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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Orchidée blanche

(The Other Love)

L'histoire

Karen Duncan, une pianiste mondialement renommée, rejoint le sanatorium du Mont-Vierge pour y soigner une grave maladie. Elle y rencontre le professeur Stanton, qui dirige l'établissement. Alors qu'elle est choquée par les décès des patients de l'établissement, elle tombe petit à petit sous le charme du professeur et de ses propos rassurant. Malgré tout, l'enfermement la ronge et elle finit par succomber à Paul Clément, un pilote automobile de passage qui lui offre de croquer la vie à pleines dents. Mais pour elle, une vie trop intense peut signifier une mort imminente...

Analyse et critique

La contemplation de l'affiche de L'Orchidée blanche est pleine de promesses pour le cinéphile. Derrière la caméra, André de Toth, cinéaste qui au sein d'une filmographie inégale offrira au septième art quelques films sublimes, et qui trois années plus tôt réalisait le premier chef-d'œuvre de sa carrière, l'édifiant None Shall Escape, condamnation marquante des crimes nazis. Devant la caméra, un formidable trio d'acteurs, emmené par la lumineuse Barbara Stanwyck, star incontestable du cinéma américain depuis la période pré-code. A ses côtés, David Niven acteur anglais remarquable et atypique dans un casting américain, et Richard Conte, figure du film noir, exceptionnel dans presque chacun de ses rôles et à la tête d'une filmographie quasi parfaite. Enfin, le scénario est tiré d'une nouvelle d'Erich Maria Remarque, qui évoque dans l'esprit de tous les amoureux du cinéma A l'Ouest rien de nouveau de Lewis Milestone et surtout le bouleversant Le Temps d'aimer et le temps de mourir du maître du mélodrame Douglas Sirk. A l'origine de ce regroupement de talents se trouve l'ambition d'Entreprise Productions, éphémère studio qui ne produisit que neuf films, dont les formidables Sang et or de Robert Rossen et L'Enfer de la corruption d'Abraham Polonsky. Deux films emblématiques de la volonté du studio de produire de grands films hors du carcan habituel des studios majeurs hollywoodiens. Toutes les conditions étaient donc réunies pour nous offrir une belle réussite. Mais ce n'est pas toujours suffisant.


L'Orchidée blanche suit le destin de Karen Duncan, pianiste virtuose frappée par la tuberculose, tiraillée entre sa volonté de guérir et sa fascination pour le Docteur Stanton, le dirigeant du Sanatorium où elle se soigne, et sa volonté de croquer la vie à pleines dents, quitte à brûler la chandelle par les deux bouts avec le séduisant pilote automobile Paul Clément. Le triangle amoureux, la maladie qui menace, un milieu social aisé, trois ingrédients qui rattachent évidemment le film au genre mélodramatique. Mais ici, pas d'élan lacrymal ou de flamboyances sirkiennes, L'Orchidée blanche est un mélodrame tout en retenue, marqué par un refus clair du pathos et par un sous-jeu volontaire de ses interprètes. Une intention louable, tant le mélodrame excessif est un exercice difficile, mais finalement tout aussi dangereuse lorsque comme ici le film sombre dans l'excès inverse. Comment intéresser le spectateur à une telle destinée en le sevrant totalement d'émotions ? Nous n'avons pas la réponse, et les auteurs du film ne l'ont malheureusement pas trouvée non plus. L'Orchidée blanche ne nous offre aucune scène marquante, aucune situation ne permettant de construire notre empathie pour les personnages, et l'histoire se déroule alors sous nos yeux sans jamais nous emporter, nous laissant vides de sentiments.

Et ce n'est pas le dynamisme du film qui viendra rattraper cette sensation. La mise en scène d'André De Toth, qui nous a pourtant donné tant de pépites, s'avère terriblement paresseuse et n'offre jamais le moindre relief à une narration déjà bien morne. Pourtant le réalisateur ne tourna pas L'Orchidée blanche contraint et forcé. S'il n'est pas à l'origine du projet, il l'accepta bien volontiers, ravi à l'idée de tourner avec Barbara Stanwyck. C'est lui qui pensa à associer la star hollywoodienne à David Niven, idée brillante et originale puisque l'acteur anglais incarne pour De Toth l'opposé total de l'archétype de l'acteur de mélodrame américain, et qu'il forme ainsi avec Stanwyck un couple totalement atypique. Malheureusement, les faiblesses d'écriture du scénario ne nous permettent pas de profiter pleinement de ce qui aurait dû être un des castings les plus intéressants de l'époque. La suite de la production du film apportera bien moins de satisfaction au réalisateur. Quelques mois auparavant, Entreprise Productions a entamé le tournage d'Arc de Triomphe, une autre adaptation de Remarque et un film extrêmement couteux pour les modestes moyens du studio. Le tournage se transforme rapidement en naufrage et le film n'est pas à la hauteur des attentes et précipite finalement la ruine d'Entreprise. Dans cette situation, impossible de fournir à De Toth les moyens dont il rêvait pour L'Orchidée blanche. Celui-ci avait notamment l'intention de tourner en Suisse les scènes du sanatorium, dans un décor naturel qui aurait surement été bien plus majestueux que ce qui nous a finalement été proposé. Et si De Toth regrette de devoir tourner en studio, il regrettera encore plus que les producteurs l'empêchent d'utiliser la fin qu'il avait proposée pour le film. Dans sa vision, la dernière scène aurait dû nous présenter le docteur Stanton entouré de sa famille, sa femme et ses enfants. Cela aurait éclairé d'un jour nouveau le personnage, lui donnant un véritable double visage, celui d'un être manipulant ses patientes en jouant le jeu d'une fausse séduction. A l'évidence, il nous semble qu'une telle vision aurait grandement rehaussé l'intérêt du dénouement final, mais ce n'était pas l'avis de David Lewis, le producteur du film qui obtint de De Toth qu'il conservât la fin que l'on connait aujourd'hui. Ce dernier ne le digéra jamais vraiment, comme le confirment ses propos relatés par Bertrand Tavernier : "Je sais, j'aurais dû lui trancher la gorge, ou j'aurais dû moi me trancher la gorge, mais j'ai été d'une lâcheté incroyable [...] et ai accepté de tourner sa fin." (1)


La liste des ennuis qui vinrent gâcher le film ne s'arrête pas là, puisqu'un incendie détruira une partie des plans tournés en salle de montage. L'Orchidée blanche aurait peut-être eu un autre rythme, un autre ton avec ces images perdues. Il aurait par exemple pu prendre une tournure plus noire, comme semble l'indiquer l'idée de fin portée par André De Toth. Mais nous sommes obligés de juger l'œuvre en l'état, et il est malheureusement bien difficile de lui trouver des qualités. On peut tout de même sauver la performance des acteurs, qui interprètent leurs rôles avec une grande conviction malgré la faiblesse du scénario. On peut aussi donner quelque crédit à Victor Milner pour sa photographie. C'est bien peu, et c'est insuffisant pour sauver un film qui est à oublier dans la carrière de son réalisateur.


(1) Présentation du film par Bertrand Tavernier, DVD édité par Sidonis / Calysta.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 3 avril 2015