Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Invasion Los Angeles

(They Live)

L'histoire

John Nada parcourt les routes à la recherche d'un travail comme ouvrier sur les chantiers. Embauché à Los Angeles, il fait la connaissance de Frank Armitage qui lui propose de venir loger dans son bidonville. John va y découvrir une paire de lunettes hors du commun : elles permettent de voir le monde tel qu'il est réellement, à savoir gouverné par des extra-terrestres ayant l'apparence d'humains et maintenant ces derniers dans un état apathique au moyen d'une propagande subliminale omniprésente.

Analyse et critique

Les années 80, leur superficialité, leur ode au consumérisme et à l’individualisme constituèrent un violent retour sur terre après les élans libertaires de la décennie précédente. Sous l’ère Reagan, la pensée unique du patriotisme et de la seule quête du profit reprend ses droits, valeur déformée de l’Amérique prospère et idéalisée des années 50 mais ici teintée d’un terrible cynisme où les écarts de richesse se font de plus en plus grands. Les symboles de cette réussite insolente et égoïste sont bien sûr les yuppies, chantres de la finance imbus d’eux-mêmes. La résistance s’organise pourtant à travers diverses œuvres passionnantes. On peut notamment évoquer la vague de films associée au « yuppie nightmare », ces œuvres qui plongent ces nantis dans un véritable cauchemar surréaliste mettant à mal leur assurance (After Hours de Martin Scorsese, Dangereuse sous tous rapports de Jonathan Demme) ou au contraire qui nous font partager leur détachement des autres avec le cultissime American Psycho de Bret Easton Ellis. Wall Street (1987) d’Oliver Stone est sans doute le film emblème de cette prise de conscience avec son leitmotiv "Greed is good". Mais finalement, les œuvres les plus cinglantes en passeront par la science-fiction pour adopter un ton bien plus corrosif avec le Robocop de Paul Verhoeven et donc Invasion Los Angeles de John Carpenter.

Carpenter, revenu à des productions plus modestes après les échecs commerciaux successifs de The Thing et Les Aventures de Jack Burton, peut désormais librement laisser éclater son amertume, They Live succédant au déjà très sombre Prince des ténèbres. Ayant grandi dans une Amérique désormais plus méfiante de son gouvernement et plus consciente de ses mensonges, Carpenter (de son propre aveu loin d’avoir des convictions de gauche) ne reconnaît plus son pays et les inégalités qui le gangrènent à cette période. L’argument de la courte nouvelle Les Fascinateurs (Eight O'Clock in the Morning en VO) de Ray Faraday Nelson va lui donner matière à tirer un film de cette situation. Dans la nouvelle, un homme découvrait après une séance d’hypnose que le monde était truffé d’extraterrestre cohabitant avec les humains et les exploitant. Carpenter ne conserve que cet argument de départ, la vision réelle du monde se fera par des lunettes de soleil qui nous montrent un quotidien où toutes les publicités sont en fait des messages subliminaux de soumission, où la plupart des nantis et des figures d’autorité sont des extraterrestres ou alors des humains ayant pactisé avec eux par soif de réussite.

Avant ce basculement, Carpenter nous plonge dans cette Amérique des laissés-pour-compte à travers son héros John Nada (l’ancien catcheur Roddy Pipper, sobre et authentique). Ce dernier est un ouvrier fraîchement débarqué à LA pour trouver un job - un dialogue révèlera plus tard qu’il a été victime d’un licenciement de masse dans sa région d’origine. Son nom de famille Nada contient déjà la symbolique de son insignifiance, tout comme sa première apparition tel un hobo des temps modernes au fond du cadre dans une gare ouvrière. Cette insignifiance est manifestée visuellement à diverses reprises par des plans d’ensemble qui montrent sa silhouette écrasée par les immenses buildings de verre illustrant la vraie réussite, à des hauteurs auxquelles il n’aura jamais accès. Double à l’écran de John Carpenter, John Nada malgré les obstacles croit pourtant en l’Amérique et sait que son tour viendra s’il persévère. Pourtant quelque chose semble s’être déréglé dans cette terre de tous les possibles, à l’image de ce bidonville voisinant avec ce quartier des affaires et les signes d’un monde en déliquescence affluent après les sermons d’apocalypse d’un prêtre aveugle, des messages alarmistes et paranoïaques venant interrompre les abrutissants programmes télévisés.

Nada va ainsi découvrir qu’une fragile résistance tente d’agir et va voir le monde sous son vrai jour lors de la saisissante scène où il enfilera pour la première fois les lunettes. C’est un univers totalitaire en noir et blanc dans lequel toutes les publicités, lectures et émissions prodiguent un message d’abêtissement et de soumission simple et implacable des valeurs du moment : sleep, obey, this is your God à la vision d’un billet de banque. La plupart des cols blancs se révèlent être des extraterrestres placés dans les hautes sphères pour mieux nous épier et nous dominer. Comme tout bon Carpenter, le film bascule ainsi dans le western masqué pour montrer la prise de conscience musclée de Nada qui va décimer sans vergogne tous les aliens se plaçant en travers de sa route. Après cette entrée en matière remarquable, le ton se fait plus simpliste et l’intrigue fait preuve de quelques raccourcis qui nous rappellent que nous sommes dans une série B, mais ô combien rageuse et jubilatoire à l’image de cette tirade de Nada entrant fusil à la main dans une banque : "I have come here to chew bubblegum and kick ass... and I'm all out of bubblegum." Il est d’ailleurs largement sous-entendu que les humains sont tout autant coupables de cet état de fait, puisque ces alliés de l’envahisseur y trouvent leur intérêt par ambition ou tout simplement ignorent ces derniers, refermés qu'ils sont sur eux-mêmes en refusant de voir le monde révoltant qui les entoure.

Cela donnera une des scènes les plus extravagantes du film avec cette bagarre interminable de dix minutes au cours de laquelle Nada tente de faire mettre les lunettes à son ami Frank (Keith David) qui refuse avec virulence par désir de ne pas se compliquer la vie et d’éviter les problèmes. C’est précisément ce repli sur soi et cet égoïsme dont se nourrissent les extraterrestres pour nous diviser par des besoins superficiels (les fausses pubs affluent dans l’esprit de celle de Robocop), via le signal d’une antenne de télévision. C'est à notre propre apathie que nous renvoie ainsi Carpenter. La révolution ne peut naître que par une prise de conscience individuelle, Carpenter opposant les visages uniformisés et monstrueux des aliens et l’aspect indistinct des forces de police en uniforme aux personnalités marquées de Nada et Frank. Avec sa conclusion désabusée et teigneuse digne de son New York 1997, Carpenter signe avec They Live un de ses plus grands films.

DANS LES SALLES

invasion los angeles
un film de john carpenter

DISTRIBUTEUR : SPLENDOR FILMS
DATE DE SORTIE : 2 JANVIER 2019

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 2 janvier 2019