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Critique de film
Le film
Affiche du film

La 317ème section

L'histoire

Une section de l'armée française, composée de quarante et un supplétifs vietnamiens et de quatre Français, reçoit l'ordre par radio de quitter le fortin avancé qu'elle occupe à Luong Ba et de rejoindre un camp retranché à Lao Tsaï. Pendant la marche forcée entre les deux camps, la section apprendra la chute de Diên Biên Phu. Tout un symbole pour nos militaires, qui rendent coup pour coup malgré la fatigue et un moral déjà bien atteint. Arrivés en vue de Lao Tsaï, ils ne trouveront qu'un lointain panache de fumée indiquant que, là aussi, le rapport de force inégal a contraint les défenseurs à la reddition. Le sous-lieutenant Torrens et l'adjudant Willsdorf tenteront alors de rejoindre les montagnes...

Analyse et critique

Animé par un fort esprit d'aventure et la volonté de devenir cinéaste, le jeune Pierre Schoendoerffer aborde le conflit indochinois comme correspondant de guerre déjà fortement imprégné par ses lectures (Kessel, Conrad), endurci par ses premières expériences de marin, et avec l'héritage moral d'une famille aux racines alsaciennes qui a subi de plein fouet les deux premières guerres mondiales. Fidèle à la parabole des talents qui l'accompagnera toute sa vie, il se jette à corps perdu dans les évènements et fera en Indochine les rencontres importantes qui vont émailler toute son oeuvre ; les lieutenants et les capitaines, les amis journalistes, mais aussi les combats éprouvants et la captivité à l'issue de la bataille de Diên Biên Phu. L'homme qui rentre de la guerre après avoir accompli un tour du monde est la somme de tout cela. Il se forgera même un devoir de témoigner, se considérant comme un survivant qui a une dette à rembourser, et il n'aura de cesse tout au long de son oeuvre littéraire et cinématographique de partager les talents que la vie et son courage lui auront confiés. Onze années après la terrible défaite de Diên Biên Phu, La 317ème section arrive sur les écrans français.

Au début des années 60, après une collaboration avec Joseph Kessel, après l'adaptation de deux romans de Pierre Loti, Schoendoerffer n'a pas encore pris son véritable envol et bien qu'ayant écrit son propre scénario, il ne trouve pas de financement pour son projet. Il se tourne donc vers l'écriture, et c'est accompagné d'un roman qu'il se présente de nouveau au public avec succès cette fois-ci car le livre reçoit un bon accueil, ce qui persuadera deux producteurs de se lancer dans l'aventure : Le Français Georges De Beauregard, grand pourvoyeur de la Nouvelle Vague, et l'Espagnol Benito Perojo qui est une figure importante du cinéma en Espagne. C'est à ce moment-là que Pierre Schoendoerffer va constituer un nouveau socle pour son oeuvre à venir, en instituant des collaborations aux allures de troupe, que ce soit avec Georges De Beauregard qui produira tous ses films, avec Raoul Coutard, l'ingénieur image, ancien de la guerre d'Indochine qui tournera beaucoup avec lui, ou avec les deux acteurs têtes d'affiche, Jacques Perrin et Bruno Cremer qu'il retrouvera tout au long de sa carrière. Il faut noter que dans le reste de l'équipe technique et pour les seconds rôles, plusieurs sont des vétérans ou travailleront sur d'autres projets de SchoendoerfferLa 317ème section est son quatrième film.


Le film s'ouvre sur un plan de termites qui grouillent au sol, accompagné par une musique lancinante de Pierre Jansen. Ces termites, ce sont Torrens ou Willsdorf, ce sont les troupes Viet Minh courant chacun après un destin inexorablement broyé par l'histoire, c'est la description d'un savant travail de sape qui se joue et que rien ne pourra arrêter. L'entrée en scène des deux principaux acteurs est magistrale, en deux plans qui trouvent Torrens (Jacques Perrin) enfournant le drapeau français sous sa veste de treillis et Wilsdorf (Bruno Cremer) au garde-à-vous saluant les couleurs d'une main aussi large qu'un battoir, le tout sur fond de bruit de fusillades. Très vite, les rapports entre les deux hommes deviendront un des centres d'intérêt du scénario. Leurs parcours et leurs caractère si différents, que nous découvrons au détour des conversations au bivouac ou lors de leurs désaccords, signent sans doute deux archétypes de ce qui constituaient les effectifs engagés en Indochine. Un jeune Saint-Cyrien idéaliste d'un côté et un vétéran de la Seconde Guerre mondiale revenu de tout de l'autre, autant dire que ces deux personnages représentent des morceaux de choix pour Schoendoerffer qui les fera finalement se lier d'amitié.

C'est dans ce credo que l'auteur s'exprime finalement à coeur ouvert. Il a une profonde empathie pour ces types, il les fait s'exprimer et dévoiler le fond de leur pensée. Même de façon abrupte ou maladroite, on touche du bout du doigt des bribes d'explications sur les raisons de leur engagement, de leur présence en Indochine. Willsdorf se voit bien acheter une paillote au bord de l'eau, se marier avec une Tonkinoise, il se sent bien dans ce pays. Ce ne sont pas des réflexions que l'on retrouvera dans les films américains qui traiteront de la guerre du Vietnam un peu plus tard. Il est à noter que Schoendoerffer est allé puiser dans ses racines familiales alsaciennes l'histoire de ce Willsdorf qui est un « malgré nous », ce qui contribue encore à souligner la complexité des situations croisées durant la guerre d'Indochine. L'élaboration du scénario de Pierre Schoendoerffer s'accompagne d'une volonté de réaliser une œuvre vierge de moralisme, pas de leçons, pas de messages. Il est intéressant de remarquer que cette méthode aboutit à une oeuvre « morale » parce qu'authentique.

Torrens : « C'est dégueulasse. »
Wilsdorf : « Qu'est-ce que ça veut dire dégueulasse ?! C'est la guerre, ils savent la faire les fumiers. Chapeau ! »


Fort de son devoir de témoignage, notre réalisateur va avoir un maître-mot durant le tournage, un objectif qui sera sa priorité et qui va donner à La 317ème section son identité et fera aussi son succès et sa renommée : le réalisme. Il commencera par emmener « tout son petit monde » au Cambodge où l'une de ses anciennes relations, le roi Sihanouk lui-même, l'invite à tourner son film et met à sa disposition une section de militaires pour la figuration. Dans cette aventure, tout le monde va perdre des kilos car Schoendoerffer mène son monde comme un capitaine de compagnie. C'est à ce prix que la quête de vérité trouvera un écho favorable selon lui. Schoendoerffer va faire reposer l'intérêt de son film sur sa structure même, puisque le narrateur va occuper la position d'un quarante sixième militaire faisant partie de la section : la caméra. Le spectateur n'en sait jamais plus que le lieutenant Torrens ou l'adjudant Willsdorf. Jamais ce quarante sixième protagoniste ne se transporte ailleurs qu'au coeur de l'action, et jamais la caméra ne se départ du point de vue ou de la vision d'un membre de la section. Ce sont les consignes de Schoendoerffer pour une réalisation au service du réalisme, sans mouvements de grue, avec une caméra à hauteur d'homme, mise à part pour l'introduction et la fin du film qui sont des images de jungle ou de rizières prises d'un hélicoptère et opérant comme un lever et un baisser de rideau. Autre grande qualité des images, elles sont toutes parfaitement intelligibles, on a une sensation de caméra à l'épaule au coeur de l'action mais jamais avec les images brouillonnes et illisibles que l'on semble devoir y accoler aujourd'hui. En complément, Raoul Coutard va gratifier son travail en tournant des images en noir et blanc absolument somptueuses, ponctuées de portraits qui mettent les âmes à nu. Le résultat est une part de véracité supplémentaire à l'expertise militaire de Schoendoerffer pour nous mener à des sensations proches du documentaire.

La 317ème section est une preuve de ce que la Nouvelle Vague est beaucoup plus protéiforme que ce que nos habitudes de penser nous laissent imaginer. Le réalisme quasi-documentaire qui est l'objectif de Schoendoerffer ne vient pas d'une spontanéité du tournage, d'une prise sur le vif, mais d'une expérience vraie de l'homme de guerre rapportée avec précision, d'une grande rigueur des images et d'une écriture très stricte du scénario. Si la présence du producteur De Beauregard et du chef opérateur Coutard, l'époque du tournage, et l'authenticité du film ancrent celui-ci dans la Nouvelle Vague, la méthode employée en fait une antithèse du travail de Jean Rouch par exemple, pour citer un père fondateur lui aussi épris de cinéma documentaire.

Anecdotes

Le film a reçu la Palme du meilleur scénario au Festival de Cannes en 1965, ex-aequo avec La Colline des hommes perdus de Sidney Lumet. Les derniers échanges entre le lieutenant Torrens et l'adjudant Wilsdorf sont un clin d'oeil au final d'A bout de souffle de Jean-Luc Godard, que réitérera Pierre Schoendoerffer dans son film suivant, Objectif 500 millions, en faisant passer le personnage de Bruno Cremer devant une affiche de Pierrot le fou. Bertrand Tavernier est cité au générique de La 317ème section en tant que chargé de presse. La 317ème section était et restera une référence y compris pour les réalisateurs américains, dont Francis Ford Coppola qui n'hésitera pas à rendre un hommage direct à Schoendoerffer dans son film Apocalypse Now Redux. Pour ce faire, il réutilisera l'anecdote métaphorique du blanc d'oeuf qui fiche le camp à travers les doigts pendant que le jaune reste coincé au creux de la main, et fera participer Aurore Clément (créditée au générique du Crabe Tambour) à quelques scènes longtemps restées inédites. En 2010, Pierre Schoendoerffer et Raoul Coutard ont tous deux supervisé une restauration du film sous le patronage de StudioCanal et de la Cinémathèque française.


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Henry - le 26 février 2013