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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Antéchrist

(L'Anticristo)

L'histoire

Ippolita, une jeune femme ayant perdu l'usage de ses jambes à la suite d'un accident de voiture, participe à des séances d'hypnose afin de pouvoir un jour remarcher. Elle découvre qu'en elle réside l'esprit d'une ancêtre ayant été brûlée pour sorcellerie...

Analyse et critique

Suite au succès public et critique de L'Exorciste de William Friedkin, sorti en décembre 1973 aux États-Unis, toute une vague de films dits "de possession" va voir le jour en Europe. L'Italie, notamment, qui a toujours réussi à produire de bons films d'exploitation, sortira successivement La Possédée (1974), Le Démon aux tripes (1974), Bacchanales infernales (1975), Emilie, l'enfant des ténèbres (1975) ou Malabimba (1979). Tous ne sont pas bons, loin de là, et L'Antéchrist, sorti en 1974, fait figure de film abouti. (1) Fruit d'une coproduction européenne qui faisait florès à cette époque et qui, par un certain nombre de montages financiers, permettait de réunir des fonds et des équipes techniques et artistiques à moindre frais, le film d'Alberto De Martino s'imposera comme un film populaire de qualité.


Ce dernier fait partie de cette génération de cinéastes italiens passée par tous les postes - figurant, monteur, post-synchronisateur (2), scénariste, doubleur (3), assistant-réalisateur (4) - et tous les genres : le péplum avec Le Gladiateur invisible ou Persée l'invincible ; le western avec Django tire le premier ; le film d'espionnage avec Opération frère cadet ; le polar, le giallo, le film de super-héros avec l'incroyable et ridicule L'Homme puma. Comme il l'explique dans une interview au site Nanarland : « Le genre qui m'intéresse, c'est le genre qui marche. » Ses films ont par conséquent toujours été bien produits, bien financés, bien distribués et donc ont toujours été rentables : c'est une conception du cinéma qui prend au sérieux son public et choisit de lui offrir un spectacle de qualité en phase avec son époque. En ce sens, Alberto De Martino est un pur réalisateur de cinéma bis. Sauf qu'il a su créer une œuvre originale et différente de L'Exorciste de Friedkin.


Expédions déjà l'histoire, qui n'a rien de vraiment percutante : Ippolita, fille aînée d'un riche prince romain, souffre de paralysie nerveuse. Ses jambes ne la portent plus et son père ira, pour la soigner, jusqu'à la faire assister à des cérémonies religieuses de guérison collective. Résignée, elle acceptera de se livrer à des expérimentations d'hypnose régressive, thérapie new-age partant du principe que des pathologies peuvent provenir d'un traumatisme antérieur. L'expérience virera au fiasco et fera d'Ippolita la proie du diable. Au niveau des parallèles avec L'Exorciste originel, on notera quelques thèmes : l'opposition entre la science et la foi, la décadence des valeurs morales et spirituelles, l'innocence pervertie, la question blasphématoire, les séances de spiritisme. Même le générique du film, lettres rouges sur fond noir, rappelle l'ambiance du chef-d'oeuvre de Friedkin. Mais il y a un nombre incroyable de petites choses qui rendent unique et intéressant cet Antéchrist : relation oedipienne entre un père et une fille (complexe d'Électre), relation incestueuse entre une sœur et un frère, esthétisation de la sphère domestique, zoophilie (la fameuse scène du bouc annulingué), érotisme diffus... La vision même de Rome et de l'Italie est surprenante : catholicité étouffante, religiosité folklorique, démonologie triomphante, obsessions mystiques... Mais si De Martino insiste lourdement sur ce contexte et en fait une base esthétique, une imagerie, il va en même temps multiplier les effets de surenchère : l'obscénité est importante, les blasphèmes sont nombreux, les exorcismes sont au nombre de trois.


Ce qui a permis à L'Exorciste de William Friedkin de devenir un véritable succès populaire, c'est avant tout le fait que l'action se déroule dans la sphère familiale : famille typique, petite banlieue calme et semblable à mille autres. L'Antéchrist d'Alberto De Martino, lui, déplace l'intrigue dans une riche famille aristocratique : les Oderisi sont décadents et rien n'est fait pour activer le réflexe empathique. Reste l'esthétique et le jeu d'acteurs, donc. Parlons de Carla Gravina d'abord, qui développe un jeu passionné et s'investit totalement dans son rôle : elle jure, pose nue, flirte avec la pédophilie, l'inceste, la zoophilie... Alberto De Martino considérait le personnage d'Ippolita comme fondamentalement mauvais : elle a de bonnes raisons d'être possédée, ne demandait finalement que cela (ce qui est un présupposé scénaristique radicalement différent de L'Exorciste). Deux autres acteurs méritent d'être salués pour leur performance : Mel Ferrer, qui joue le rôle du père désemparé, et Arthur Kennedy, délicieux cardinal. Tous deux sont états-uniens et font partie de cette génération d'acteurs en fin de carrière venus "s'encanailler" (5) dans des productions italiennes. Pour ce qui est de l'image, il faut savoir que la photographie est assurée par Joe d'Amato (pseudonyme d'Aristide Massaccesi), grand maître du cinéma d'exploitation et du porno, craint et reconnu pour ses expérimentations érotico-gore. La fameuse scène du Sabbat satanique, qui est la plus travaillée de L'Antéchrist, transpire sa vision de l'horreur : brume, partouze, mélopées païennes, cérémonie d'initiation, costumes et formules latines de rigueur... C'est une compilation de clichés, sublimée par une photographie léchée, et qui se paye le luxe de sombrer dans le déviant. Preuve que ça marche : le crapaud écrasé dans une main par le maître de cérémonie deviendra le visuel du film sous format VHS. Mentionnons en dernier lieu la musique du film, signée Ennio Morricone et Bruno Nicolai (6), qui combine violons stressants et grands orgues aériens. Cela donne une ambiance à la fois survoltée et éthérée.


Pour la première fois proposé en version intégrale, L'Antéchrist, qui devait être au départ un pur remake de L'Exorciste de William Friedkin, s'avère un film ambivalent. Il y a du plagiat et de l'originalité. Du semblable et du différent. On n'échappe pas aux poncifs ésotériques et horrifiques, mais il faut se rappeler que les films de possession n'ont que très rarement réussi à développer leurs propres thèmes. L'Antéchrist s'autorise une plus grande radicalité dans son propos et dans ses expérimentations esthétiques : la faute au trio Clerici / De Martino / Mannino, qui a su développer un scénario intelligent, et à Joe d'Amato, qui a dirigé la photographie du film et y a donc laissé sa patte. Malgré tout, L'Antéchrist reste un film mineur, un film d'exploitation intéressant à regarder et à connaître pour qui s'intéresse aux films bis. L'expérience pourra être prolongée par le visionnage de Holocaust 2000, du même Alberto De Martino, qui date de 1977 et qui retravaille, avec beaucoup de talent, La Malédiction de Richard Donner.


(1) Sorti sous des noms différents : Baisers de Satan, El Anticristo, Die Antichrist et The Tempter.
(2) Il a réalisé la post-synchronisation de La Dolce vita (1960) de Federico Fellini.
(3) Sa fille, d'ailleurs, travaillera longtemps dans le doublage de films.
(4) Il a été assistant-réalisateur d'Il était une fois la Révolution (1971) de Sergio Leone, notamment pour les scènes de bataille.
(5) Le mot est de Christophe Gans, dans le bonus DVD « L'exorcisme de De Martino », et qui parle intelligemment de ce phénomène propre aux années 1970.
(6) Les deux compositeurs font l'objet du bonus DVD « Nicolai et Morricone ».

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Florian Bezaud - le 7 avril 2016