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Critique de film
Le film

Kansas en feu

(Kansas Raiders)

L'histoire

La guerre civile fait rage. Jesse James (Audie Murphy) et son frère Frank (Richard Long), James Younger (Dewey Martin) et son frère Cole (James Best), ainsi que Kit Dalton (Tony Curtis) décident de rejoindre les rangs des Raiders du fameux colonel Quantrill (Brian Donlevy) que l'on a communément baptisés "la brigade du massacre". En effet, ayant tous eu à faire avec les soldats de l'Union, ils pensent qu'il s'agit de la meilleure manière de pouvoir venger les membres de leurs familles tombés violemment sous leurs balles. En arrivant dans la ville de Lawrence au Kansas, ils sont pris à partie par des "Redlegs" qui sont prêts à les lyncher, prenant ces derniers pour des espions à la solde de Quantrill. Ils sont in-extremis sauvés de la potence par un capitaine nordiste qui leur déconseille néanmoins, s'il leur en prenait l'envie, de rejoindre les troupes de ce colonel sanguinaire. Cependant, refusant de croire à la folie meurtrière de celui-ci, ils finissent par arriver dans son camp et s'engagent à se battre à ses côtés. Convaincu de la loyauté de Jesse, Quantrill en fait même très vite son bras droit. Mais le jeune futur hors-la-loi constate rapidement de visu que la barbarie de son commandant n'était pas une légende ; son sentiment est encore raffermi quand la propre maîtresse de Quantrill, Kate (Marguerite Chapman), lui confie la peur qu'elle éprouve à constater chez son homme une soif de sang et de destruction de plus en plus pressante. Malgré tout, fermant les yeux sur les massacres et autres vilenies, Jesse continue à penser qu'il se bat pour faire vaincre ses idées, celles du Sud. Puis c'est le raid brutal sur la ville de Lawrence et la preuve que, malgré ses promesses, Quantrill reste plus que jamais un criminel de guerre. Néanmoins, Jesse James lui restera loyal jusqu'à la mort...

Analyse et critique

« And so into the pages of crime history rode five young men : Kit Dalton, Cole and Jim Younger, Frank and Jesse James, five whose warped lives were to be an heritage from their teacher, William Clarke Quantrill. » Ainsi la voix du narrateur faisait s’achever ce western de Ray Enright qui allait nous replonger une fois encore au sein de cette meurtrière Guerre Civile qui eut ses profiteurs, non seulement à l'époque de son déroulement (comme ce fameux Quantrill par exemple) et au moment de la "reconstruction" (les Carpetbaggers) mais aussi - et là sur le ton de la plaisanterie bien évidemment - jusqu'au siècle suivant puisqu'on constate aisément à quel point ces cinq années de conflit furent du véritable pain béni pour tous les artisans du western hollywoodien ! Ray Enright, en ce début des années 50, remettait dans le même temps au goût du jour la réunion de hors-la-loi célèbres alors bien en vogue la décennie précédente, et à laquelle le cinéaste avait déjà contribué avec Bad Men of Missouri. Mais, contrairement à ce dernier, Kansas Raiders peut être considéré comme un de ses meilleurs westerns, à placer aux côtés des Ecumeurs (The Spoilers) et Ton heure a sonné (Coroner Creek), le reste de sa filmographie, notamment dans le domaine qui nous concerne, s'étant révélée bien médiocre. L'avant-dernier western qu'il met en scène ici fait partie de cette vague de séries B produites à tour de bras dans les années 50 par le studio Universal et qui compte son lot de bonnes surprises violentes et remuantes, rehaussées par l'utilisation toujours chatoyante du Technicolor. Un bon cru Enright donc !

Quantrill avait été déjà personnifié par Walter Pidgeon dans un honnête western de Raoul Walsh du début des années 40, L'Escadron noir (Dark Command). C'est Brian Donlevy qui, après avoir été le second rôle westernien le plus présent voici dix ans en arrière, mais que l'on avait perdu de vue dans le western depuis le sublime Canyon Passage de Jacques Tourneur, reprend le flambeau avec une belle prestance, brossant un intrigant portrait de ce mythomane sanguinaire et illuminé. Petit rappel historique concernant les dernières années (celles narrées dans le film) de ce personnage peu recommandable qui utilisa l'uniforme sudiste pour mieux pouvoir commettre ses méfaits sanglants, tuer et piller à son gré. Souhaitant faire cesser les raids de Quantrill dans l'Etat du Kansas, un commandant des forces de l'Union fait arrêter les femmes et sœurs de plusieurs hommes du gang mais le bâtiment où elles sont retenues prisonnières s'écroule en causant cinq décès. Pour se venger, Quantrill rassemble 450 hommes et s'abat sur la ville de Lawrence la nuit du 20 août 1863 ; résultat : près de 150 hommes, femmes et enfants tués de sang-froid et le même nombre d'édifices détruits. Traquée, la bande se réfugie au Texas et se délite peu à peu, les hommes n'arrivant pas à assumer une telle folie meurtrière ; ils se retrouvent à peine une douzaine avec dans l'idée d'assassiner Abraham Lincoln. Le 10 mai 1865, la petite troupe est surprise ; et si la plupart arrivent à s'échapper, leur chef, blessé d'une balle à la colonne vertébrale, est arrêté. Paralysé, il meurt peu après dans des conditions bien moins héroïques que lors du final de Kansas Raiders où il tombe courageusement et seul sous les balles ennemies.

Car, comme souvent à Hollywood, le scénariste Robert L. Richards (coauteur avec Borden Chase du script de Winchester 73) s'est permis de très nombreuses libertés par rapport à la vérité historique, à commencer par l'âge des protagonistes ; que ce soit Jesse James ou Quantrill, ces derniers étaient bien plus jeunes à l'époque des évènements, 16 ans pour le premier (contre presque la trentaine pour Audie Murphy) et 25 ans pour le second alors que Brian Donlevy n’était pas loin de la cinquantaine ! Jesse n'a rejoint son frère qu'à la fin des combats et n'a jamais été spécialement proche de son commandant. Quant à Kate, la maîtresse de Quantrill, encore adolescente à l'époque, il est assez cocasse de savoir qu'elle profitera de l'argent ensanglanté de son amant pour ouvrir l'une des maisons closes les plus célèbres de Saint Louis. Quoi qu'il en soit, on ne s'offusquera pas de toutes ces fantaisies historiques et multiples invraisemblances scénaristiques d'autant que le film s'avère, sinon passionnant, tout du moins bougrement efficace et plutôt captivant. Les problèmes de conscience de Jesse James face aux boucheries accomplies par le gang dont il fait partie, ses relations ambigües avec la maîtresse de son commandant, le charisme qu'il montre face aux quatre autres futurs hors-la-loi, l'intéressante description des personnages de Quantrill et de Kate font de ce western avant tout destiné aux amateurs d'action un film tout à fait intéressant, brossant par ailleurs dans le même temps un tableau d'une grande brutalité et d'une rare noirceur pour l'époque concernant ce conflit. Une des premières séquences nous montre un peloton d'exécution improvisé décimant des dizaines de prisonniers à qui l'on venait de donner la parole de ne pas leur faire de mal. Et aviez-vous déjà vu un "héros" qui, après un combat au couteau avec un homme l'ayant provoqué, au lieu de laisser la vie sauve à son adversaire vaincu l'achève avec force cruauté ?

Quand on sait que ce héros a le visage poupin d'Audie Murphy, on est encore plus interloqué. Fils d'un modeste cultivateur de coton, Murphy fut le soldat le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale. Il commença sa carrière cinématographique en 1948 et tournera des dizaines de westerns de séries B pour la Universal durant les années 50. C'est la première fois que nous le rencontrons dans un western, qui sera son genre de prédilection. Il avait été quelques semaines plus tôt Billy the Kid dans The Kid from Texas, western signé de Kurt Neumann. Kansas Raiders est sa deuxième incursion dans le genre et il s'y révèle immédiatement très à l'aise sans avoir besoin d'en faire trop, son jeu s’avérant d’une grande sobriété (certains parleront sans doute de fadeur). Malgré sa très petite morphologie, il porte le costume de l’Ouest avec une grande classe et son regard acier n'est pas sans efficacité. Audie Murphy est loin d'être un grand acteur, mais dans son style de rôle il reste tout à fait honnête. En tout cas son personnage est assez ambigu (à cause de sa naïveté surtout) pour retenir l’attention ; son mélange d’admiration/répulsion pour son chef, l’incompréhensible loyauté qui le liera à ce "père adoptif" sanguinaire, ses états d’âme incessants le rendent assez intéressant. Ce n’est d’ailleurs pas un héros pur et dur puisque, s’il ne participe pas aux massacres, il ne fait rien pour les empêcher ; s’il se rend compte que l’armée de Quantrill commet des actes au moins aussi répréhensibles que les Redlegs (sorte de milice pro-Union) de qui il veut se venger, il n’en continue pas moins de se battre à ses côtés. Ses compagnons affirment même qu’ils se retrouvent dans une situation plutôt enviable, ce qui pourra choquer mais me paraît au contraire assez réaliste ; il y a de fortes chances pour que les Raiders de Quantrill n’aient pas été des idéalistes forcenés mais tout simplement des bêtes de guerre adeptes des méthodes expéditives comme décrits ici. Point de moralisme ni de "politiquement correct" comme nous le dirions aujourd’hui : les protagonistes principaux ne sont en fait que des psychotiques, et de ce point de vue le script est plutôt réussi et ne cherche pas à nous donner bonne conscience.

Outre Jesse, pour incarner les autres futurs outlaws on a une belle kyrielle de petites stars en devenir à commencer par Tony Curtis dans une de ses premières apparitions, mais aussi Dewey Martin, le futur interprète de Howard Hawks notamment dans La Chose d’un autre monde (The Thing) et surtout La Captive aux yeux clairs (The Big Sky), James Best, plus tard aux côtés de Paul Newman dans Le Gaucher (The Left Handed Gun) d’Arthur Penn et enfin Richard Long, futur héros de la série télévisée La Grande vallée. Scott Brady interprète un beau salaud et Marguerite Chapman, actrice déjà croisée sous la caméra de Ray Enright dans Coroner Creek, s’avère plutôt douée et charmante, à l’origine d’une romance plutôt attachante. Aucun comédien ne sort vraiment du lot ni ne fait vraiment d’étincelles mais, tout comme le scénario et la mise en scène, l’interprétation d’ensemble reste solide à défaut d’être inoubliable. Les éléments ambigus et les relations intéressantes entre certains personnages qui parsèment le script de Robert L. Richards sont superficiellement survolés et n’empêchent pas l’écriture d’être sans réelles surprises, mais ils auront eu au moins le mérite d’exister et de faire dépasser à Kansas en feu le stade du western trop routinier qu’il aurait été sans cela. Le film se révèle aussi d’une violence assez inaccoutumée lors des séquences de tueries ou de batailles, et nous propose des combats assez innovants pour l’époque comme celui qui oppose Audie Murphy et l’espion nordiste : ils se battent au couteau avec chacun un coin du même mouchoir qu’ils ne doivent pas lâcher coincé entre les dents. La conclusion de cette bagarre est, comme nous l’avons déjà dit plus haut, d’une férocité assez surprenante.

Kansas en feu est un plaisant petit western sans prétention mais aussi sans temps morts qui file à 100 à l’heure, le rythme et l’action étant très soutenus, les pétarades prenant souvent le pas sur les dialogues pour le plus grand plaisir des amoureux de séries B nerveuses et mouvementées. Alors il est vrai que les invraisemblances pullulent, que le grande Histoire est déformée sans complexe et que le faible budget alloué fait que certaines images - -comme celle de l’incendie de la ville de Lawrence en plan d’ensemble - font assez "cheap". Mais nous n’allons pas faire la fine bouche lorsque le très moyen Ray Enright parvient à nous délivrer un aussi sombre tableau d’un des chapitres les plus sordides de l’histoire américaine.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 2 novembre 2012