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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Ardente gitane

(Hot Blood)

L'histoire

Marco Torino (Luther Adler) est le patriarche d’une communauté gitane installée à Los Angeles. Il aide les plus démunis, arrange les conflits et sort ses amis de prison en payant leur caution. Respecté par tous, il mène sa vie tranquillement jusqu’au jour où il apprend être victime d’une grave maladie. Marco décide alors de profiter du peu de temps qu’il a devant lui pour marier son frère Stephano (Cornel Wilde) avec la belle Annie (Jane Russell) en échange de 2 000 dollars. Cet argent lui permettra de financer un projet dont il garde jalousement le secret. Mais Stephano et Annie ont un tempérament de feu et sont bien décidés à contrarier les plans de Marco...

Analyse et critique

Au mois de mai 1955, Nicholas Ray termine le tournage de La Fureur de vivre et se rend dans la foulée sur celui de L’Ardente gitane. Dans sa filmographie, L’Ardente gitane est donc située entre La Fureur de vivre et Derrière le miroir, autrement dit deux chefs-d’œuvre célébrés à maintes reprises par tous les admirateurs du cinéaste. Qu’en est-il donc de cette Ardente Gitane, comédie détestée par Nicholas Ray et souvent oubliée lorsque l’on évoque le parcours de ce réalisateur d’exception ?


L’Ardente Gitane (Hot Blood en version originale) se présente donc comme une comédie que l’on pourrait qualifier d’ethnologique. En décidant d’inscrire son récit au sein d’un groupe de Gitans, Nicholas Ray fait une nouvelle fois preuve de son intérêt pour les communautés ethniques (The Savage Innocents) et plus largement pour les groupes sociaux (La Femme aux maléfices ou Le Violent s’inscrivaient par exemple dans des sphères intellectuelles bourgeoises). En s’appuyant sur un scénario construit à partir de recherches menées par l’ex-femme de Ray, il était légitime d’attendre ici une analyse détaillée des mœurs gitanes. Malheureusement, il n’en est rien. L’Ardente gitane nous livre une version "Broadway" du "gypsie way of life" et, bien que certains critiques aient écrit que la cérémonie du mariage filmée au début du récit suivait avec justesse les rites gitans, nous ne nous en contenterons pas ! Même en admettant que cette séquence soit fidèle aux mœurs gitanes, il n’empêche que l’on est bien loin ici du cinéma folklorique d’un Emir Kusturica ou d’un Tony Gatlif . Il est vrai qu’en dehors de la dite scène, le reste du film paraît plutôt marqué par l’utilisation de nombreux clichés. Ainsi on n’échappe pas à la description du Gitan voleur et roublard, ni à celle de la diseuse de bonne aventure quelque peu farfelue… Oublions donc l’étude sociologique à laquelle Ray ne s’est pas du tout intéressé pour nous pencher sur le caractère comique du film.

De ce point de vue, L’Ardente gitane apparaît comme un cas à part dans la carrière de Nicholas Ray. S’il est vrai que le cinéaste s’est attaqué à de nombreux genres cinématographiques, il l’a toujours fait avec un sens de la tragédie très marqué. Du western (Johnny Guitar) au film noir (Les Amants de la nuit), en passant par le péplum (Le Roi des Rois) ou le film de guerre (Amère victoire), Ray a constamment gardé un cap, celui du drame. Quelque soit le décor utilisé, les protagonistes de ses films sont des mal-aimés. Des personnages qui doivent faire face à une adversité puissante, souvent imposée par la société. Une adversité qui les mène à devenir des rebelles. En s’attaquant à la comédie, Nicholas Ray a du mal à développer cette thématique et semble embarrassé par les codes du genre. Car manifestement, le scénario concocté par Jerry Lasky est écrit comme une pure comédie : riche en situations comiques (un mariage forcé, des mensonges, des quiproquos) et en dialogues parfois drôles, il constitue un matériau avec lequel Ray a, semble-t-il, beaucoup de mal à composer.


L’histoire racontée dans L’Ardente gitane possède un élément qui aurait pu passionner Nicholas Ray : le patriarche de la communauté (Marco) est victime d’une tuberculose qui le condamne à une mort rapide. On aurait donc pu imaginer que le réalisateur fasse table rase des éléments comiques du script pour se concentrer sur le drame vécu par Marco. Mais Ray ne s’y intéresse pas vraiment, et il faudra attendre son film suivant pour le voir s’emparer de la thématique de la maladie et de la mort (Derrière le miroir). Il y a également une rivalité entre Marco et son frère qui aurait pu donner naissance à un conflit dont Ray est si friand. Mais, encore une fois, il n’en est rien et Nicholas Ray attendra de réaliser Le Brigand bien aimé pour développer ce thème du conflit fraternel. Au fond, le cinéaste semble constamment hésiter entre la comédie et le drame, laissant ainsi son film osciller entre les genres au risque de désorienter le spectateur. Si l’on s’arrêtait à ce constat, il ne resterait plus qu’à hurler au navet et chasser les derniers curieux qui seraient tentés par l’expérience Hot Blood ! Pour cela, il suffirait d’ajouter au tableau dressé précédemment la médiocrité de l’interprétation de Cornel Wilde : absolument pathétique dans le rôle de Stephano, Wilde qui, à l’instar d’un James Dean dans La Fureur de vivre, devrait incarner la passion et la rage, ne fait ici qu’exhiber ses biceps et ses pectoraux. Tel un coq sorti de chez Tex Avery, il marche torse bombé pendant tout le film et ne donne aucune profondeur à son personnage. Pire, alors qu’il est censé incarner un danseur professionnel, il n’est même pas capable de frapper dans ses mains en rythme. Pour l’anecdote, on remarquera qu’il n’est presque jamais filmé de plein pied lors des séquences de danse. La raison en est simple, c’est Matt Mattox, le chorégraphe du film, qui le remplace lors de ces scènes...


Mais alors, pourquoi s’intéresser à un film cumulant autant de poncifs ? Peut-être parce que L’Ardente gitane possède d’autres charmes. De petits délices qu’il est difficile d’expliquer mais qui font manifestement leur effet. Pour preuve l’enthousiasme avec lequel Bertrand Tavernier et Nicolas Coursodon ont accueilli le film après l’avoir découvert : « On touche au cœur du mystère de la création avec Hot Blood, œuvre inachevée, tronquée, commercialisée, reniée par son auteur et qui est pourtant l’un des films les plus neufs, les plus modernes, les plus inexplicablement géniaux des années 50. » (1) Si depuis, les deux compères ont quelque peu revu leur jugement à la baisse, il n’en demeure pas moins que ce Hot Blood est doté d’un charme vénéneux. Reste à tenter d’expliquer ce phénomène pour le moins étrange ?

On pourrait d’abord évoquer le cas Jane Russell : la comédienne, connue pour la générosité de son anatomie, interprète le personnage d’Annie, l’ardente gitane dont nous a gratifié avec tant de finesse le titre français ! Si elle ne signe pas ici une performance de comédie mémorable, il faut avouer que Nicholas Ray sait la mettre en valeur. Pour cela, il ne se contente pas de filmer ses formes voluptueuses comme le ferait n’importe quel réalisateur vulgaire. Non, Ray s’intéresse à son regard, sa gestuelle et à son tempérament de feu qu’il souligne avec ferveur. Souvent cadrée en contre-plongée, Russell incarne l’insolence et la fougue. Elle paraît constamment provoquer le spectateur, et il faut avouer qu’il est difficile de rester de marbre devant tant de sensualité ! Cependant, le cinéphile ne vit pas reclus dans un monastère et la seule mise en valeur de Jane Russell ne saurait suffire à maintenir le trouble et la fascination exercée par L’Ardente gitane pendant près d’une heure trente. Il faut donc chercher ailleurs...

Pour tourner son film, Nicholas Ray utilise un format Cinémascope en 2:55. Autrement dit, un format plus large que le Cinémascope classique en 2:35. Dans l’histoire du cinéma, rares sont les réalisateurs capables d’utiliser avec autant de maîtrise ces formats. Aujourd’hui, il est d’ailleurs fréquent de constater le nombre important de films tournés en Cinémascope et sans le moindre intérêt visuel ! De ce point de vue, Nicholas Ray donne ici une véritable leçon de cinéma : son cadre est toujours millimétré et parfaitement composé. Ses images sont d’un équilibre de tous les instants et laissent le regard se concentrer sur l’action tout en se délectant du décor. Ainsi Ray (ancien étudiant en architecture, rappelons-le) multiplie les plans dans lesquels viennent s’insérer les personnages principaux de la scène mais également une multitude de figurants. Il donne ainsi de la profondeur à ses images et un sentiment extrême de vie. Ici, il est en décalage total avec La Fureur de vivre, où il filmait la solitude de trois adolescents dans les rues vides de Los Angeles. Dans Hot Blood, la rue est foisonnante et l’énergie hors du commun qui semble sortir de l’image confère au cinéma de Nicolas Ray un caractère "bigger than life". Mais au-delà du cadre, l’image est sublimée par la remarquable utilisation des couleurs. On connait l’attachement de Ray à la symbolique des couleurs et notamment au rouge. Ce rouge immortalisé dans l’inconscient collectif par le célèbre blouson de James Dean dans Rebel Without a Cause apparaît ici comme jamais. Omniprésent dans les décors et surtout dans les costumes, le rouge apporte chaleur et passion. Il évoque les conflits, les souffrances et la mort dans un film dont le titre original n’est autre que Hot Blood ("Sang chaud")… Il est d’ailleurs fascinant d’observer Cornel Wilde dans son T-shirt rouge moulant lors du dernier acte du film. On a l’impression de voir un clone cinématographique de James Dean, autrement dit un personnage totalement "rayen".

Le pouvoir des images composées par Nicholas Ray et la façon dont le cinéaste dévoile les charmes de Jane Russell expliqueraient-ils donc la fascination qu’exerce L’Ardente gitane sur notre regard critique ? Certainement, mais à ces raisons vient aussi se greffer un charme étrange et envoutant, "l’inexplicable" évoqué par Tavernier et Coursodon. Alors, certains diront que c’est bien peu pour défendre un film pourtant bourré de défauts. Mais le cinéma a parfois quelque chose de magique qui échappe à l’analyse. Un caractère mystérieux capable d’ébranler l’objectivité du critique et d’animer la flamme de sa passion cinéphile. A ce petit jeu, Nicholas Ray était incontestablement un alchimiste surdoué, Hot Blood en est une nouvelle preuve...


(1) 50 ans de cinéma américain - Edition Omnibus

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La fiche IMDb du film

Par François-Olivier Lefèvre - le 22 novembre 2008