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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Etat sauvage

L'histoire

Années 1960 dans une jeune république africaine en pleine effervescence à peine sortie de la décolonisation. L’intègre ministre Patrice Doumbé (Doura Mané) lutte contre les compromissions de ses collègues ; ces derniers ne l’appréciaient déjà guère par le fait d’avoir pour maîtresse une femme blanche, Laurence (Marie-Christine Barrault). Arrive justement sur place pour une mission diplomatique le mari qu’elle a quitté, Avit (Jacques Dutronc), fonctionnaire à l’UNESCO, que les notables du coin voient d’un mauvais œil. Laurence était partie sans le prévenir pour suivre le trafiquant Gravenoire (Claude Brasseur), un ancien colonialiste continuant sur place ses magouilles juteuses en cheville avec certains ministres corrompus. Avit est prié par le nouveau gouvernement de quitter le pays mais Doumbé prend la défense de son rival en amour. Les tensions et la haine s’intensifient : la population, chauffée par Gravenoire et ses amis racistes, s’enflamme contre le couple mixte. Le commissaire de police Orlaville (Michel Piccoli), témoin désabusé de ce climat de violence, va tenter tant bien que mal de sauver les meubles...

Analyse et critique


Le réalisateur Francis Girod a eu la chance dès ses premiers films de pouvoir faire tourner des stars montantes ou déjà bien en place. C’est ainsi qu’il aura réussir à réunir Romy Schneider et Michel Piccoli dans Le Trio infernal, Gérard Depardieu, Michel Piccoli et Sylvia Kristel dans René la Canne, Romy Schneider, Jean-Claude Brialy, Jean-Louis Trintignant, Claude Brasseur et quelques autres dans La Banquière, Gérard Depardieu et Jean Rochefort dans Le Grand frère, ou encore Catherine Deneuve, Michel Serrault et Jean-Louis Trintignant dans Le Bon plaisir, si l’on veut bien s’arrêter à dix années de carrière. L’Etat sauvage, qui nous concerne ici, réunira quant à lui un joli quatuor composé par Michel Piccoli, Jacques Dutronc, Marie-Christine Barrault et Claude Brasseur. A l’époque de leurs sorties respectives, on parla beaucoup de chacun de ses films qui eurent tous un succès d’estime plus ou moins grand. Aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’ils aient laissé une grande trace dans l’histoire du cinéma français. Et pour cause : Francis Girod était un piètre réalisateur ! S’il aimait à se dire politiquement très engagé, ce cinéaste provocateur n’aura pas eu le talent correspondant à ses ambitions de polémiste gauchiste. D’ailleurs, dans les années 70, il n’arrivait pas à la cheville ni des grands cinéastes italiens œuvrant eux aussi dans le violent pamphlet social et politique, ni du spécialiste français en la matière durant cette période, Costa-Gavras, dont les films, certes tout aussi peu nuancés, possédaient néanmoins une puissance et une efficacité toutes autres, qui les plaçaient parmi les brûlots politiques les plus captivants de leur époque.


Au vu du pitch prometteur, dénonciateur de tous les racismes et de toutes les vilenies coloniales et post-coloniales, on se dit que L’Etat sauvage aurait pu être un grand film sur les effets dévastateurs de la colonisation française. Cela aurait pu ! Seulement, ce n’est pas encore Francis Girod qui, à cette époque, aura réalisé le film français définitif sur ce sujet délicat de la colonisation / décolonisation. Même si son intrigue se déroule quelques décennies plus tôt, il faudra attendre trois ans avant que Bertrand Tavernier nous livre sa vision beaucoup plus mordante et virulente de nos anciennes colonies françaises avec le jubilatoire et "noirissimement drôle" Coup de Torchon, adapté de Jim Thompson, véritable chef-d’œuvre au vitriol de notre cinéma national. Pourtant le film de Francis Girod démarrait plutôt bien avec ce générique sur fond de camionnette bariolée s’avançant sur un bac pour traverser la rivière (le film a été tourné en Guyane), suivi par la superbe et cynique séquence au cours de laquelle, toujours sur le bac, Gravenoire / Brasseur essaie de vendre sa camelote aux "natifs", en leur expliquant que grâce à ses photos, ils vont enfin pouvoir découvrir... leur dos. S’ensuit une scène toute aussi réussie voyant le vil trafiquant entrer en conflit avec le ministre progressiste du nouveau gouvernement en place, l’accusant de conduire comme un chauffard alors que c’est lui qui, depuis quelques centaines de mètres, lui faisait des queues de poisson. Deux séquences qui démontrent à quel point les Noirs, les simples citoyens comme les notables, étaient toujours autant méprisés par les Blancs, notamment par ceux ayant fait fructifier leur argent durant les "belles années" des colonies. Leurs magouilles et compromissions se poursuivent cependant puisque 90 % des politiciens noirs se révèlent toujours aussi corrompus, prêts à poursuivre leurs sales affaires au détriment des citoyens dont ils ont la charge.


Le scénario de George Conchon, adapté de son propre roman (primé non moins que par le Goncourt en 1964), était pour le moins alléchant. On sait que l'auteur maitrise parfaitement bien son sujet et connait l’Afrique comme sa poche ; il avait d'ailleurs déjà été scénariste sur le premier film de Jean-Jacques Annaud, La Victoire en chantant, une comédie grinçante avec Jean Carmet traitant de la France coloniale. A l’écran, L’Etat sauvage manque malheureusement tout autant de mordant que de nuances ; même si tout ce qui se passe au sein de l'intrigue a très bien pu exister (le personnage de Doumbé est d'ailleurs inspiré de Patrice Lumumba, assassiné en 1961 au Katanga), l’ensemble finit assez rapidement par ressembler à un vaste tableau outrancièrement caricatural d'une jeune république africaine francophone sans que grand-chose ne ressorte de cette description si ce n’est que - tout aussi caricaturalement - les Blancs n’aiment pas les Noirs ni les Blanches qui couchent avec les personnalités noires alors que les Noirs n’aiment pas les Blancs ni les Noirs qui couchent avec les "putains" blanches. Et effectivement, vu sous cet angle, l’intrigue devient bien moins intéressante ; elle l’est d’autant moins qu’au fur et à mesure de son avancée le film devient fortement répétitif alors que les motivations de chacun de ses protagonistes se font de plus en plus obscures ou (et) incohérentes, faute au flottement d’un scénario dépourvu non seulement de finesse mais aussi de rigueur, passant d’un personnage à l’autre, d’un lieu à l’autre, sans toujours vraiment de liant et avec de gros sabots.


A la même époque, le scénariste et écrivain George Conchon aura eu plus de chance avec Jacques Rouffio qui réalisera des films provocateurs beaucoup plus virulents : 7 morts sur ordonnance, critique caustique du fonctionnement de certains hôpitaux dirigés par des conseils d’administration entièrement dévoués et soumis à des clans familiaux tyranniques et inhumains, ou encore l’inénarrable et hilarant Le Sucre, satire corrosive du monde financier et boursier. C’est en comparant L’Etat sauvage à ces deux films que l’on se rend aussi compte de la tiédeur et de la fadeur du cinéma de Francis Girod. Heureusement, même s’il ne fait pas non plus dans la dentelle quant à la caractérisation de ses personnages, il lui reste un casting de premier ordre qui permet de ne pas trop s’ennuyer : Jacques Dutronc dans le rôle d’un fonctionnaire pleutre, résigné et minable, Michel Piccoli dans celui d’un officier de police observateur et indolent, Claude Brasseur dans celui d’un exécrable trafiquant, nous octroyant ici un véritable numéro d’anthologie, ou encore Marie-Christine Barrault un peu trop effacée. Patrice Doumbé tient le rôle du seul personnage totalement positif au milieu de cette galerie composée de politiciens véreux ou incompétents, de fripouilles sans aucune moralité ou de citoyens haineux. Dommage que tout ceci manque à ce point de tension ; ce climat oppressant et cette atmosphère délétère auraient pu accoucher d’une œuvre ample et puissante. Il n'en est rien. Au final, un film intéressant mais peu captivant !


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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 30 octobre 2015