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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Étranger

(The Demi-Paradise)

L'histoire

Un savant russe pétri de préjugés à l'égard des valeurs occidentales débarque en Angleterre pour présenter sa dernière invention. Ce qu'il ne sait pas encore, c'est que lorsqu'il va rencontrer la belle Anne Tisdall, ses convictions morales vont voler en éclats. Le couple se sépare après une dispute et notre savant retourne en Union Soviétique la mort dans l'âme...

Analyse et critique

The Demi-Paradise est un bel exemple de l’intelligence du cinéma de propagande anglais des années 40, qui aura toujours su diffuser son message par l’implication plutôt que l’endoctrinement. A l’été 1941, l’Allemagne nazie se retourne contre son allié l’URSS, brisant ainsi le Pacte germano-soviétique qui avait vu les deux puissances conclure une clause de non-agression et se partager une zone géographique couvrant la Scandinavie, les Pays baltes, la Pologne et la Roumanie. C’est le déclenchement du sanglant Front de l’Est, où la résistance héroïque des soviétiques et les rigueurs du climat auront raison des forces de l’Axe, faisant en partie basculer l'issue du conflit. Loin de ces considérations géopolitiques complexes, le peuple anglais doit pourtant être tenu au courant de l’arrivée de cette nouvelle force parmi les Alliés. The Demi-Paradise tiendra donc cette fonction dans une veine intime au croisement du Ninotchka de Lubitsch et de Mrs. Miniver (1942) de William Wyler.

Du Lubitsch, on retrouve le postulat du Russe égaré en Occident avec le personnage d’Ivan (Laurence Olivier), jeune ingénieur venu en Angleterre chercher un partenaire industriel pour financer son invention, une hélice de bateau révolutionnaire. Nourri de préjugés envers les Anglais, il verra ceux-ci presque tous confirmés sous des formes diverses. C’est d’abord la légendaire météo grisâtre et pluvieuse londonienne qui va calmer ses ardeurs, puis le ton hautain et guindé ainsi que la méfiance des locaux envers « l’étranger » qu’ils abordent avec leur flegme british le plus glacial. Un unique rayon de soleil viendra éclairer son voyage avec la rencontre de la belle Ann (Penelope Dudley-Ward), fille de son possible mécène. Sa joie de vivre, ses sourires et son humour pétillant confèrent ainsi un autre visage plus lumineux à cette Angleterre et va troubler un Ivan peu à peu amoureux. Ce dernier arrive également avec la vision binaire du régime communiste, malicieusement moquée au détour de quelques dialogues et de la franchise avec laquelle il fustige les mœurs anglaises. Si ses a priori sont raillés à travers la préciosité du héros, ils ne sont pas totalement faux non plus et l’on retrouve ici le recul que peuvent avoir les Anglais sur leurs propres failles. La première partie du film se déroule en effet en 1939, avant l’engagement anglais dans la Seconde Guerre mondiale mais alors qu'Hitler étend son emprise en Europe. Même si biaisée par la vision d’Ivan on voit donc là une Angleterre repliée sur elle-même, cela se manifestant par la méfiance envers l’étranger donc mais aussi par les discours isolationnistes dominants au sein d’une population tournée vers une gloire passée - symbolisée par la célébration annuelle de la bataille de Waterloo. Cette situation va bien sûr perturber l’amorce de romance entre Ivan et Ann, la rigidité du premier s’opposant à la frivolité de la seconde et brisant pour un temps toute possibilité d’union.

Drôle, captivante et audacieuse, cette première partie est le moment le plus intéressant du film. Dans la seconde partie, qui lorgne justement sur l’humanisme de Mrs. Miniver, Ivan reparti en Russie revient dans une Angleterre désormais en guerre et confrontée aux restrictions du Blitz. Le vrai drame s'installe, le ton est clairement plus policé et la dimension de film de propagande se ressent avec la célébration de la solidarité et du courage du peuple anglais face à l’adversité. De même, l’union des peuples est magnifiée avec ce contexte difficile amenant l’acceptation d’Ivan par la communauté dans une fraternité inattendue. L’histoire d’amour peut ainsi enfin s’épanouir et certaines séquences répondent à la première en écho inversé, la célébration de Waterloo laissant place à une fête russe en hommage à la ville natale d’Ivan. Tout cela est bienveillant et agréable mais déroule un programme trop attendu, loin des aspérités intéressantes du début du film.

L’histoire d’amour si piquante devient très classique, Penelope Dudley-Ward perd son allant d’héroïne de screwball comedy et Laurence Olivier de sa raideur hilarante pour une gravité figée. La patte d’Anthony Asquith se retrouvait ainsi nettement plus sur ce début sautillant dans l’esprit de son Pygmalion (1938). Il sera plus inspiré dans le registre guerrier de ce cinéma de propagande avec le film de sous-marin Plongée à l’aube (1943) mais il ne maîtrise pas encore cet entre-deux doux amer qui aurait fonctionné ici. Le message pacifiste perd de sa force par ce surlignage dramatique, loin de l’émotion d’un Colonel Blimp d’autant que le script esquive les sujets qui fâchent et potentiellement intéressants comme justement l’alliance originelle entre la Russie et l'Allemagne jamais évoquée. Un œuvre intéressante mais qui pêche par manque de finesse et d’audace, le cinéma anglais de cette période a proposé bien mieux.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 19 mai 2015