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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Ouragan de la vengeance

(Ride in the Whirlwind)

L'histoire

Une diligence est attaquée par une troupe de brigands. Durant l’altercation un homme est tué et l’un des bandits grièvement blessé. La bande trouve refuge dans un gîte. Trois cow-boys s’arrêtent au même endroit pour se reposer. Ils comprennent vite, malgré l’accueil sympathique, que leurs hôtes sont des desperados. Le lendemain matin, des coups de feu retentissent. Une milice attaque le gîte, ne faisant pas la différence entre les malfrats et les trois innocents.

Analyse et critique

Monte Hellman rencontre Jack Nicholson sur le tournage de The Wild Ride (Harvey Berman, 1960) où il est diligenté par Roger Corman comme producteur associé, sans trop savoir ce qu’on attend de lui à ce poste. Hellman et l’acteur deviennent immédiatement amis et ne tardent pas à s’atteler à l’écriture du scénario d’Epitaph, à partir d’un matériau autobiographique de Nicholson. Le film ne verra pas le jour, mais les deux hommes s’entêtent et signent ensemble le scénario de Flight to Fury qu’Hellman met en scène en 1964. Depuis leur rencontre, la carrière des deux hommes n’a pas énormément évolué au sein du studio. Hellman est tour à tour monteur et assistant, Nicholson joue les seconds rôles, notamment pour Corman dans La Petite boutique des horreurs (The Little Shop of Horrors, 1960), Le Corbeau (The Raven, 1963) ou encore The Terror (1963) film dont Hellman et Nicholson mettent en scène certains passages. Toujours en 1964, Hellman dirige à nouveau l’acteur dans Back Door to Hell, un film de guerre qui ne provoque que peu d’intérêt.

The Shooting et L’Ouragan de la vengeance vont d’un seul coup changer la donne. Nicholson propose à Corman un film de genre très codé avec Ride in the Whirlwind, qui offre l’avantage de pouvoir être tourné dans la foulée de The Shooting, premier scénario de Carole Eastman (qui signera le magnifique Five Easy Pieces quatre ans plus tard), avec la même équipe technique et sur les mêmes lieux (en Utah), pour un budget total ne dépassant pas 150 000 dollars. Corman accepte, le budget très réduit assurant à Hellman et Nicholson une liberté totale. En contrebandiers, les deux compères vont réaliser deux œuvres détonnantes, improbables dans le paysage des productions Corman. Hellman développe un style très personnel, héritage de ses années de metteur en scène de théâtre (entre 1952 et 1957) et de son amour du cinéma européen, tandis que Nicholson crève l’écran par une aura et un charisme évident qu’il n’avait pu jusqu’ici insuffler à des seconds rôles qui jouaient surtout sur sa capacité au rictus machiavélique.

Le sujet de L’Ouragan de la vengeance est très classique, le film mettant en scène la traque d’individus injustement accusés par une milice dont la promptitude pour faire parler les armes n’a d’équivalent que celle de rendre la justice. On imagine facilement que Corman, une fois vérifié que le script contienne bien son quota d’action et de coups de feu, après peut-être avoir essayé sans trop de conviction de glisser quelques nymphettes peu vêtues dans le récit, se soit désintéressé complètement du projet. « Corman se contre-foutait de ce que je faisais, pourvu que je ne dépasse pas le budget alloué et j’avais donc une totale liberté. » (Crossroads 37, novembre 2005). On peut également imaginer sans peine sa surprise devant le résultat final, d’autant que la même équipe remettait le couvert avec The Shooting. Soit deux films qui prennent le contre-pied complet des scripts, deux films qui s’évertuent à ébranler le spectateur sur ses bases, deux films qui s’amusent à déjouer toutes ses attentes. Deux récits de poursuites et de vengeance qui refusent l’action et le spectaculaire, qui prennent à rebrousse-poil leur représentation établie.

L’Ouragan de la vengeance est un western où le silence emplit l’espace, où de longues plages sans paroles, ou même les bruits naturels sont imperceptibles, sont subitement troués par les explosions tonitruantes des armes à feu. Les dialogues ne remplissent pas leurs rôles logiques, ils sont décousus, parfois très éloignés des enjeux de l’intrigue. Les échanges entre les bandits et les cow-boys sont subtilement décalés par rapport aux archétypes du genre. L’Ouragan de la vengeance n’est pas véritablement un « western de l’absurde » comme on aime à le décrire et l’influence de Beckett, si souvent cité, n’est pas ce qui caractérise au mieux le film. Certes Hellman est un érudit (il est dès son plus jeune âge influencé par Camus et il est le premier à monter En attendant Godot sur la côte Ouest) mais cette source littéraire et philosophique ne prend pas le pied sur ce qui est d’abord un regard singulier sur un genre, dont le cinéaste filme l’extinction, et sur un médium dont il entend bousculer les habitudes.

L’enjeu du film est avant tout le temps et l’espace, le temps mis à traverser un certain espace, soit le mouvement. Le western prend sa source dans la conquête de l’Ouest, dans ces étendues inconnues qu’il s’agit de traverser, dans la durée de cette traversée qu’il faut réduire au minimum pour échapper à ses dangers (la chaleur, la soif, les attaques). Le sujet d’une traque, d’une course en avant des corps, est une variation sur ce thème. Il faut là encore aller vite et loin, et même si la topographie se réduit d’un pays à une montagne à traverser, les enjeux sont les mêmes : la faim, la brûlure du soleil, la fatigue, le danger des balles qui sifflent. Mais l’horizon du western s’est réduit avec la fin de la conquête de l’Ouest. C’est l’heure de la sédentarisation, la fin de la grande aventure. Il y a une opposition constante entre le mouvement et l’arrêt. Les trois cow-boys parlent du futur, deux d’entre eux désirent s’installer quelque part, Nicholson lui pense que vivre c’est être à cheval. Pour ces westerners, l’immobilité, c’est la mort et la vision d’un pendu vient bientôt confirmer cet adage. A cheval on peut survivre, à pied ou enfermés dans un refuge comme la bande d’hors-la-loi, on est à la merci de tous et condamné à se balancer au bout d’une corde. Une fois la côte Ouest atteinte, c’est la fin d’une époque. Les cow-boys se sédentarisent, ils enlèvent leurs éperons (ce dont se plaint Nicholson dans le film), le mouvement cède la place à l’immobilité. La spécificité de leur mode de vie n’est plus, et ils ne peuvent que disparaître. Leur monde se couvre de poussière comme un vieux livre d’images sur un rayon d’antiquaire, comme un objet témoin d’une époque révolue qui n’intéresse plus personne. Hellman filme constamment cette poussière qui recouvre vêtements et paysages.

Le western quitte ses oripeaux mythiques pour se confronter au vide. Le temps passe au rythme d’actions anti-dramatiques : les trois cow-boys enlèvent les selles de leurs chevaux sur fond de discussion sans enjeux ; bandits, fuyards et otages semblent s’ennuyer. Les héros sont fatigués. Leur monde vidé d’enjeux les épuise. Qu’ils soient bandits de grands chemins ou cow-boys, ils ont perdu leur aura légendaire.

Dès le début, toute furie est absente de l’attaque de diligence. Quelques coups de feu, un corps tombe, un autre est blessé, mais nuls cris, nul véritable violence. Plus tard ce seront de longs échanges de tirs, mais là encore aucune tension ne vient secouer la scène. Les cibles attendent que l’orage passe, que les coups se taisent et c’est seulement au bout d’une attente qui semble devenir infinie qu’ils se décident à agir. Lors de la première confrontation, Hellman détruit complètement la scénographie et l’espace, le spectateur est presque incapable de suivre l’action. A la fin du long métrage, le réalisateur filme longuement la dernière scène jusqu’à ce que le nuage de poussière se soit complètement dissipé. Entre les deux, peu de péripéties et un étrange étirement du temps qui donnent une sensation de fin de règne, de fin du monde. Les dialogues et le jeu des comédiens appuient cette forme de minimalisme, épousent ce regard si particulier sur le genre. Ce traitement s’applique également aux paysages et aux cadres, composantes essentielles du western. Hellman utilise de manière très particulière la couleur, tirant le film, malgré les ciels immaculés et la chaleur du soleil, vers un gris cendré. Les paysages ne sont pas magnifiés comme à l’accoutumée, mais sont couverts de poussière, captés dans leur aridité et leur forme répétitive. Il refuse également les scénographies de mise dans le western, s’oppose à la composition classique des plans qui tendent à glorifier les personnages et leur environnement. Le traitement des personnages vise également à se détacher des figures emblématiques du western. Nul héros monolithique, nul crapule psychopathe. Hellman rend complexe ses personnages, ne force pas artificiellement la sympathie que l’on pourrait éprouver. Il développe leurs parts d’ombre jusqu’à rendre la frontière entre les « gentils » et les « méchants » trouble et poreuse. Leurs réactions sont imprévisibles, leur échanges déjouent parfois la compréhension du spectateur. Ainsi par moment, le doute sur l’innocence des trois cow-boys est soulevé, une phrase de-ci de là semblant l’infirmer. Sont-ils également des bandits en cavale ou, désignés coupables, sont-ils aspirés par ce rôle qui leur est donné ?

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 1 avril 2006