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Critique de film
Le film
Affiche du film

Kitty Foyle

(Kitty Foyle: The Natural History of a Woman)

L'histoire


Kitty
Foyle (Ginger Rogers) est une jeune femme de son époque, émancipée, moderne mais vivant chichement. Elle est redevenue célibataire et travaille dans un grand établissement. Ce soir-là, elle a rendez-vous avec son ami, le docteur Mark Eisen (James Craig), qui l’emmène avec lui finir sa tournée ; une de ses patientes est sur le point d’accoucher. Le couple se retrouve enfin seul et Mark propose le mariage à Kitty. Celle-ci accepte avec joie et ils décident immédiatement de passer à l’acte. Ils se donnent rendez-vous à minuit chez un juge de paix pour officialiser les épousailles. Kitty rentre à son hôtel afin de se préparer mais un homme l’attend dans sa chambre. Il s’agit du millionnaire Wyn Strafford (Dennis Morgan) qu’elle a rencontré alors qu’elle était sa secrétaire et qui est rapidement devenu son amant. Les parents de Wyn, riches banquiers de Philadelphie, engoncés dans leurs traditions ancestrales, feront tout pour qu’ils ne puissent jamais se marier et Wyn finira par se trouver obligé d’épouser une femme de sa classe sociale. Malgré tout, l’amour que Kitty éprouve pour Wyn n’a jamais cessé. Ce soir là, lors de leurs retrouvailles inopinées, il lui raconte que, ne s’entendant pas avec son épouse, il a quitté sa famille. Il lui propose de l’emmener le soir même en Amérique du Sud et lui donne également rendez-vous à minuit. Quel cruel dilemme ! Kitty n’a que quelques heures devant elle pour devoir choisir entre deux hommes qui ont occupé une place aussi importante que différente dans sa vie. Et, afin de prendre une juste décision, elle a besoin de faire le point, de plonger dans ses souvenirs…

Analyse et critique

Le film commence par un prologue destiné à expliquer au spectateur de l’époque comment les femmes, dans l’Amérique en crise des années 30, ont réussi à s’émanciper. Sous la forme d’un pastiche du cinéma muet, pendant quelques minutes, nous assistons à une séquence qui a beaucoup plu à l’époque mais qui aujourd’hui se révèle totalement inappropriée : n’est pas Billy Wilder qui veut (cf. le prologue de Sept ans de réflexion) ! Il faut savoir manier l’ironie avec intelligence si on ne veut pas tomber dans le ridicule. Donc, dans les années 1900, la femme était inhibée, se pâmait à chaque fois qu’un homme l’effleurait et rougissait à la moindre des paroles masculines. Elle finissait par épouser le premier venu mais devait ensuite rester à la maison pour s’occuper de son intérieur et donner un enfant à son mari qui l’entretenait. Quand la femme rentrait dans l’autobus, tous les hommes se découvraient et lui cédaient la place. Mais ma bonne dame, la femme a voulu sa liberté et son indépendance et a osé demander le droit de vote ! Elle l’a obtenu. Résultat, la femme est désormais l’égale de l’homme ; ce qui signifie qu’elle doit maintenant travailler et que plus aucun membre de la gent masculine ne s’embêtera à se découvrir ni à laisser sa place à la pauvre femme affranchie qui doit désormais rester debout dans l’autobus comme les autres. Fini la galanterie ! Pas besoin d’en dire davantage, Sam Wood était bel et bien l’un des réalisateurs les plus réactionnaires de l’époque et le pauvre scénariste Dalton Trumbo (homme de gauche réputé qui fit partie de la liste noire sous le Maccarthysme) a du se sentir lésé sur le coup.

Après ces quelques minutes peu drôles et assez pénibles, on se dit quand même que le film va nous présenter une thématique intéressante pour l’époque, une lutte des classes au moment de la Grande Dépression. Elle ne sera qu’effleurée, la romance prenant le dessus sur tout autre sujet. Ce n’est pas très grave, des histoires d’amour mélodramatiques mettant en scène un triangle amoureux nous ayant déjà donné, à défaut d’autre chose, des films très émouvants. Encore une fois raté ! La faute à qui ? Un peu tout le monde. A commencer par un Sam Wood relativement peu inspiré et qui nous propose une mise en image d’une pauvreté affligeante et sans une once d’imagination ni de vigueur. Pourtant le réalisateur, ancien assistant de Cecil B. De Mille, n’a pas toujours été aussi terne et nous a offert quelques bons films comme ceux des Marx Brothers, parmi leurs plus hilarants, Un jour aux courses et surtout l’inénarrable Une nuit à l’opéra et a fini sa carrière par un excellent western militaire, Embuscade (Ambush – 1949). Dans Kitty Foyle, il n’arrive à tirer aucune scène vers le haut, ne parvient jamais à faire décoller l’intrigue. Les deux seules idées à mettre à son actif sont celles de la structure en flash-back, celui-ci étant amené par le gros plan d’une boule à neige que l’on retrouve à chaque ellipse et saut dans le temps et dont Orson Welles s’est très certainement inspiré pour son Citizen Kane ; l’autre étant la réflexion de Kitty par l’intermédiaire de la discussion avec son "double/ange gardien" se trouvant de l’autre côté du miroir.

Sinon, oui Ginger Rogers est une excellente actrice, nous le savions déjà et nous sommes ravis qu’elle ait reçu au moins une fois l’Oscar pour le prouver ! Mais bien avant Kitty Foyle, elle brillait et virevoltait aux côtés de Fred Astaire et était délicieuse dans les comédies de Gregory La Cava (Pension d’artistes, Fifth Avenue Girl), Billy Wilder (Uniformes et jupons courts) ou George Stevens (Mariage incognito, également sorti dans la collection "Pocket") tout en ayant parfois, à l’intérieur de ces mêmes films, l’occasion de nous démontrer ses talents dans le registre dramatique. Déjà à l’époque, l’Académie des Oscars ne se rendait compte des qualités de ses acteurs qu’une fois ceux-ci se décidaient à tourner dans des films dramatiques. Rien n’a changé, la comédie, aujourd’hui comme hier, a toujours été autant méprisée par les divers jurys et Ginger Rogers a obtenu la récompense suprême pour un rôle beaucoup moins enthousiasmant que bien d’autres qu’elle avait pu tenir auparavant. Ici, l’actrice est une nouvelle fois assez convaincante. A son actif, on peut dire qu’elle est sobre du début à la fin ; elle en fait peut-être même trop dans la retenue et finit parfois par rendre son personnage assez fade. En face d’elle au contraire, ses deux partenaires masculins, Dennis Morgan et James Craig, ne se privent pas d’en faire trop dans les roulements d’yeux, poses et mimiques ; mais nous ne nous appesantirons pas plus avant sur leur interprétation, ils n’en sortiraient pas grandis.

Sinon, Dalton Trumbo aurait-il été bridé dans son écriture ? "Si elle n'est pas dans votre famille, elle est dans la rue ou en face de vous, au bureau, dans le métro ou l'autobus". C'est ainsi que la publicité présenta le personnage de Kitty Foyle et cela aurait pu effectivement donner lieu à un beau "mélodrame féminin" comme la Warner savait si bien les concocter (Mildred Pierce de Michael Curtiz, Now Voyager de Irving Rapper), un intéressant portrait de femme forte, à la fois idéaliste (son rêve est un peu le même que celui de Cendrillon) et réaliste, la jeune Américaine moyenne aux prises avec les dures réalités quotidiennes et à laquelle des millions de femmes pouvaient s'identifier. Mais la pauvreté des dialogues et des situations, la longueur intempestive des scènes de bavardages inintéressants ne poussent pas à l’indulgence. .Et comment croire une seule seconde à l’amour que peut porter Kitty au docteur alors que celui-ci, il faut bien l’avouer, est sacrément benêt, la scène de leur premier-rendez-vous étant parfaitement risible à défaut d’être drôle comme voulue Quand au final au cours duquel Kitty décide de choisir la vie familiale stable et rangée plutôt qu’une union en marge avec son millionnaire, son message n’est pas des plus limpides et se révèle plutôt décevant même s’il faut le reconnaître, loin de l’idéalisme auquel on aurait pu s’attendre. Les seules séquences marquées du sceau de l’homme de lettre qui sera pourchassé par la Commission des Activités Anti-Américaines sont celles montrant le conflit qui oppose cette jeune travailleuse aux richissimes banquiers qui jugent son mariage avec leur fils dégradant, et qui se termine par le départ définitif de Kitty après une décision venant d’elle et d’elle seule : "You mean to say you let all those dead people tell you what do?"

Pour information et pour prouver que je n’ai pas forcément raison dans mon argumentation, Kitty Foyle participa également à la course aux Oscars du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur scénario et de la meilleure prise de son. Amateurs de mélodrames (peu flamboyants cependant) ou de portraits de femme, à vous de vous forger votre propre opinion espérant ne pas vous avoir trop dégoûté par avance ! Le film a ses supporters.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 13 septembre 2004