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Critique de film
Le film

J'ai tué Jesse James

(I Shot Jesse James)

L'histoire

L’alarme déclenchée par un employé de la banque fait échouer le dernier hold-up du gang des frères James. Des hommes sont tués et Bob Ford (John Ireland), blessé, laisse tomber le butin. Il est sauvé par Jesse (Reed Hadley) qui l’emmène à Saint Joseph dans Missouri où, caché sous une identité d’emprunt, il vit caché auprès de Zee, son épouse. Bob est l’hôte des James depuis bientôt six mois. Il est follement épris de la comédienne Cynthy Waters (Barbara Britton) qui ne veut pas d’un bandit pour époux, car ne souhaitant pas vivre dans l’angoisse perpétuelle. Il lui promet de quitter le gang dès que possible ; quand il apprend que le gouvernement offre l’amnistie ainsi qu’une prime à n’importe quel membre du gang qui livrerait son chef aux autorités, Bob pense à son avenir, à sa liberté, et tire dans le dos de Jesse alors que ce dernier était monté sur une chaise pour remettre un cadre droit. Bob se rend et est amnistié sans cependant toucher la récompense promise. Il se rend immédiatement chez Cynthy, espérant enfin se faire épouser ; horrifiée par son geste, celle-ci le repousse au contraire d’autant qu’elle vient de rencontrer John Kelley (Preston Foster) qui ne lui est pas indifférent. Ne perdant pas espoir, Bob reste en ville où il a trouvé un travail de comédien : tous les soirs au théâtre, a lieu la représentation de l’assassinat de Jesse James...

Analyse et critique

En ce début d’année 1949, on commence à voir poindre une nouvelle génération de cinéastes sur les devants de la scène dont Samuel Fuller qui nous livre avec ce western tout simplement son premier long métrage, début d’une longue et belle carrière. L’assassinat de Jesse James est un fait historique devenu quasiment mythique puisque mis en images à de multiples reprises. Presque tout le monde a en tête l’image de cet honorable père de famille monté sur une chaise pour remettre un tableau droit et qui, à ce moment-là, reçoit une balle dans le dos tirée à bout portant par son ami Robert Ford, ex-membre de son gang à qui l’on promettait l’amnistie après avoir accompli cet acte de vilenie. Samuel Fuller, pour son premier film et avec un budget dérisoire, s’empare à son tour de ce fait "légendaire" pour raconter… une histoire d’amour, ni plus ni moins.

L’histoire nous est donc déjà connue puisqu’elle a déjà fait l’objet de deux films qui se suivaient, Le Brigand-bien aimé (Jesse James) de Henry King et Le Retour de Frank James (The Return of Frank James) de Fritz Lang. Mais ces oeuvres n’ont pas grand-chose d’autre en commun avec la version qui nous préoccupe, celle-ci se révélant d’une plus grande noirceur, évacuant tout le pittoresque encore présent dans le dytique précédent. Il faut dire qu’au lieu de prendre pour personnage principal le frère de la victime, I Shot Jesse James relate les évènements du point de vue de l’assassin comme le titre nous l’a fait pressentir : un antihéros lâche, égoïste et tourmenté par ses démons, il fallait oser ! Une autre manière d’appréhender le même fait historique, une réflexion sur la façon dont peut se construire une notoriété alors que le seul but de celui qui l’a acquise était la tranquillité. Une vision sombre et désenchantée puisque Bob Ford a tout raté en tuant son mentor, ayant perdu l’amour pour lequel il avait commis cet acte, ayant gagné au contraire une réputation de tireur dont il se serait bien passé ; certains pensent même devenir des héros à leur tour en le défiant, en l’occurrence ici un adolescent. Bob comprend alors dès le moment où il retrouve la liberté qu’il en sera en fait toujours privé, qu’il ne trouvera jamais plus la quiétude et que cet "emprisonnement" en dehors des barreaux sera tout aussi difficile à vivre, la solitude semblant devoir être désormais son lot quotidien.

Même si le réalisateur déclarait avoir voulu faire le portrait d'un assassin en se demandant ce qui poussait un homme à tuer son semblable, ce n’est pas forcément le thème principal du film. De la part de ce baroudeur de la caméra, on pouvait s’attendre à tout sauf à une première œuvre "romantique" et finalement très attachante qui nous surprend par le fait de réussir à nous faire ressentir de l'empathie pour ce traître de Bob Ford, meurtrier par amour. Ce protagoniste nous devient d’autant plus sympathique qu’il est bourré de remords et que nous apprenons bien avant lui que la femme pour qui il accomplit toutes ces actions indignes ne partage pas son amour. Une profonde mélancolie (sorte de pitié pour ce "pauvre type") vient alors nous envahir jusqu’à ce que la tragédie finale vienne y mettre un terme. Dommage que les épaules de l’acteur John Ireland (par ailleurs excellent second couteau dans des centaines de films et séries télévisées et que Samuel Fuller avait découvert et apprécié dans Red River) ne soient pas assez solides pour le porter à tenir le rôle principal d’un film et que Barbara Britton soit plus charmante que talentueuse (ils sont loin d’être tous les deux mauvais, cela dit), auquel cas contraire I Shot Jesse James aurait certainement pu atteindre des sommets dans l’émotion. En revanche son rival, John Kelley, est superbement interprété par un Preston Foster très classieux et charismatique, qui en fait un personnage pour lequel on éprouve une forte empathie. Tout comme précédemment à propos de La Peine du talion, où j’aurais bien vu une interversion de rôles entre William Holden et Glenn Ford, je pense que Preston Foster aurait pu être parfait dans la peau du traître amoureux.

Cette première tentative manque aussi visiblement de moyens qui privent le film de plus d’ampleur et de souffle. Fuller tente de pallier cette carence par l’intégration d’une musique un peu trop grandiloquente, en inadéquation avec la sécheresse des images, mais aussi par un montage souvent efficace et beaucoup d’imagination dans sa mise en scène (les quatre plans consécutifs sur des paysages pour remplacer de coûteuses scènes de chevauchées, alors que Bob Ford se rend travailler à la mine ; l’utilisation de l’image "flashback" au cours de la séquence théâtrale ; le duel nocturne avec les plans de John Ireland sur un fond complètement opaque…) mais son western demeure malgré tout un peu trop bavard malgré une intrigue assez solide. On a souvent parlé de dynamitage du genre et d’iconoclasme à propos de ce premier film de Samuel Fuller ; ce sera vrai par la suite mais ce serait beaucoup exagéré d’en parler pour ce western comme je l’ai lu à plusieurs reprises. Disons que Fuller pallie le faible budget par de belles trouvailles et d'idées de mise en scène mais c’est le propre des bons réalisateurs de série B. Rien encore ici qui ne bouleverse quoi que ce soit ni dans le fond ni dans la forme, The Man from Colorado (pour le fond), Yellow Sky (pour la forme) étant, pour prendre les exemples les plus récents, bien plus révolutionnaires à ces deux niveaux.

Il faut néanmoins saluer la jolie réussite de ce coup d’essai, une tragédie westernienne romantico-ascétique qui manque certes de rigueur mais dont la fougue finit par emporter l’adhésion. On y trouve une sidérante scène d’ouverture par ses cadrages et sa violence (ce sera un peu la marque de fabrique du cinéaste), de vastes mouvements de caméra et un style aride, certes assez éloigné des canons hollywoodiens de l’époque, le cinéaste privilégiant souvent par exemple les gros plans jusqu’ici assez rares. Malgré l’austérité de l’ensemble, le réalisateur arrive à mettre en place une tension dramatique certaine (la balade de "l’abominable petit lâche" Robert Ford chantée devant lui dans un saloon par un quidam ne le connaissant pas de visu …). On découvre aussi chez Samuel Fuller que les affrontements physiques ne font pas dans la dentelle et que les histoires d’amour sont dénuées de sentimentalisme ; il ne dérogera jamais à cette règle, tout comme il continuera à utiliser plus que de coutume les coupures de journaux, son ancien métier de journaliste remontant à la surface. J'ai tué Jesse James est un western assez atypique d’une grande liberté d’expression, au ton plutôt inhabituel, souvent maladroit et inachevé, mal rythmé et inégal, mais suffisamment attachant pour avoir envie d’y revenir et surtout très prometteur pour ce jeune metteur en scène.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 20 octobre 2012