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Critique de film
Le film
Affiche du film

Ho!

L'histoire

"Ho !" est le diminutif de François Holin, ancien coureur automobile devenu chauffeur d’une bande de gangsters parisiens. Emprisonné pour un vol de voiture, il parvient à s’évader de la Santé, prouesse qui lui attire l’attention des médias. Autrefois traité comme un sous-fifre, Ho ! se voit désormais comme une vedette du grand banditisme...

Analyse et critique


Souvent
mis de côté par les exégètes du cinéma français, Robert Enrico a, durant toute sa carrière, pâti d’une certaine indécision à son égard. Parfois encore aujourd’hui considéré - à tort - comme un cinéaste commercial, impersonnel, au service de ses comédiens-vedettes, Enrico était, selon des témoignages de collaborateurs, un technicien sûr de son fait, qui préparait énormément sa mise en scène, réfléchissait en fonction de celle-ci aux différentes lectures possibles des scènes qu’il tournait, et faisait sur un plateau souvent preuve d’intransigeance. En observant sa filmographie, on peine ainsi encore à classer - mais le faut-il vraiment ? - un cinéaste ayant enchaîné les comédies populaires et les drames historiques, les triomphes publics et les fours implacables… Pour autant, de son œuvre hétérogène émergent véritablement, pour peu que l’on s’y attarde, des récurrences thématiques - pour ne pas parler d’obsessions - qui invitent à ne pas se contenter d’une insuffisante prime évaluation.

Au début de sa carrière, après La Rivière du hibou et La Belle vie, Robert Enrico s’associe, le temps de trois films, avec José Giovanni, l’un des plus importants auteurs policiers français. Leur collaboration est fructueuse, et la bonne entente des deux hommes débouche sur deux grands succès publics (Les Grandes gueules et Les Aventuriers). Leur attention se porte ensuite sur Ho !, roman de Giovanni dont une adaptation avait été tout d’abord envisagée en 1964 par Roger Coggio, avec Serge Reggiani et Pascale Audret dans les rôles principaux. Robert Enrico pense, lui, très vite à Jean-Paul Belmondo pour le rôle de François Holin, dit "Ho !", d’autant que le comédien n’avait rien tourné depuis plus d’un an et souhaitait absolument effectuer son retour dans le registre policier. Les deux hommes ayant comme agent commun Gérard Lebovici, leur rencontre eut très vite lieu, et le tournage débuta en février 1968. Cependant, une fois les prises de vues entamées, José Giovanni Giovanni et Jean-Paul Belmondo réalisèrent vite que Robert Enrico entraînait le film dans une direction différente de celle qu’ils avaient en tête. Lorsqu’il vit le montage final, Belmondo ne cacha pas sa déception, tandis que Giovanni désavoua le film, et fut dès lors conforté dans l’idée qu’il valait mieux mettre en scène ses romans lui-même. Le film recueillit un accueil assez froid, atteignant avec peine le million et demi d’entrées, et la postérité l’a quasiment oublié, le laissant progressivement sombrer dans l’indifférence polie. S’il n’est effectivement pas un grand film, Ho ! vient confirmer ce que nous disions plus haut : il est parfaitement légitime que Belmondo autant que Giovanni ne s’y soit pas reconnus, tant il nous semble avant tout être un film parfaitement « enricoien », et mérite donc en tant que tel tout notre intérêt.

Avant de préciser un néologisme qui pourra surprendre, il convient de resituer Ho ! dans la carrière de Jean-Paul Belmondo : en 1968, le comédien sort d’une décennie qui l’a consacré au rang de star, et où il a démontré sa faculté d’adaptation tant aux registres (policier, drame historique, aventures, comédie…) qu’aux cinéastes les plus variés (Godard, Melville, Malle, de Broca…). S’étant fait une spécialité des rôles de monte-en-l’air charismatiques et de voyous au grand cœur, il commence toutefois à confirmer son affection pour ces variations mêlant prouesses physiques et pitreries insolentes qui feront sa légende, jusqu’à la caricature, dans les années 70 (Le Casse, Le Magnifique, L’Incorrigible, Le Guignolo…). Gageons donc, par exemple, que la perspective sur Ho ! de travailler pour la première fois aux côtés du légendaire cascadeur Rémy Julienne ait été pour lui une motivation. Cependant, en découvrant les images d’archives proposées sur le DVD dans lesquelles, en cours de tournage, Belmondo parle de François Holin, on sent que le comédien s’est fait une image du personnage erronée, en tout cas bien différente de celle du réalisateur : Belmondo évoque en effet « un héros moderne avec un mélange de courage et de réserve », qui devient un « gangster narcissique » « couvert de gloire », description qui sied bien mieux à bien des rôles futurs qu’à celui de Ho !. D’ailleurs, sur ces mêmes images, et quasi-simultanément, Robert Enrico évoque « un homme humilié qui se replie sur lui même » et cède ainsi malgré lui à la violence. Cette divergence de point de vue, si elle révèle une partie du désappointement du comédien et probablement, à travers elle, de l’échec du film, permet surtout de mettre le doigt sur un premier élément caractéristique du cinéma de Robert Enrico. En effet, il y a assez peu de « héros » dans la filmographie de Robert Enrico. Car si le cinéaste a donné, au fil des années, quelques uns de leurs plus beaux rôles aux plus grandes stars masculines du cinéma français (Bourvil, Ventura, Delon, Noiret, Serrault…), il s'est moins souvent agi de célébrer leur stature affirmée que de révéler chez eux des faiblesses inattendues, des fêlures indélébiles. L’archétype du personnage principal chez Enrico, c’est le type à bon fond qui, confronté à une expérience traumatisante (Les Aventuriers, Le Vieux fusil, Au nom de tous les miens…), à une humiliation quotidienne (Pile ou face…) ou aux fantômes du passé (Les Grandes gueules…), cède à la violence ou à l’autodestruction. Il s’agit donc souvent de personnages complexes mais attachants, rendus encore plus humains par leurs maladresses ou leurs erreurs, mais qui peinent à s’extraire d’une spirale vicieuse les attirant inéluctablement vers le fond. François Holin ne déroge pas à la règle : les premières scènes nous montrent un brave garçon, médiocre et vaguement nigaud, qui se rêve en gangster. Constamment mis en boîte par les vrais caïds dont il se contente d’être le chauffeur, il va ruminer une revanche qui lui fera enchaîner les mauvaises décisions - le vol de voiture menant à son emprisonnement est particulièrement piteux. Le personnage possède ainsi une réelle composante pathétique, notamment quand il croit toucher à la gloire et agrafe avec fierté les unes de journaux le présentant subitement comme l’ennemi public numéro un. L’évasion ayant attiré sur lui les projecteurs médiatiques, pour astucieuse qu’elle soit, n’avait pourtant rien de glorieuse, et même cette reconnaissance soudaine s’avère être un guet-apens tendu par la police. Holin subit donc son destin plus qu’il ne l’influe, mais il demeure, par aveuglement ou par crédulité, dans l’illusion de sa renommée. A son tour, il cède à la violence, piégé grossièrement par son goût pour les cravates ; introduction essentielle à la dernière partie du film, la scène fut tournée à un carrefour parisien, au milieu des passants, filmée au téléobjectif depuis des balcons alentours et s’avère, par cette urgence, l’un des pics d’intensité du film.

Par ailleurs, nous l’avons mentionné comme une autre récurrence chez Robert Enrico, François Holin est hanté par son passé, en l’occurrence un accident de course automobile ayant provoqué la mort de l’un de ses amis et lui ayant retiré sa licence de coureur. Le personnage cherche donc à prendre une revanche par rapport à la vie, mais surtout par rapport lui-même, et à cette culpabilité qu’il renie parfois (ses mensonges à Bénédicte) mais qui le ronge. Robert Enrico, fils de garagiste, a souvent utilisé dans ses films les scènes d’action, et en particulier automobiles, comme des illustrations du tourbillon intérieur d’un personnage, d’une évolution funambule sur le fil de la vie, où le destin peut indifféremment basculer d’un côté ou de l’autre. On se souvient par exemple de Roland (Lino Ventura) dans Les Aventuriers poussant son moteur jusqu’à l’explosion face à l’indécision amoureuse de Laetitia. Outre les prouesses de Rémy Julienne, ces séquences automobiles servent donc surtout à enrichir ce personnage enivré par ses rêves de rédemption autant que de grandeur.

Par ailleurs, ces séquences affirment également le lien étrange qui unit Holin au journaliste auteur du fameux article à son sujet, Georges Briand. Au départ basée sur un simulacre (Briand n’a écrit que sous la pression de la police), leur relation dévie vers une drôle d’amitié, presque contre-nature, comme Robert Enrico les affectionne. Dans plusieurs films de la filmographie globalement très masculine du cinéaste, on retrouve ce type d’association curieuse, une amitié qui n’a pas besoin d’être justifiée pour être plus forte que tout, malgré les obstacles. Si cette exaltation de la fraternité virile provient au départ en partie de l’ancien taulard qu’était José Giovanni (Les Grandes gueules, Les Aventuriers), on la retrouve, de part en part, chez Robert Enrico, son sommet étant probablement atteint dans l’assez incroyable relation vacharde et fusionnelle entre l’inspecteur de Pile ou Face (Noiret) et son suspect (Serrault). Traitée sur un mode plus discret dans Ho !, l’union inexpliquée entre le gangster et le journaliste participe, à sa manière, au charme curieux d’un personnage en quête de reconnaissance. A travers elle, on sent d’ailleurs dans ce film d’Enrico (celui-ci ne déclarait-il pas que « toute œuvre d’art doit susciter autre chose que simplement ce que l’on voit, au premier degré, sur l’écran ») comme des accents de critique sur la manière dont les médias conditionnent nos visions (la Une consacrée à Ho mais aussi le traitement télévisuel de la cavale des Schwartz), et donc sur l’avènement de la société du paraître : l’amie de Ho, Bénédicte, est une cover-girl, et Ho se convainc progressivement qu’il est une célébrité, par son look et ses élans exhibitionnistes. Lors de sa sortie finale, tandis que les projecteurs s’allument et que les flashs des photographes crépitent, il apparaît comme dirigé par une voix, hors-champ, qui évoque celle d’un metteur en scène. Et tandis qu’il se cache le visage en demandant aux photographes de s’arrêter, quelqu’un lui répond : « T’es connu, on sait que tu aimes jouer les vedettes. » En extrapolant, on y verrait presque moins François Holin que Jean-Pierre Belmondo lui-même, dont la relation avec Ursula Andress était alors ultra médiatisée...

Ainsi, pour toutes ces raisons l’inscrivant au cœur même de la filmographie d’un cinéaste qu’il serait temps de réévaluer, et pour toutes celles que nous n’avons pas encore citées (le souci réaliste de Robet Enrico, qui atteint son sommet durant la longue séquence en prison ; la ritournelle grave et vive de François de Roubaix…), Ho ! est une œuvre attachante, un film d’apparence mineur qui ne demande, humblement, qu’à se laisser découvrir.

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La fiche IMDb du film

Par Antoine Royer - le 8 mai 2009