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Critique de film

L'histoire

Suite au refus de son père de lui donner de l’argent, Norbert obtient un faux billet de 500 F. Accompagné de Martial, qui lui a fourni le faux billet, il va écouler l’argent chez un photographe. Ce dernier s’aperçoit trop tard de la supercherie et refile le billet à un livreur, Yvon. A partir de cet acte d’égoïsme si banal, un implacable engrenage se met en route qui va entraîner Yvon, le broyer

Analyse et critique

Robert Bresson prend comme point de départ pour son dernier film une nouvelle de Tolstoï, Le faux coupon. Mais c’est de nouveau à Dostoïevski que l’on pense tant le parcours d’Yvon ressemble à celui de Raskolnikov. Yvon ressemble à Michel de Pickpocket. Tout deux transgressent les lois, mais tandis que Michel est acteur de cette transgression, Yvon est emporté par une spirale qui le mène au mal. Bresson, alors âgé de 82 ans, doyen des cinéastes français, réalise un film d’une noirceur absolue. C’est une véritable haine qui éclate devant ce monde régit par l’argent, les fausses valeurs, la tromperie. Certainement, Bresson ne se reconnaît plus dans cette société française du début des années 1980. La publicité vente le luxe, l’argent gouverne le monde, les couvertures des magazines ne sont plus que célébration de la fortune. Il n’y a plus de place pour l’homme, juste pour l’apparence et le superficiel. Lucien, qui illustre un autre parcours criminel dans le film, se fond dans cette société. C’est un homme de son temps, sans scrupule, sans autre motivation que la satisfaction immédiate. Il ment, trompe, vole, et cette insouciance est en accord avec un monde où tout se vaut, tout s’achète. « L’Argent est réalisé contre l’indifférence des gens qui ne pensent qu’à eux et à leur famille. » C’est l’égoïsme des gens, leur lâcheté quotidienne, qui vont mener Yvon au crime. Yvon est d’abord une victime avant d’être un bourreau. Victime d’une société où le faux règne en roi. Faux billets, faux témoignages, faux coupables. Les actes s’enchaînent et il est évident que les actions d’Yvon auront des répercussions que le film n’évoque pas. Le mal est comme une chaîne qui parcourt le monde, et chaque crime en est maillon. Bresson observe le « cheminement tragique du mal ». Un individu ne naît pas mauvais et c’est ce que Bresson observe, décortique, cette route tragique que tout un chacun peut un jour emprunter.



Malgré cette noirceur rarement atteinte dans le cinéma de Bresson, il subsiste de l’espoir, de la croyance en l’homme, en la bonté. « Si ce n’était que de moi, je pardonnerais à tout le monde» dit la future victime à son assassin. Ce pardon est un sommet de son œuvre, magnifique, tétanisant, car le pardon est accordé avant la faute. Cette idée que le monde est plus grand et plus beau que le crime, que le mal, est magnifique, profondément humaniste. La rencontre d’Yvon et de la vieille dame est un passage extraordinaire. On sent que tout est possible, le rachat, le pardon. Rien n’est tout à fait joué, c’est à portée de main. Aider à étendre le linge, cueillir et offrir des noisettes, en silence, sans que la parole ne vienne perturber un échange purement humain. Mais l’animal est là. Un chien accompagne la vieille dame, témoin silencieux, qui rappelle celui qui apparaît lors de l’exécution de Jeanne. L’animal revêt une grande importance dans le monde de Bresson. Il vit dans le présent, est inconscience, pureté (« c’est un saint » dit une voix dans Au Hasard Balthazar pour décrire l’âne). Il y a de l’animalité chez Yvon dans cet oubli de ce qu’est la mort, cette indifférence au monde dans laquelle il a plongé.

Si L’Argent est peut-être le film le plus opaque de Bresson, sa mise en scène est éclatante d’apparente simplicité. Chaques plans se déroulent avec une évidence déconcertante, comme s’ils ne pouvaient être filmés et montés autrement, comme si Bresson n’avait pas d’autres choix que de réaliser le film tel qu’il est. Peut-être touchait-il enfin ce qu’il avait cherché toute sa vie, cette capture du monde dans toute sa complexité, son horreur et sa beauté.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Introduction à l'oeuvre de Robert Bresson

Par Olivier Bitoun - le 4 mai 2005