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Critique de film
Le film

L'Héritage des 500 000

(Gojuman-nin no isan)

L'histoire

Durant la Seconde Guerre mondiale, des milliers de pièces d’or ont été enterrées dans une île des Philippines par des soldats japonais. Parmi ces hommes, le commandant Matsuo, qui voit son passé ressurgir dix-huit ans plus tard lorsqu’un riche homme d’affaires, Mitsura Gunji, lui propose de partir à la recherche de ce trésor. Matsuo refuse dans un premier temps, mais Gunji le force à accepter. Matsuo retourne alors aux Philippines accompagné de quatre hommes recrutés par Gunji. Ils vont faire face à une aventure périlleuse alors que Matsuo va devoir affronter son passé.

Analyse et critique

Pour tous les cinéphiles, le nom de Toshirô Mifune résonne comme celui du plus célèbre acteur du cinéma japonais, qui tourna pour les plus grands cinéastes avec comme point culminant de sa carrière sa prolifique collaboration avec Akira Kurosawa. Son travail de réalisateur est, lui, bien plus méconnu. Et pour cause, il est l’auteur d’un seul film, L’Héritage des 500 000, qui fut un succès public au Japon lors de sa sortie mais qui y demeure inédit depuis et qui est distribué pour la première fois en France en 2019. A l’origine de ce film se trouve la création en 1962 par Mifune de sa propre société de production, Mifune Productions Co. Ltd. Si l’objectif initial de cette structure est de produire des films dans lesquels l’acteur joue, il se retrouve réalisateur de la première production de sa compagnie sans doute plus sous l’influence de la Toho que par le fait de sa propre volonté, comme en témoigne Teruyo Nogami, scripte du film. Pour cette première et unique réalisation, Mifune s’entoure de techniciens connus, essentiellement d’habituels collaborateurs de Kurosawa, tels son scénariste récurrent Ryuzo Kikushima, son directeur de la photographie Takao Saito ou le musicien Masaru Sato. Kurosawa lui-même mettra la main à la pâte pour aider au montage, et cet assemblage de talents produit un résultat logique : une réussite incontestable, sur la forme comme sur le fond, et un divertissement remarquable.


L’Héritage des 500 000 s’inspire d’un fait authentique, la disparition de l’essentiel des trésors de guerre japonais à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. A partir de ce fait, Ryuzo Kikushima crée un film d’aventure trépident, centré sur une chasse au trésor qui n’est pas sans évoquer Le Trésor de la Sierra Madre dans sa manière de décrire la corruption des hommes par l’attrait de l’or. Le film s’ouvre sur une reconstitution de l’intervention japonaise aux Philippines durant la Seconde Guerre mondiale et notamment des images de la défaite nippone et de dizaines de cadavres. Un type de plan assez rare dans le cinéma japonais, qui évoque souvent le traumatisme nucléaire ou l’évolution de la culture japonaise sous l’influence de la présence américaine mais qui se retourne peu sur la défaite en elle-même, et encore moins sur l’inutilité de l’engagement du pays. L’Héritage des 500 000 aborde frontalement ce sujet, mettant même dans la bouche de son personnage principal des paroles audacieuses parlant de milliers de soldats morts vainement. Derrière la caméra, Toshirô Mifune met également ce message en images avec quelques plans chocs, dont celui qui nous montre des dizaines de squelettes reposant depuis des années dans une grotte. Sans prendre le pas sur l’aventure et les péripéties du récit, ce sous-texte donne une profondeur intéressante et audacieuse au film. Hormis cette réflexion sur la participation du Japon à la guerre, L’Héritage des 500 000 se construit comme un récit d’aventure classique et efficace, multipliant les épreuves à affronter pour le groupe de chercheurs de trésor, et les retournements de situation, le pouvoir changeant régulièrement de main.

Ce qui valorise ce récit plutôt classique, c’est le dynamisme remarquable du film, notamment dû à un montage extrêmement nerveux. On peut imaginer que l’expérience apportée à ce moment de la production par Akira Kurosawa a été bénéfique au film, ce qui a été le cas, mais il est surtout intervenu en début de processus, en demandant à Mifune de tourner de nouvelles scènes. Le montage est donc certainement le résultat d’une intention du réalisateur lui-même, le récit de L’Héritage des 500 000 étant mené de manière bien plus rapide que celui de la plupart des films japonais contemporains. Un choix qui sied particulièrement à ce récit d’aventure, qui en devient passionnant de bout en bout. Mifune ne perd pas de temps, proposant entre autres une mise en place du récit particulièrement efficace pour nous plonger le plus rapidement possible au cœur de l’aventure des cinq protagonistes. Une fois sur l’île, la narration s’apparente à celle d’un film de patrouille, et nous suivons le petit groupe en marche vers son objectif. Le trajet se fait alors autant physiquement que psychologiquement, chaque personnage effectuant un cheminement moral tout au long de l’histoire. Comme dans beaucoup de films abordant ce type de sujet, la question de l’appât du gain est centrale dans cette évolution et elle se double ici d'une réflexion sur  la guerre et  la mort, dont les ombres planent sur le film depuis les premiers plans


Pour son premier et seul film en tant que réalisateur, Toshirô Mifune s’octroie le rôle principal, celui de Takeichi Matsuo, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale forcé par Mitsura Gunji, un homme d’affaires cupide, à retourner sur ses anciens champs de bataille pour y trouver un trésor de guerre qu’il a enterré durant la débâcle nippone. Incarné par le formidable Tatsuya Nakadai, l’autre acteur star du cinéma japonais qui effectue un sympathique clin d’œil dans le film de son concurrent au box-office, Gunji adjoint à Matsuo quatre hommes pour l’accompagner et le surveiller dans cette quête. Attirés par l’argent ou simplement par l’aventure, ils sont tous les quatre volontaires pour la mission, contrairement à Matsuo. Ce qui retient Matsuo, ce n’est pas seulement son peu d’appétence pour le gain ou son goût pour la petite vie sédentaire qu’il s’est désormais construite et qui nous est présentée en début de film, mais aussi et surtout sa peur de retourner vers l’enfer de la guerre qu’il a connu. Ainsi, à chacune de ses prises de paroles ou presque, Matsuo va évoquer le souvenir du conflit, son horreur et son coût : les 500 000 morts japonais dans les combats insulaires qui donnent son titre au film. Chacun de ces mots va donner un prix de plus en plus lourd au trésor dans l’esprit des autres membres du groupe comme dans celui du spectateur, et rendre finalement l’or dérisoire devant le chemin accompli et la prise de conscience de ce qu’a été le destin de leurs compatriotes près de deux décennies plus tôt. Evidemment, Mifune est impeccable dans le rôle de Matsuo, incarnant parfaitement la sagesse du personnage, et l’insondable tristesse que celui-ci véhicule, marqué par les terribles événements qu’il à vécus.

Si L’Héritage des 500 000 est une œuvre divertissante, le personnage de Matsuo donne au film une humeur plus ombre, également soulignée par la remarquable musique mélancolique de Masaru Sato. Il lui donne aussi une profondeur surprenante qui le rend absolument passionnant. Tout semble réussi dans cette première réalisation de Toshirô Mifune, et l'on comprend aisément le succès du film à sa sortie. On ne peut que regretter que Mifune n’ait pas persévéré dans cette voie, même si ça carrière d’acteur suffit déjà amplement à nous combler, et il faut se réjouir de pouvoir enfin découvrir en France une réussite aussi marquante.

DANS LES SALLES

 L'héritage des 500 000
 UN FILM De Toshirô Mifune (1963)

DISTRIBUTEUR : CARLOTTA
DATE DE SORTIE : 3 AVRIL 2019

La Page du distributeur

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 3 avril 2019