Goyôkin
L'histoire
Analyse et critique
Des méthodes de travail inhabituelles, donc, mais le réalisateur ne l’était pas moins. Issu d’une formation commerciale, Hideo Gosha a débuté sa carrière en travaillant à la télévision, d’abord à la NTB, puis sur Fuji TV. Producteur de séries, il se serait probablement toujours consacré à ce médium si l’on n’avait pas insisté pour qu’il adapte Les Trois Samouraï pour le grand écran, ce qu’il fera en 1964 avec Trois Samouraï Hors-la-loi. Personnalité iconoclaste, Gosha a profondément transformé le visage du chambara. La dimension chevaleresque du samouraï en est totalement évacuée, tandis que le commentaire social fait son apparition. Ceci n’est pas sans rappeler un autre genre cinématographique majeur, à savoir le western. Gosha imposa des conditions de travail assez dures à ses acteurs : tournage en extérieurs par – 20 ° c., cascades périlleuses – voir l’ascension de la falaise. Le tournage fut également marqué par un conflit entre Tatsuya Nakadai et Toshiro Mifune, les deux hommes se disputant fréquemment après avoir vidé de nombreux verres de saké. Le deuxième quittera ainsi le plateau au bout de quelques jours.
On a souvent comparé le chambara traditionnel au western hollywoodien classique, et il est vrai que les deux genres ont plus d’un point commun, et que l’un a souvent pu influencer l’autre - à titre d’exemple, on rappellera l’admiration réciproque que se vouaient John Ford et Akira Kurosawa. Il n’est donc pas inintéressant de noter l’évolution du chambara par rapport à celle du western spaghetti. On ne peut en effet que remarquer de nombreuses similitudes entre Goyokin et Le Grand Silence de Sergio Corbucci, deux films sortis à quelques mois d’intervalle : même décor neigeux, même noirceur dans les rapports humains, même violence désespérée. Sakai Seiichi a également raison de pointer l’utilisation des routes boueuses, qui rappelle le Django du même Corbucci. Sans oublier le très beau thème principal composé par Masaru Satô, aux accents très Morriconniens. On notera enfin que la séquence d’ouverture – la découverte du village vidé de ses habitants et envahi par les corbeaux – a des accents qui évoquent Mario Bava.
A l’instar d’une majorité de westerns spaghetti, les chambara d’Hideo Gosha représentent une lecture désenchantée du genre, un monde où les samouraïs ne vivent plus selon le code du Bushido, mais pour la seule quête du profit ; il leur donne une touche de préoccupation sociale - les paysans massacrés pour s’emparer de l’or -, mais la justice n’est plus une motivation pour les sabreurs, et Magobei ne reprend son sabre qu’afin d’apaiser sa conscience. Sa quête n’est en définitive qu’un prétexte : comme il le dit lui-même, il est mort le jour où il n’a pas utilisé sa lame pour faire ce qui était juste. Et s’il dit espérer revivre après avoir accompli sa destinée, il est clair qu’il s’agît d’un leurre. Magobei est mort depuis le début du film, comme est mort l’antique esprit de chevalerie. Et le dernier plan est limpide : le samouraï s’éloigne des réjouissances et s’enfonce dans une brume neigeuse, à l’instar d’un Clint Eastwood sortant et entrant à nouveau dans les limbes dans L’Homme des Hautes Plaines. Hideo Gosha signifie donc la mort d’un genre. Mais l’enterrement est somptueux. Outre la très belle photo neigeuse de Kozo Okazaki, le film se caractérise par de superbes combats, qui se succèdent dans des éléments différents, feu, neige, eau, composant une anthologie du duel au sabre. Une œuvre funèbre, désespérée, qui en voulant donner le coup de grâce au chambara s’inscrit pourtant parmi les plus belles réussites du genre.