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Critique de film
Le film
Affiche du film

Hombre

L'histoire

1884. Alors que la plupart de ses congénères Apaches sont parqués dans les réserves de l’Arizona, John Russell - surnommé Hombre (Paul Newman) -, un homme taciturne élevé par la tribu durant sa tendre enfance, apprend qu’il vient d’hériter du tuteur qu’il eut à l’adolescence ; il pourra désormais être propriétaire d’un hôtel actuellement géré par Jessie (Diane Cilento). Mais, ayant subi toutes sortes d’humiliations alors qu’il vivait dans la réserve de San Carlos avec les Indiens, méprisant désormais les hommes blancs, il ne souhaite pas rester vivre parmi eux et décide de se lancer dans l’élevage en échangeant la propriété contre un troupeau de chevaux. Une fois la transaction terminée, il quitte la ville par une diligence affrétée expressément par Favor (Fredric March), un agent aux Affaires indiennes qui souhaite quitter la région au plus tôt. Se joignent à eux l'épouse de l'agent, la gérante de l’hôtel qui n’a désormais plus de travail, son fils et sa bru, ainsi qu’un homme rustre et arrogant, Cicero Grimes (Richard Boone). Ayant pris connaissance de ses "origines" indiennes’, les passagers obligent John à poursuivre le voyage aux côtés du conducteur. La diligence va avoir du mal à arriver à destination puisque quatre bandits lui tendent une embuscade pour s’emparer d’un des sacs de voyage de Favor, qui s’avère contenir une coquette somme qu’il a détournée de l’administration des Affaires indiennes à son profit...

Analyse et critique

Martin Ritt est un réalisateur venu de la télévision au milieu des années 50 en compagnie d'autres cinéastes de sa génération issus du même vivier : Delbert Mann, Daniel Mann, Sidney Lumet ou Arthur Penn. Claude Chabrol dans les Cahiers du Cinéma écrivait à propos de la filmographie du réalisateur : "Tout dans cette œuvre n'est que petitesse, grisaille et médiocrité." Il est possible que ce soit le cas pour le remake qu'il fit en 1964 du Rashomon d’Akira Kurosawa avec The Outrage qui fait vraiment l'unanimité contre lui. Mais des films comme Paris Blues, Hud (Le Plus sauvage d'entre tous), L'Espion qui venait du froid, The Front (Le Prête nom) ou Norma Rae, tous excellents, ne méritent vraiment pas d'être traités de la sorte tandis que The Molly Maguires (Traître sur commande), son chef-d'œuvre, est même digne de tous les éloges. Sa seule véritable incursion dans le western sera ce Hombre, un grand classique des rediffusions télévisuelles dans les années 70/80 et du coup l'un de ses films les plus connus dans l'Hexagone.

Toujours entouré de son duo de scénaristes habituels, Martin Ritt adapte cette fois le grand romancier Elmore Leonard, auteur entre autres des livres ayant servi de base aux films très différents mais tout aussi splendides que sont 3.10 pour Yuma de Delmer Daves ou Jackie Brown de Quentin Tarantino. Cinéaste engagé et progressiste, ayant fait partie de la tristement célèbre liste noire du sénateur Joseph McCarthy, Martin Ritt a dénoncé toute sa carrière durant toutes sortes d’injustices mais également l’intolérance, le racisme ou l’individualisme. L’énorme succès de Hud, western mélodramatique contemporain déjà interprété par Paul Newman, pousse les auteurs à écrire Hombre, western se déroulant cette fois au 19ème siècle, au milieu des années 1880 durant lesquelles les Apaches avaient été presque tous parqués dans des réserves aux conditions de vie très difficiles dont celle de San Carlos - pour ceux qui aimeraient en savoir plus sur cette réserve spécifique, il existe un western intéressant réalisé par Jesse Hibbs avec Audie Murphy qui s'y déroule, L’Homme de San Carlos (Walk the Proud Land). Malgré ses réelles qualités - dont l’intelligence de son propos et l’absence de tout manichéisme -, Hombre ne rencontrera pas le même enthousiasme auprès des critiques que Hud faute à la froideur de l’ensemble, à des personnages moins attachants, à une gestion moyenne du rythme et à une intrigue guère captivante, sorte de mélange entre La Chevauchée fantastique (Stagecoach), Le Relais de l’or maudit (Hangman's Knot) et Le Survivant des monts lointains (Night Passage), la diligence où se retrouve un panel représentatif de la société de l’époque pour le premier, le blocus par des bandits d’un groupe obligé de rester caché dans un endroit confiné pour le deuxième, le décor de la mine à ciel ouvert et ses baraquements pour le troisième.

Attention, spoilers à venir ! Après une belle séquence de capture de chevaux qui démontre d’emblée non seulement la beauté de la photographie de James Wong Howe, un thème musical doux et entêtant écrit par David Rose, mais également la qualité de la mise en scène d’un Martin Ritt sachant parfaitement bien appréhender la gestion de l’espace ainsi que l’utilisation du Cinémascope, Hombre se poursuit en un traditionnel western pro-Indiens avec ces séquences maintes fois vues pour évoquer le racisme ordinaire à l'encontre des natives, moqués puis provoqués dans les saloons où ils se rendent pour boire tranquillement, des scènes qui se terminent souvent avec violence comme c'est à nouveau le cas ici. Puis l'originalité du film montre le bout de son nez, celle qui consiste à faire de son personnage principal censé symboliser le porte-parole de la nation indienne un homme blanc, qui plus est taciturne et de prime abord égoïste et antipathique. Ce sera la principale force et témérité du film de mettre en avant un message de tolérance anti-individualiste et antiraciste à travers de tels protagonistes puisque seront réunis dans la diligence, outre cet Hombre mi-blanc (par la naissance) mi-indien (par la culture et les traditions dans lesquelles il a été élevé), d’une grande sécheresse de caractère et pas spécialement aimable, des représentants peu glorieux des WASPS de l’époque dont entre autres un couple véreux d’agents aux Affaires indiennes s’étant enfui avec de l’argent détourné de leur administration, une jeune femme mal mariée qui va tenter de tromper son ennui en draguant d'autres hommes sous les yeux de son époux et de sa belle-mère, ainsi qu’un homme arrogant et inquiétant qui se révèlera être à la tête d’un quatuor de bandits au sein duquel s'invite un shérif ayant pourtant servi la loi depuis des dizaines d’années.

A propos du shérif, il est dommage que ce personnage d’homme de loi interprété par Cameron Mitchell n’ait pas bénéficié d’une plus grande importance au sein de l’intrigue, puisqu’en plus d’être intéressant il est au centre de l’une des plus belles séquences du film, celle où il refuse la proposition de la tenancière d’hôtel de l’épouser malgré le fait qu'il partage son lit depuis des mois, en lui expliquant qu'il n'est pas fait pour elle et en évoquant sa vie d’une redoutable monotonie : « I been working since I was ten years old, Jessie, cleaning spittoons at a dime a day. It's now thirty years later, and all I can see out the window here is a dirt road going nowhere. The only thing that changes the view is the spotted dog lifting his leg against the wall over there. Saturday nights, I haul out the town drunks. I get their 25-cent dinners and their rotgut liquor heaved up over the front of my one good shirt. I wear three pounds of iron strapped to my leg. That makes me fair game for any punk cowboy who's had one too many. No, Jess, I don't need a wife. I need out. » Rarement le métier de shérif aura été décrit avec autant de lucidité, d’amertume et d’anti-héroïsme. Cette séquence, toute à la fois désabusée et mélancolique, donne assez bien le ton de la première partie très réussie de ce western très classique dans sa mise en scène mais assez moderne dans son écriture. Hombre compte également dénoncer les conditions de vie intolérables des Apaches parqués dans les réserves de l’Arizona, une situation explicitée par le personnage de John "Hombre" qui à cette occasion aura rarement été aussi volubile. Mais c’est suite à ces explications que les autres passagers - autant par mauvaise conscience que par dégoût des Indiens - demanderont à ce que cet homme élevé par les "sauvages" quitte l’intérieur de la diligence pour continuer le voyage auprès du conducteur. Évincé de cette petite communauté, il sera cependant celui sur lequel on comptera pour se sortir du guêpier dans lequel ils vont tomber, non par le fait de quelques Indiens fanatiques mais bel et bien par un quatuor d’hommes blancs prêts à tout pour s’accaparer à leur tour l’argent qui aurait dû servir à améliorer les conditions de "détention" des Apaches et qu’avait détourné le principal gérant de la réserve.

On peut constater à la lecture de ces lignes que la thématique pro-indienne ainsi que le racisme ambiant sont abordés sous un angle assez original et surtout tout à fait nouveau, sans aucun sentimentalisme ni manichéisme puisque Hombre ne fait rien pour aider ses compagnons de voyage sauf lorsqu’il y est forcé : au tout début du film, il ne bougera pas le petit doigt pour défendre son prochain et laissera le grossier personnage campé par Richard Boone terroriser un soldat jusqu’à ce que dernier lui donne son billet de diligence. Cette attitude totalement individualiste - et même si elle peut être assez compréhensible au vu de ce que les hommes blancs lui ont fait subir ainsi qu’à ses confrères indiens - s'avère du coup être à peu près la même que celles de ces blancs qu’il vilipende. Pour atténuer ce portrait sans complaisance des Américains de l'époque, heureusement que l’on trouve un peu d’humanité, de dignité et d’altruisme à travers le personnage de femme courageuse et déterminée jouée avec talent par Diane Cilento. Elle est la seule du lot à s’indigner de l’absence de solidarité de ses compagnons de fortune, de leur manque d’empathie, de l’indifférence au sort de leurs semblables, estimant que chacun a le droit à une quelconque aide quelles qu’aient été ses actions passées. Une éthique et une générosité qu’elle est la seule à posséder et qui seront probablement à l’origine de la réaction finale totalement imprévisible de Hombre ; devant ce courage désintéressé, il sortira de son individualisme et de sa misanthropie pour aller se sacrifier dans le but de mettre fin à la situation dangereuse dans laquelle se trouve le groupe. Un geste christique qui fait se terminer le film sur une note certes assez sombre mais néanmoins porteuse d'espoir en l'être humain, et qui est typique de ce trio d'auteurs.

Hombre est un western lent et austère portant un regard novateur sur des thématiques rebattues, une œuvre intelligente mais manquant singulièrement de tension dans le long huis clos final malgré aussi une interprétation d’ensemble de haut niveau, que ce soit un Paul Newman charismatique, un Richard Boone à la fois truculent et effrayant - qui vole toutes les séquences où il apparait -, une Diane Cilento superbe dans la peau du personnage le plus intéressant du film ou encore Fredric March dans l’une de ses dernières apparitions à l’écran. Des idées politiques généreuses mais des portraits sans concessions, un scénario rigoureux et sans aucun sentimentalisme pour un western sombre et lucide sur l’inhumanité d’une grande partie de ceux qui ont forgé les USA. Dommage qu'au final le film ait été inégal, qu'il ait manqué de puissance et que certains effets - exclusivement lors des rares séquences violentes - soient aujourd’hui complètement dépassés. Un western néanmoins tout à fait honorable de la part d’un des réalisateurs les plus attachants du cinéma hollywoodien.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 4 février 2017