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Critique de film
Le film
Affiche du film

Johnny s'en va-t-en guerre

(Johnny Got His Gun)

L'histoire

Le dernier jour de la Première Guerre Mondiale, Joe Bonham est sauvagement mutilé par un obus. Manchot, cul-de-jatte, muet et aveugle, il a perdu tous ses repères sensoriels et il ne lui reste plus que son cerveau pour penser, rêver, et se souvenir de sa vie avant la guerre. Considéré comme un cobaye scientifique par des médecins qui le soignent avec attention , Joe souffre en silence, laissé à l’état de légume, et tente de communiquer par tous les moyens pour qu’on lui accorde la mort.

Analyse et critique

Le simple fait d’évoquer le titre Johnny Got His Gun suffit à donner une impression de malaise à tous ceux qui l’ont vu. Ce film traumatisant décrit sans concessions le désespoir d’un être sans aucune défense. L’horreur psychologique atteint ici son apogée. Que ferait-on si on n’avait plus l’usage de notre corps et de nos sens ? Pourrait-on continuer à vivre si la seule chose qui nous reste à faire est de nous réfugier dans des pensées ? Ceci est tout simplement inimaginable et pourtant, cette histoire a sûrement été réelle…

Pour dénoncer l’absurdité de la guerre, Dalton Trumbo n’a pas besoin de s’attarder sur les reconstitutions des batailles, nous ne verrons que l’image troublante d’un allemand en décomposition sur les barbelés et l’explosion de l’obus qui va atteindre Johnny. De plus, afin de s’interdire toute complaisance dans le gore, Trumbo ne cherchera pas à nous montrer le corps mutilé de Johnny qui est recouvert par des pansements et un drap blanc. Seuls quelques morceaux de peau restés intacts (un front et une poitrine) nous seront dévoilés avec une étonnante pudeur. Quant aux pensées de Johnny, le recours systématique à la voix-off n’apparaît pas comme une facilité, mais comme une évidence puisque ce personnage est privé du dialogue avec les autres.

Mais ce qui est encore plus révoltant est la conduite des médecins qui refusent d’admettre que Johnny n’est pas décérébré. Même quand celui-ci parvient à communiquer en morse pour supplier l’euthanasie, sa demande n’est pas prise en compte malgré la bonne volonté d’une jeune infirmière compréhensive. Parce qu’il n’a pas de corps, les médecins croient qu’il n’aura pas de sentiment, ni de pensée, et ce jusqu’à sa mort. Cette absurdité est la cruelle ironie du film. Comme le laisse supposer la citation à la fin du film, il est bien plus facile de glorifier les millions de soldats morts pour la patrie en leur rendant un vibrant hommage : comme le dit Dalton Trumbo, les chiffres nous ont déshumanisés. Les morts deviennent des héros et les blessés sont tenus à l’abri, seuls et coupés du monde. Peut-on imaginer meilleur réquisitoire contre la guerre ?


La structure narrative de Johnny Got His Gun est audacieuse : les souvenirs et les rêves sont en couleur et la dure réalité du présent est en noir et blanc, ce qui amplifie la tristesse de l’état de Johnny. Il se souvient de sa fiancée, de sa timidité dans la découverte d’un premier amour, de ses relations avec son père (sublime séquence de la canne à pêche). Toutes ces scènes sont poignantes car traitées avec beaucoup de tendresse et de pudeur. L’identification du spectateur à Johnny devient bouleversante. Le contraste saisissant avec l’horreur de sa situation actuelle ne cède jamais au chantage à l’émotion. Mais les repères peuvent parfois se brouiller, ce qui donne lieu à des scènes surréalistes. Dans une scène de cauchemar, Johnny imagine qu’un rat est venu le dévorer et n’arrive plus à distinguer le rêve de la réalité. Il s’imagine également en train de dialoguer avec un Christ totalement impuissant malgré sa bonne volonté.

Dalton Trumbo ne s’attaque pas seulement à la folie militaire et au cynisme de la science, mais également à l’hypocrisie de la religion, ce qui le rapproche de son grand ami Luis Bunuel dont on reconnaît d’ailleurs la griffe grâce à son sens de la caricature féroce. Les deux hommes avaient d’ailleurs collaboré ensemble sur le projet en 1964, mais le producteur mexicain était tombé en faillite. Après avoir essuyé plusieurs refus des grands studios qui ne trouvaient pas le projet "bankable", Trumbo rencontre à un dîner un producteur indépendant, Simon Lazarus, qui décide de prendre le risque de le financer. Lorsque le film sort en 1971, il connaît un formidable retentissement critique et public et remporte le Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes. Luis Bunuel avouera d’ailleurs son admiration pour Johnny Got His Gun en disant avoir "retrouvé la puissance du roman, tout son côté dévastateur, avec des moments d’une très grande émotion". Dans le rôle-titre de Johnny, Timothy Bottoms incarne un Johnny inoubliable, plein de douceur et d’innocence. Notons aussi la présence de Jason Robards et de Donald Sutherland.


Mais avant cette reconnaissance tardive, Dalton Trumbo avait connu bien des galères… Son propre roman Johnny got his gun avait été écrit trente ans plus tôt, en 1938. Ce pamphlet pacifiste avait pour but de dénoncer les résultats de la guerre de 1914-1918 qui est à ses yeux "la dernière des guerres romantiques". Mais sa parution a eu lieu juste avant la Seconde Guerre Mondiale, ce qui ne pouvait pas tomber plus mal. A cette période, face à la menace nazie, le pacifisme était synonyme de défaitisme. Après la guerre, la carrière de Dalton Trumbo en tant que scénariste est troublée par l’ère du maccarthysme dont il sera victime, faisant même partie des "Dix de Hollywood". Il fut donc contraint de travailler sous pseudonyme pendant treize ans. Dalton Trumbo n’a que 65 ans lorsqu’il adapte enfin pour l’écran Johnny Got His Gun qui restera son unique film, l’époque étant propice à la dénonciation de la boucherie guerrière, c’étaient les années Vietnam.

Qu’en reste-il aujourd’hui ? Le caractère universel et intemporel de l’œuvre conserve encore toute sa force. L’absurdité de la guerre sera toujours à démontrer. La vision de Johnny Got His Gun est une expérience douloureuse mais nécessaire, tout comme Nuit et Brouillard d’Alain Resnais. Mais malgré sa noirceur radicale, Johnny Got His Gun ne cherche pas pour autant à donner une impression désespérée. Il est carrément impossible d’oublier cette scène bouleversante où l’infirmière trouve enfin le moyen de communiquer avec Johnny afin de pouvoir lui souhaiter un Joyeux Noël

dans les salles

 JOHNNY S'EN VA T-EN GUERRE
  un film DE DALTON TRUMBO (usa,1971)

  DISTRIBUTEUR : TAMASA DIFFUSION
  DATE DE SORTIE : 28 MAI 2014

 La Page du distributeur

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Hrundi V. Bashki - le 28 février 2003