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Critique de film
Le film
Affiche du film

Germinal

L'histoire

Le jeune Étienne Lantier s'est fait renvoyer de son travail pour avoir donné une gifle à son employeur. Chômeur, il part, dans le Nord de la France à la recherche d’un nouvel emploi et se fait embaucher aux mines de Montsou. Il fait la connaissance d'une famille de mineurs, les Maheu, et tombe amoureux de la jeune Catherine. Leur attirance réciproque attise la jalousie de Chaval, son amant, un ouvrier brutal. Lorsque la Compagnie des Mines, arguant la crise économique, décrète une baisse de salaire, Lantier pousse les mineurs à la grève...

Analyse et critique

Germinal est sans aucun doute un chef-d’œuvre du cinéma mondial des années 10. Cette adaptation d’Emile Zola, réalisée en 1913, après Les Misérables, place Albert Capellani parmi les plus grands cinéastes de cette époque. Alors que le long métrage est en train de se généraliser, il montre un sens visuel et dramatique qui en fait l’égal d’un Evgeni Bauer, Léonce Perret ou Victor Sjöström.

On n’a que peu de témoignages sur le tournage de ce film. Seul, l’opérateur Pierre Trimbach en parle dans ses mémoires. Il se souvient avoir visité une mine à Auchel (Pas-de-Calais) avec le metteur en scène et un décorateur. Ils descendent dans le puits de mine. Le décorateur en second, Pasquier, prend de nombreux croquis car il est impossible de faire des photos dans les tunnels, l’utilisation du magnésium étant interdite. Ils reconstituent le carreau de la mine en studio avec des toiles peintes et du carton. La mine elle-même est recréée en utilisant la piscine du studio pour la séquence finale de l’inondation. Sur le tournage, pas moins de 130 figurants ont été utilisés, un nombre impressionnant pour cette époque. Trimbach indique que le film fut un très grand succès mais que, malheureusement, les opérateurs restaient encore ignorés du public. Ce n’est qu’après la guerre que le syndicat des opérateurs obtiendra que leurs noms figurent au générique.

Une bonne partie du film a été réalisée sur place à Auchel. Et ce tournage en extérieurs apporte au film vérité et naturalisme. Le réalisateur a même dirigé une scène dans une fête foraine où les acteurs principaux se mêlent à la foule des badauds. Ces derniers regardent intrigués cette caméra qui les observe tandis que les personnages se fondent parmi eux. Mais si le naturalisme se limitait au décor, le film n’aurait pas l’impact qu’il conserve sur le spectateur moderne. Ce qui le rend si familier et impressionnant, c’est la performance des acteurs principaux, en particulier celles d’Henry Krauss et de Sylvie. Henry Krauss a déjà travaillé plusieurs fois avec Capellani. Il a été Jean Valjean et Quasimodo pour lui. Mais, en Etienne Lantier, il trouve un rôle qui lui va comme un gant. Ses larges épaules, son visage mobile et son allure bourrue sont contrebalancés par sa générosité et sa timidité face à Catherine Maheu. Enfin Louise Mainguené dite Sylvie, alors âgée de 30 ans, est tout simplement extraordinaire en Catherine Maheu. Habillée en homme, un fichu sur la tête, elle descend à la mine avec son père. Chacun de ses gestes et de ses mouvements définissent le personnage avec acuité. Elle est, à l’époque, pensionnaire de la troupe au Théâtre Antoine. Son jeu est dépouillé, subtil et sans emphase. Elle attire notre regard immédiatement, comme celui de Lantier. Ce corps mince et androgyne avec ce visage mangé par deux immenses yeux clairs ne passe pas inaperçu. Celle qui sera la meurtrière du Docteur Vorzet dans Le Corbeau (1943) d’Henri-Georges Clouzot était déjà une très grande actrice. On est d’autant plus impressionné par la performance des acteurs que le film n’est réalisé qu’en plan large. Il n’y a aucun gros plan pour souligner une expression et les acteurs doivent faire exister leurs personnages en pied sans tomber dans l’emphase.

Albert Capellani ne tombe jamais dans le piège du théâtre filmé. Il n’hésite pas à nous montrer des scènes où ses deux personnages sont de dos. Nous voyons Lantier suivre de loin Catherine le long d’une ruelle bordée de corons. De même, la bagarre qui oppose Chaval et Lantier sous les yeux de Catherine a une forme tout à fait moderne de plan séquence sans fioritures. L’arrivée de Lantier à la mine est soulignée par un panoramique qui nous fait découvrir l’ensemble du paysage minier : terril, corons, wagonnets et la fosse. Le départ de Lantier, après la mort de Catherine, nous le montre dans un champ regardant une dernière fois la silhouette de la mine à l’horizon, cette mine qu’il va quitter pour toujours. La composition de l’image est aussi là pour nous faire ressentir les sentiments intimes des personnages. L’autre grande réussite du film est l’utilisation de la profondeur de champ. Nous suivons une rencontre syndicale dans le fond d’un café tandis que le révolutionnaire Souvarine reste au premier plan, face à nous, se singularisant déjà par son attitude du reste des mineurs.

On sent l’électricité qui passe entre les protagonistes pour toutes les scènes entre Sylvie et Henry Krauss. Au fond de la mine, Lantier découvre éberlué que ce jeune mineur est en fait une femme. On voit Catherine ôter son fichu et laisser tomber sa longue chevelure. Les attitudes des deux comédiens sont subtiles et montrent une interaction sans faille. Devenu pensionnaire chez les Maheu, Catherine sert à Lantier sourire aux lèvres un verre d’eau alors qu’il a refusé l’alcool fort qu’on lui proposait. La puissance émotionnelle du film reste intacte alors que Lantier et Catherine croupissent au fond de la mine inondée près du cadavre de Chaval qui flotte. Et lorsque Lantier caresse doucement le bras de Catherine morte, on ressent la même émotion qui a dû étreindre les premiers spectateurs il y a presque cent ans. D’autres scènes violentes ont également une force quasiment documentaire qui nous fait entrer de plein pied dans la vie des mineurs de cette époque : c'est la répression de la grève, quand une troupe de soldats tire sur les grévistes manifestants, laissant derrière eux une place jonchée de cadavres...

Capellani utilise essentiellement le plan d’ensemble ou demi-ensemble comme c’est la règle dans les films français de cette année-là. Il nous offre cependant un splendide panoramique de la mine lors de l’arrivée de Lantier. Il se montre étonnamment économe avec les intertitres et porte le message essentiellement par l’image. Un bon exemple est une scène du début du film où un contremaître licencie Lantier sous un prétexte fallacieux. Le contremaître est manifestement de totale mauvaise foi lorsqu’il tente de démontrer à Lantier qu’il n’a pas suivi les dimensions d’une forme.

Si vous pensez encore que le cinéma des années 10 est trop primitif, il faut découvrir d’urgence ce Germinal qui vous fera changer d’avis.

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En savoir plus

La fiche IMDb du film

La fiche de la Fondation Jérôme Seydoux

Par Christine Leteux - le 5 septembre 2012