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Critique de film
Le film
Affiche du film

Héraclès

(Herakles)

L'histoire

Des masses de muscles et des désastres, montage ironique qui questionne la soif de puissance de l’homme, sa fascination pour les images de la force et son infinie capacité à détruire le monde…

Analyse et critique

Werner Herzog est né en 1942 à Munich mais a grandit dans un petit village de Bavière. Sa mère, d’origine yougoslave (elle se nomme Stipetic, nom pris par son frère Lucki, Werner préfèrant quant à lui Herzog pour des questions de sonorité, Stipetic ne faisant pas très « artiste ») y a déplacé sa famille pour fuir les bombardements et la guerre. C'est elle qui s'occupe des enfants, leur père étant toujours en vadrouille, vivant une existence de vagabond débrouillard. A ses treize ans, sa famille s’installe dans un petit immeuble partagé par plusieurs artistes. C'est là qu'Herzog rencontre pour la première fois Klaus Kinski, qui est déjà apparu dans quelques films, mais joue surtout au théâtre. Le jeune Herzog est frappé par sa folie et sa fureur destructrice. Il suit des études d’histoire et de littérature tout en travaillant de nuit à l’usine et obtient une bourse pour l’université de Pittsburgh. Préférant explorer le nouveau continent, il ne suit pas les cours et est rapidement rayé de la liste des élèves. En 1959, Herzog développe son premier projet de film. Il trouve un producteur mais n’obtient pas l’autorisation de tourner à cause de son jeune âge (il a alors dix-sept ans). Ce film devait se dérouler dans une prison, or l'un des thèmes majeurs du cinéma d'Herzog est celui de l'existence humaine vécue comme un emprisonnement. Peut-être que son œuvre aurait perdu de sa force et de son mystère s'il avait affiché d'entrée de jeu et de manière si brute sa vision de l'humanité. Ne désarmant pas, Herzog travaille pendant deux ans dans une aciérie de Munich et parvient en 1962 à financer et réaliser son premier court métrage, Héraclès.


Surhomme et force

Le cinéma d’Herzog est un cinéma extrêmement physique, terrien. Physiques, les «messieurs muscles » que met ici en scène Herzog le sont assurément. Il filme ces corps d’athlètes à l’entraînement en jouant sur une esthétique de la force et de la puissance : torses bombés, muscles saillants, regards fiers et sourires satisfaits… ces hommes se vivent assurément comme l'aboutissement parfait de la race humaine. Mais le discours glisse et le montage vient contredire cette évocation de la puissance physique. Un carton s’interroge sur la capacité de cet Héraclès des temps modernes à nettoyer les écuries d’Augias, et le plan suivant de nous montrer des amas d’ordures, des montagnes de déchets. Le jeu se poursuit, l’Hydre à neuf têtes se trouvant remplacée par un embouteillage, les Amazones par des femmes soldats marchant au pas... Herzog, par le choc du montage, se moque du culte de la puissance physique, montrant qu'elle ne signifie rien, ne sert à rien. Le cinéaste installe dès ce premier film l'un des grands thèmes de son œuvre qui consiste à montrer le fossé qui sépare le corps et le monde, l’homme et son environnement. Il n’y a pas d’autre lien entre ces images que, justement, l’absence de lien. Quelque chose est définitivement rompu, brisé.

Le culte du corps, du surhomme est un leurre et ceux qui s’y abandonnent vivent dans un monde fantasmé déconnecté de toute réalité. De Signes de vie à Grizzly Man, Herzog ne cesse de décrire comme une aliénation cette tendance de l'homme à se replier sur lui-même, à s'inventer un territoire imaginaire dont il serait le centre et où la nature se plierait à sa vision du monde, à vivre dans un fantasme de contrôle qui l'empêcherait de percevoir la réalité des choses. Pourtant, combien de fois a-t-on entendu gloser sur la prétendue fascination d’Herzog pour l’image du surhomme, et ce alors même que dès sa première réalisation le cinéaste se moque de cette recherche du corps parfait et de la puissance ? Le fantasme d’un corps (d’un monde) parfait est une quête narcissique dénuée de tout sens, une image de la futilité. Ici, la succession des messieurs muscles n’endigue en rien la succession des désastres qui accablent la terre.

Il n’y a aucune trace de fascination pour la figure du surhomme dans l’œuvre d’Herzog (il est d'ailleurs très critiqué pour avoir osé ridiculiser Mister Germany). Il ne suit pas l'hypothèse de Nietzsche où accomplir une volonté de puissance permettrait à l'homme de surmonter l'absence de sens de l'existence. Sa vision du surhomme se rattacherait plutôt à l'acceptation qui en est faite par les romantiques, soit un idéal impossible à atteindre et qui démontrerait les limites de l'existence humaine, Herzog maniant - comme Byron en son temps - cette notion de surhomme avec ironie. Dans Invincible, Herzog fait jouer à l’homme le plus fort du monde le rôle d'un colosse gentil et naïf qui, débarqué de sa campagne à la ville, se retrouve à servir malgré lui les desseins d’un magicien qui va utiliser son corps comme étendard de pensées aryennes de pureté et de force.


Mais le cinéaste ne s'attache finalement que très peu à cette question du surhomme, la seule chose qui l'intéresse c'est l’homme. On a souvent reproché à l'œuvre d'Herzog d'être déconnectée de l'homme, de la société. Les critiques ont décrit une œuvre marquée par l'omniprésence de la nature, apolitique, ne s’attachant que très rarement aux questions contemporaines et se tournant continuellement vers le passé (seule La Ballade de Bruno se déroule dans l’Allemagne contemporaine). Une œuvre donc nécessairement réactionnaire ou, au mieux, romantique. C’est déjà faire fi de tout le pan documentaire de son œuvre mais, même en s'en tenant aux seuls longs métrages, il est évident qu'Herzog ne fait que s'intéresser à l'homme, questionnant sa place au monde, son rapport à la société, à la religion, au pouvoir, à l'autre. Comme si seuls les films sociaux contemporains étaient capables de parler de l'homme, vision ethnocentriste et réductrice qu'Herzog a toujours rejeté.

Images d’une œuvre à venir

Terres dévastées, ruines, militaires, accidents, bombardiers en action… face à ces catastrophes, que propose l’homme ? Des muscles qui se gonflent, des biceps, des machines pour sculpter le corps : vision narcissique de notre espèce tout juste intéressée par sa personne, complètement déconnectée des réalités du monde. En une petite dizaine de minutes, le premier film d’Herzog installe deux des grands thèmes qui traverseront sont œuvre : l’idée d’une terre en pleine déliquescence, d’un gâchis incommensurable, de la capacité de l’homme à ruiner toutes les beautés de la nature ; l’idée que l’homme est prisonnier, prisonnier de cette terre qu’il corrompt et prisonnier de ce corps qui lui interdit nombre de ses rêves. Toute l’existence de ces messieurs muscles tient dans le vain espoir de dépasser les limites de leurs corps et ce que distille au final Héraclès, malgré l’humour et la drôlerie des effets de montages, c’est bien un incommensurable sentiment de tristesse à voir ces êtres se perdre dans ce rêve.

L’homme, quoiqu’il fasse, est limité par son corps, c’est sa prison terrestre. Lorsque Herzog fait se succéder des images de corps et de décombres, il montre que l'homme vit dans un fantasme de contrôle du monde mais qu'un gouffre incommensurable s'est créé entre les deux. Dans un même temps il montre que tout est là, dans le corps, que chacun de nous porte en lui la catastrophe.

Héraclès pose d’emblée les grands thèmes de l’œuvre à venir du cinéaste. Il est même étonnant de voir qu’à seulement vingt ans, Herzog (qui considère qu’Heracles n’est qu’un petit exercice de montage à partir de stock-shots) ait su aussi clairement mettre en image sa vision de l'existence humaine.

L'Intégrale Werner Herzog

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Par Olivier Bitoun - le 9 novembre 2009