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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Exorciste

(The Exorcist)

L'histoire

Regan, une jeune fille de 13 ans, vit avec sa maman, Chris MacNeil, une actrice qui entre deux tournages tente de concilier vie professionnelle et familiale. Elle découvre que sa fille est victime de troubles du sommeil, d’agitations fréquentes et qu‘elle devient de plus en plus violente envers son entourage. Inquiète, elle consulte des cliniciens, neurologues et autres experts qui procèdent dans un premier temps à deux interventions très douloureuses, et à la fin desquelles une première explication est livrée sans que Chris ne soit rassurée ou convaincue. Dans le même temps l’état de sa fille empire. Désespérée, confrontée à des docteurs qui ne semblent plus la comprendre, elle décide en dernier recours de se tourner vers un exorciste, le père Damien Karras.

Analyse et critique

Auréolé du succès public et critique de French Connection (1971) qui le vit remporter deux Oscars, William Friedkin s’attèle un an plus tard à la réalisation d’un film qui marquera le fantastique d’une pierre blanche. Adapté du roman de William Peter Blatty qui s’inspira d’un article de 1949 relatant un fait divers réel pour écrire une histoire effroyable, L’Exorciste imposa un cinéaste qui allait connaître son second et dernier triomphe au box-office. Friedkin se posait dès le début de sa carrière comme un homme fasciné par les dualités et créant des ambiances à la limite de la rupture dont il se vantera toujours de donner une image moderne. L’Exorciste n’échappe pas à cette règle. Mais il se montra aussi contradicteur farouche, essayant d’imposer ses idées contre ses scénaristes ou acteurs, en contestant certains choix de William Peter Blatty et de son script, comme il s’opposera à certains choix de casting -Jane Fonda ayant été approchée pour jouer la mère avant qu’Ellen Burstyn ne décroche le rôle- ou se mettra en conflit avec Steve McQueen ou Al Pacino durant Cruising (1982).

L’histoire de possession à la base de L’Exorciste est l’occasion pour lui de mettre en évidence le thème-clé de son univers de cinéaste : la lutte éternelle entre le Bien et le Mal. Littéralement fasciné par cette problématique il développe ici cette idée obsessionnelle en recourant à un filmage lorgnant vers le documentaire pour plus de réalisme voire d’hyperréalisme. Il veut que le spectacle soit le plus crédible et effrayant possible, en prenant le spectateur par les tripes ni plus ni moins. Caméra à l’épaule, lumière naturelle ou éclairage minimaliste, rigueur de la mise en scène, grain de pellicule, etc.… Le metteur en scène s’en remet à la technique du documentaire qui répond à des exigences souvent économiques auxquelles il se plie. L’horreur est ici clinique et glaçante. Une approche qui livra au début et jusqu’à la fin des années 70 des chefs-d’œuvre d’effroi : La Dernière maison sur la gauche (1973), Massacre à la tronçonneuse (1974), La Colline a des yeux (1977) et beaucoup d’autres. Une décennie dorée dont, au milieu des années 80, John McNaughton retrouvera l’esprit dans Henry, Portrait of a Serial Killer (1986), par ses partis pris, proche du document filmé pris sur le vif.


L’Exorciste, premier du nom, demeure en le regardant aujourd’hui, doté d’un grand savoir-faire sur le plan de la photo et du son, la gestion des effets et le mixage général étant admirables. Ce n’est pas pour rien qu’à ce titre le film remportera l’Oscar en 1973 pour cette partie technique. Dans un autre registre, celui du visuel, la photo assure une ambiance cauchemardesque avec ses nombreux plans plongés dans l‘obscurité. Ce qui lui permet d’être parfois excessif dans le sens où le cinéaste cherche le malaise dans des scènes très dérangeantes pour leur violence morale, comme le premier examen de Regan avec le son strident des machines. Le film affiche aussi des contrastes désespérés, une grande froideur, l’absence de couleurs vives montrant un quotidien morne et triste. Une parfaite cohérence, une alchimie entre le fond et la forme où les deux se rejoignent parfaitement et qui débouche sur une impression de spleen et d‘étouffement. Les scènes d’intérieur sont bien plus nombreuses que les scènes d’extérieur et pour cause : le Mal a pris racine à l’intérieur d’un être et c’est dans celui-ci qu’il se développe. Les intervenants extérieurs devront dans un sens comme dans un autre s’y accoutumer, puis y faire face pour le vaincre. C’est là qu’intervient la patte de Friedkin si l‘on peut dire. Il montre des spécialistes tentant de trouver les origines réelles du problème de Regan, et s‘en remettant toujours à la raison scientifique. 'Nous ne croyons que ce que nous voyons' en somme. Les signes de meurtrissures physiques sont des pistes très graves pour être prises à la légère et ne sont pas ignorées sans pour autant être considérées comme une explication raisonnable à la violence comportementale alors qu‘ils sont indissociables de celle-ci. Le réalisateur filme des neurologues qui s’en remettent en ultime recours à l’exorcisme, une vieille méthode décriée au sein même de la théologie. La confrontation du Profane et du Sacré met en lumière les doutes de chacun, et la religion est vue comme le dernier rempart au Mal, même si on le verra par la suite, elle est représentée par deux hommes d’Eglise opposés l’un et l’autre en terme d’âge, de convictions personnelles et qui, comble pour des croyants, continuent de douter. Pourtant, Karras, homme seul et dévasté par la maladie mentale de sa mère ( qui donne lieu à un cauchemar incluant un plan subliminal du Malin à la sortie d’une bouche de métro ) cherche encore la Foi, sa Foi, et officie à ses cérémonies dominicales. Max Von Sydow, le père Merrin, quant à lui, apparaît les traits volontairement tirés et vieillis.

D’où vient la force manifeste de ce film ? De son économie d’effets qui ménage de longues plages de suspens coupant subitement l’aspect monotone des situations par un effet choc. Non pas du gore, non pas des éviscérations en gros plan, mais un dosage subtil et équilibré destiné à tenir en haleine - on ne sait jamais ce qui va se passer - et une habileté à nous plonger dans une horreur quotidienne, décrite comme tout à fait plausible (évolution psychologique des personnages, allers et retours incessants des prêtres, de l’inspecteur de Police, bruits et râles de Regan se retournant dans son lit, etc.). Au final on tremble et on se met à la place de cette mère de famille en se demandant quelle horreur va bien pouvoir frapper. On évoquera pour illustrer cela, la terrible séquence du crucifix que Regan s‘enfonce elle-même dans le vagin en hurlant 'Let Jesus fuck me ! Let Jesus fuck me !', scène spectaculaire s’il en est, mais pas du tout gratuite et fonctionnant encore avec des effets spéciaux dont cette tête se retournant sur elle-même avant de déclamer un sourire abominable aux lèvres : 'Do you know what she did your cunting daughter ?'.


Les effets et les scènes chocs se reproduisent vers la fin du film. On y voit cette même fillette se soulevant au dessus de son lit les yeux révulsés, les stigmates tout le long des jambes. C’est vrai aussi durant le final, le personnage de Karras, hors de lui se précipitant sur Regan et la plaquant au sol en demandant au Diable de sortir de son corps, sont les images les plus frappantes du film. Autant de scènes anthologiques, restées en mémoire, mais qui posent aussi une question. Dans ce final, Friedkin montre un prêtre possédé à son tour, la seule alternative, en fait la seule solution pour éradiquer le Démon intérieur. Couché à terre et étranglant Regan, le Mal se transmet dès lors d’une personne à une autre dans un instant de bouleversement physique et mental. Friedkin montre-t-il que le Mal se transmet de corps à corps par la pensée et les gestes, mettant ainsi de côté le réalisme précédent cent dix minutes de film, ou pense t--il que le Mal se transmet comme une maladie, et que la seule façon de sauver Regan était de sacrifier un homme lui-même contaminé ? L’image du père Karras manquant de tomber à la renverse avant de se redresser pour se jeter par la fenêtre est une image plus fantastique que crédible, mais à vrai dire au vu des circonstances qui conduisent à sa mort, ce n‘est pas si grave. Les notes musicales apportées dans les dernières images s’ajoutent à une ambiance tout du long glaciale. Cependant, Friedkin, après ce tournage, gardera l’image d’un réalisateur tyrannique qui n’hésite pas à malmener ses acteurs afin d’obtenir satisfaction. Ellen Burstyn fut ainsi sérieusement blessée au bas du bassin sans qu’il ne bronche, tandis qu’il tirait des coups de feu ou faisait sonner le téléphone pour capter des émotions sur les visages. Une méthode peu orthodoxe qui fit son effet.

Malgré le fait que le film soit une réussite, on peut faire quelques reproches à L’Exorciste. Il est lent - ce peut-être une qualité comme un défaut - et l’ennui peut poindre si l’on s’attend à une narration et un rythme plus soutenus. Les dialogues sont très nombreux, parfois trop explicatifs et il y a pas mal de longueurs, bien que le film s’emballe dans la dernière demi-heure. Trop long ? Certainement. Reste que le tout conserve sa maîtrise, son statut de film culte qui imprègne la pellicule, à l’origine de bien des cinéphilies, mais dont une vision avec du recul permet de souligner les flottements, sans qu’il ne soit devenu soudain mauvais pour cette même raison. Hit mondial de l’horreur, L’Exorciste sera le dernier William Friedkin à avoir autant d’affluence et d‘influence. Le Convoi de la Peur réalisé en 1977 sera quant à lui un gros bide. Linda Blair sera par contre cataloguée dans ce rôle sans parvenir à en sortir, car elle enchaînera avec le baroque et plus païen L’Hérétique (1977), tandis qu’Ellen Burstyn ici plus que convaincante, continuera une carrière plutôt brillante. L’Exorciste étouffe, ne distille aucun humour y compris au second degré. Il cherche dans le quotidien la raison des horreurs les plus viscérales. Le démon a un visage, et ici il porte celui d’une fillette. Difficile de faire plus pictural et osé que cette image. Ainsi se construisent les mythes du Fantastique (avec son lot d’histoires funestes - des morts sur le tournage du film, des conditions difficiles dans une chambre froide qui est celle de Regan la raison pour laquelle de la vapeur sort de la bouche des acteurs) qui peuplèrent autrefois les cauchemars des adolescents en manque de sensations fortes avec cette histoire aussi épouvantable que purement cinématographique.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Jordan White - le 15 octobre 2004