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Critique de film
Le film

Kit Carson

L'histoire

Le trappeur Kit Carson (Jon Hall) et ses amis Ape (Ward Bond) et Lopez (Harold Huber) viennent d’échapper à une attaque indienne ; ils ont l’intention de prendre du repos à Fort Bridger mais le capitaine John C. Fremont (Dana Andrews) demande à Carson d’être son éclaireur pour conduire un convoi de colons à travers la Sierra Nevada et l’Oregon pour se rapprocher de la Californie. D’abord réticent, Kit revoit sa position lorsque c’est la jolie Dolores (Lynn Bari) qui le sollicite, cette dernière lui ayant tapé dans l’œil et allant faire partie du voyage qui doit la conduire à rejoindre son père. Le périple va se révéler dangereux, d’autant que les Indiens Shoshones se font équiper en armes à feu par le dictatorial général Castro qui ne souhaite pas que la Californie soit annexée par les Américains...

Analyse et critique


Étonnamment, alors qu’il fut le héros d’innombrables BD et romans, Kit Carson n’a jamais vraiment été mis en avant au cinéma contrairement à d’autres célèbres aventuriers et trappeurs tels Daniel Boone - avec qui il eut des liens de parenté - ou Davy Crockett. C’est d’autant plus curieux et dommage de ne pas l’avoir croisé plus souvent sur grand écran que sa vie fut sacrément mouvementée et qu’il fit partie des plus grands pionniers de l’histoire américaine, l’un de ceux à l’origine des mythes fondateurs du Far West. Même si de nos jours quelques portraits brossés de lui ne sont pas spécialement flatteurs, nombre des premières publications le concernant donnent de lui une image globalement positive, bien plus que celle de la plupart des autres célébrités de l’Ouest. Une de ses connaissance le décrivait ainsi dans les années 1850 : "Un gentleman par instinct, droit, pur et chaleureux, aimé aussi bien des Américains que des Indiens et des Mexicains." Plus récemment, mais néanmoins voici déjà cinquante ans, l’un de ses biographes écrivait : "Que ce soit du point de vue de ses exploits ou de sa personne, Carson ne fut pas surestimé. Si l'histoire ne devait conserver le souvenir que d'une seule personne, digne d'admiration, parmi les Mountain Men, Carson serait le meilleur choix possible. Il était, parmi ces hommes, celui qui avait de loin le plus de qualités et le moins de défauts."


Rapide survol de sa biographie, tout du moins la première moitié qui nous amène au point où débute le film qui nous concerne. Il naît dans le Kentucky en 1809. Orphelin de père à l’âge de sept ans, il doit dès lors travailler à la ferme familiale puis trouve un emploi dans une sellerie au départ de la piste de Santa Fe. Là, il écoute le récit des aventuriers et trappeurs qui parcourent le pays jusqu’au Far West et, à l’âge de 16 ans, des rêves d’aventure plein la tête, il part à son tour à la découverte du continent en s’engageant comme palefrenier dans une caravane de marchands. En 1829, il effectue sa première saison en tant que trappeur qui le conduit jusqu’aux territoires apaches encore inexplorés. Il va tour à tour épouser une Indienne Arapahoe (qui décède en couches), une Indienne Cheyenne (qui l’abandonne pour suivre la migration de sa tribu) puis enfin une fille de bonne famille de 14 ans. En 1842, il retourne dans l’Est afin de confier sa fille de son premier mariage à des parents afin qu’elle reçoive une bonne éducation. C’est sur un bateau à vapeur au cours de ce voyage qu’il rencontre John C. Frémont, qui se prépare à conduire une expédition à South Pass et qui cherche un guide. Kit accepte et ce périple de cinq mois pour cartographier la région est un succès ; le rapport de Frémont est publié par le Congrès des États-Unis d’où découlera une vague de caravanes d'émigrants partant pour cette nouvelle terre promise à l’Ouest.


En 1843, Frémont et Carson partent cartographier la seconde moitié de la piste de l’Oregon et se retrouvent en Californie alors sous domination mexicaine. Ils doivent vite rebrousser chemin pour ne pas déclencher une guerre. Nous arrivons en 1845, l'année à laquelle démarre le film de George B. Seitz et la troisième expédition de Frémont qui est dans les faits envoyé en Californie pour susciter la fibre patriotique des colons américains de la région en leur promettant que s’ils parviennent à déclencher une guerre avec le Mexique, il leur enverra la force militaire pour les protéger, en profitant pour annexer la région et l’amener dans le giron des USA. C’est là que l’on entrevoit le mieux la fantaisie des scénaristes quant à la réalité historique puisque dans Kit Carson, ce sont les colons qui s’élèvent contre la dictature et les exactions des Mexicains suite aux incendies de plusieurs haciendas par l’armée de Castro. Vu par ce petit bout de la lorgnette hollywoodienne, les Indiens sont des sauvages sans foi ni loi, armés par les diaboliques mexicains ; aucun des deux peuples n’est épargné par le scénariste George Bruce qui est assez manichéen dans sa manière de décrire sans beaucoup de nuances l’apport de la civilisation dans l’Ouest sauvage par les bons Blancs américains, seuls garants des libertés. Mais depuis le temps, on connaît parfaitement bien Hollywood et il n'est pas besoin de s'offusquer plus avant ; si l’on sait faire abstraction de cette propagande - n’oublions pas l’année de tournage du film, les auteurs poussant à l’interventionnisme américain dans le conflit mondial qui faisait alors rage - et si le viol de l’histoire ne vous rebute pas, il faut bien avouer que nous nous trouvons là devant un film d’aventures d’une belle efficacité, tout autant au niveau de l’écriture que de la mise en scène.


On se satisfera donc aisément de quelques idées assez jubilatoires comme celle de la baignoire géante séparant hommes et femmes par un mur pour une séquence digne des bonnes comédies américaines ; de quelques autres qui feront probablement grincer des dents comme celle de la torture puis de l’exécution de l’espion mexicain ; du joli triangle amoureux qui se noue - totalement fictif - d’autant que les deux hommes s’avèrent de dignes gentlemen, se souciant plus du bonheur de leur amoureuse que de savoir sur lequel va se reporter son choix, et gardent une solide amitié malgré leur rivalité amoureuse ; de constater que nos trois personnages principaux, aussi droits soient-ils, se permettent de douter ainsi que d’avouer leurs faiblesses et leurs erreurs. On sera également agréablement surpris par des séquences d’action non seulement très bien menées mais également superbement rythmées - à l’exception de la dernière un peu bâclée -, par des décors naturels de Monument Valley filmés avec talent et majesté, ainsi que par une interprétation d’ensemble tout à fait honorable. Jon Hall en Kit Carson parvient à faire oublier par sa belle prestance les premiers acteurs pressentis pour le rôle (pas moins que Victor McLaglen, Randolph Scott, Joel McCrea et Henry Fonda) ; Dana Andrews très bien dans la peau de John C. Fremont ou encore la charmante Lynn Bari ainsi qu’un chaleureux Ward Bond avec pour arme son boomerang, tous se montrent parfaits dans leurs rôles respectifs. Notons aussi pour les amateurs de serials que nous trouvons réunis dans le film Clayton Moore et Jay Silverheels, qui seront peu après les célèbres Lone Ranger et Tonto.


Le film est dynamique, épique, vigoureux, chaleureux, ne manque pas d’humour, file à 100 à l’heure et il faut bien avouer que cela est très plaisant sur toute la durée malgré un petit ventre mou à mi-parcours. C’est fort bien réalisé, la logistique est assez impressionnante et l’on ne s’attendait vraiment pas à trouver un film indépendant aussi spectaculaire pour l’époque. On le doit en partie à l’exigence et à l’éthique du producteur Edward Small à la carrière plus qu’intéressante, à George B. Seitz qui nous avait déjà donné précédemment une très bonne version du Dernier des Mohicans avec Randolph Scott ainsi qu'au réalisateur de seconde équipe Arthur Rosson qui nous offre quelques plans assez époustouflants sur Monument Valley qui n’ont pas trop à rougir face à ceux de John Ford qui nous avait fait découvrir la région l’année précédente avec son inoubliable Stagecoach. Certainement pas un grand film mais un western de très bonne tenue.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 14 septembre 2019