your Gun), tous deux signés George Sidney, voici avec Calamity Jane une troisième comédie musicale qui se déroule dans le Far-West du XIXème siècle et s'approprie respectueusement tous les codes et ingrédients du genre, toujours avec beaucoup d'humour. Annie Get your Gun mettait déjà en scène un fameux personnage féminin de l'histoire de l'Ouest, Annie Oakley, qui fut l'une des principales attractions du cirque de Buffalo Bill. Concernant cette autre célébrité qu’est Calamity Jane, nous avions déjà eu l'occasion de rencontrer ce personnage sous les traits de Jean Arthur dans le superbe The Plainsman (Une aventure de Buffalo Bill) de Cecil B. DeMille, aux côtés de Gary Cooper dans le rôle de Wild Bill Hickok, puis sous ceux de la splendide Yvonne De Carlo dans un western beaucoup moins connu mais excellent lui aussi, réalisé par George Sherman en 1949, La Fille des prairies (Calamity Jane and Sam Bass). En cette année 1953, c’est au tour de Doris Day d’endosser le rôle de la tireuse d’élite la plus emblématique qui soit ; et elle le fait avec un abattage confondant !

Cette parodie a été réalisée par David Butler, cinéaste assez peu connu, déjà à l’origine du plaisant San Antonio, l'un des plus gros budgets de la Warner dans le genre et qui mettait en scène Errol Flynn et Alexis Smith. Mais les amateurs de comédies musicales le connaissent mieux que les westernophiles puisque ce fut quasiment son genre de prédilection. Toujours à la Warner à qui il fut très fidèle, Butler a sans doute réalisé - après ceux de Michael Curtiz - les films musicaux les plus sympathiques du début de carrière de Doris Day avec Tea For Two et Escale à Broadway (Lullaby of Broadway). Mais il est évident que son talent est bien moindre que celui de George Sidney et, techniquement et plastiquement parlant, son Calamity Jane n’est pas du même niveau que The Harvey Girls ou Annie Get your Gun avec lequel il possède néanmoins d’innombrables points communs. A commencer par son personnage principal qui aurait d’ailleurs très bien pu être interchangeable, Betty Hutton et Doris Day les interprétant sur le même tempo et sur le même registre, à savoir celui du cabotinage le plus éhonté ; il vaut mieux prévenir les lecteurs car ces deux prestations pourraient en fatiguer ou agacer plus d’un alors que d’autres au contraire se réjouiront d’une telle énergie à revendre !

Même si le film possède un rythme assez soutenu, la mise en scène est trop peu inspirée pour en faire une grande comédie musicale. Cela dit, cette dernière s’avère néanmoins franchement très amusante. Elle est portée à bout de bras par une Doris Day gouailleuse et survoltée, qui s'amuse visiblement comme une folle à se comporter et à parler comme un garçon mal dégrossi. Son énergie et son abattage sont communicatifs. Son registre étant assez vaste, elle arrive même vers la fin du film à nous toucher par sa vulnérabilité : se rendant compte de sa grossièreté et de sa lourdeur, bref de son manque de féminité qui, jusqu’à ce qu’elle tombe amoureuse, ne lui faisait pas défaut, elle tente de retrouver charme et attrait, faisant également en sorte d’oublier sa pudibonderie exagérée. Naïve, voire même idiote, moquée par ses concitoyens qui ne peuvent s’empêcher dans le même temps de la respecter et de l’admirer, Doris Day compose un personnage clownesque mais finalement très attachant. Quant à Howard Keel, il se révèle toujours aussi sympathique, n’hésitant pas une seconde à se moquer de lui-même et de son personnage de bellâtre vantard. Si certains (nombreux) ne seront pas encore convaincus à cette occasion par leur talent de comédiens, ils devraient en revanche l’être par leur génie vocal. Car ce qui est certain, c'est que ce sont deux chanteurs formidables et ils ont ici de quoi le prouver car les tubes se suivent sans discontinuer, à commencer dès le début par le revigorant The Deadwood Stage (sur fond de transparences hideuses, décidément typiques de la Warner de cette époque).

S’ensuivent, toujours aussi remuantes, l’amusante et acrobatique Just Blew in from the Windy City par une Doris Day qui se démène comme un beau diable ; l’hilarante I Can Do Without You en duo avec Howard Keel, une chanson qui ressemble étrangement à la plus mémorable de celles que l’on trouvait dans Annie Get your Gun, déjà un duo-scène de ménage entre Keel et Betty Hutton, Anything You Can Do, I Can Do Better ; la sympathique A Woman's Touch, un duo de femmes chanté par Doris Day et la très belle découverte que fut l’actrice Allyn Ann McLerie dont on regrette qu’elle n’ait pas fait une grande carrière au cinéma. Howard Keel prouvait qu’il était toujours un fabuleux baryton avec la délicieuse Higher Than a Hawk ; la très belle ballade The Black Hills of Dakota précédée d’une phrase de Doris Day nous rappelant que nous étions en pleine période de réhabilitation de la nation indienne : « Pas étonnant que les Indiens se battent pour garder ce pays. » Et enfin, la chanson phare du film enregistrée en une seule prise, celle qui du jour au lendemain a propulsé Doris Day encore plus haut dans les sommets des box-office, Secret Love : plus d’un million d’exemplaires vendus et l’Oscar de la meilleure chanson de l’année !

Alors il semble évident qu’il ne faut pas chercher ici quelconque élégance ou finesse : David Butler et son scénariste sortent la grosse artillerie (cela dit, extrêmement efficace) et la bonne humeur qui parcourt le film devient vite contagieuse. On retrouve avec plaisir Philip Carey, inoubliable quelques mois auparavant dans Bataille sans merci (Gun Fury) de Raoul Walsh, ici il est vrai un peu effacé par le dynamisme de ses partenaires dont un Howard Keel qu’il faut avoir vu être obligé de se déguiser en squaw suite à un pari qu’il pensait perdu. On relève aussi d’excellentes chansons et une énergie débordante sans lesquelles le film serait probablement tombé aux oubliettes. Un film qui plaira avant tout aux fans de Doris Day, qui s’est d’ailleurs toujours plu à dire qu’il s’agissait de son film préféré. Elle écrivait dans son autobiographie intitulée Doris Day, her own Story : “In 1953 I made one of my favorite musicals, Calamity Jane. I loved portraying Calamity Jane, who was a rambunctious, pistol-packing prairie girl (I lowered my voice and stuck out my chin a little). I can’t say that the physical high jinks of jumping on horses, bars, wagons, and belligerent men or doing pratfalls in muddy streams seemed to be particularly exhausting… I had a great working relationship with my costar, Howard Keel, and absolutely first-rate songs to sing (by Sammy Fain and Paul Webster), one of which, Secret Love, became my third million-plus recording and won that year’s Academy Award.”

En savoir plus

La fiche IMDb du film

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Par Erick Maurel - le 10 mai 2012