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Critique de film
Le film
Affiche du film

Fric et foi

(Glaube und Währung - Dr. Gene Scott, Fernsehprediger)

L'histoire

On suit dans ce documentaire le Dr. Scott, un prédicateur qui chaque jour anime pendant une dizaine d’heures sa chaîne câblée. Il exhorte les téléspectateurs à se livrer totalement à Dieu, mais aussi à ouvrir leurs portefeuilles pour soutenir son église.

Analyse et critique

« J’ai craché du jus de tabac de ma véranda, et la tache a attiré un petit papillon blanc aux ailes bordées de noir, d’un blanc si pur qu’il faisait mal, et d’un noir aussi pur que les pêchés du pape » (Conquête de l’inutile).

Fric et foi est le deuxième volet d’une trilogie consacrée à la croyance comme fondement de la société et de la pensée américaine. La première partie - La Ballade de Bruno - évoque la croyance en l’argent et en l’american way of life tandis que la troisième - Le Sermon de Huie - se concentre sur la pure foi religieuse. Fric et foi vient s’intercaler entre ces deux chapitres en faisant se mêler foi en l’argent et en Dieu. Une image résume parfaitement le film : un groupe de gospel entonne des couplets sur Jésus et la joie de la foi tandis que des numéros d’appel pour récolter des dons s’affichent à l’écran…

God’s Angry Man tourne autour d’un prêcheur, le Dr. Scott, dont on se demande s’il est un arnaqueur profitant de la bigoterie de ses concitoyens ou un homme délirant, complètement emporté par sa foi. Le Dr. Scott anime chaque jour, depuis quatre ans et demi, huit à dix heures d’émissions sur sa chaîne câblée (il en possède trois). Il prêche, convaincant ses ouailles de se livrer totalement aux enseignements de Dieu, mais revient toujours à son obsession primaire : leur réclamer de l’argent pour soutenir son église. C’est ainsi qu’on le voit à l’œuvre, obtenant de ses téléspectateurs 250 000 dollars en à peine trois quarts d’heure. Son seul but semble d’être de pousser les fidèles à acheter leur place au paradis avec leur carte de crédit…

Pour cet acteur de première, tous les moyens de pressions sur ses spectateurs sont bons lorsqu’une soirée de collecte n’est pas à la hauteur de ses attentes. Il peut devenir hystérique et se mettre à insulter son public ou au contraire s’enfermer dans un long mutisme tant que les dons n’ont pas afflués. Sa présence est bien réelle, écrasante et lorsqu’il hurle à la face de la caméra un « I want to be heard », on ne peut s’empêcher de se mettre au pas dans notre tête. Il ne joue pas sur la réflexion mais sur la terreur et les brimades. Il infantilise complètement son auditoire, le menant avec force bouderies et menaces comme on s’il était composé de gamins de trois ans. Cette infantilisation est également à l’œuvre lorsqu’il parle des bureaucrates de l’Etat, incarnés à l’écran par des singes mécaniques. Le film montre ainsi la vision pleine de méfiance et de défiance d’une partie du peuple américain pour l’État central, réduit à son administration et à ses taxes. Le Dr. Scott se vente presque d’avoir soixante dix procès en cours contre lui (fraude, extorsion, chantage, évasion fiscale…), preuve éclatante de son indépendance d’esprit et de son courage : « I’d keep the government out of this house ! ».

Il explique très simplement comment fonctionne son succès : il incarne l’américain moyen tel que celui-ci s’imagine. Il est comme ses pairs, un homme qui se bât pour son entreprise et est constamment harcelé par le gouvernement. Scott s’attire la sympathie de ses spectateurs en expliquant qu’il ne possède rien à part une sacoche, qu’il donne tout à son église. Il est un modèle de l’american way of life : il est parti de rien, a gravi des montagnes, s’est entièrement dévoué à son entreprise (il détaille toutes les ramifications de son église dans la presse et les transports) et est aujourd’hui menacé par la voracité du gouvernement fédéral. Il remue ainsi des tensions bien prégnantes dans la société américaine et joue sur les plus basses pensées de ses spectateurs : il joue la carte du peuple contre le gouvernement, celle de la libre entreprise contre la loi, celle de l’homme honnête qui travaille contre l’assisté social…

Il joue également sur d’autres tableaux, comme celui du star system, de la fascination des gens pour la vie des stars. Qu’une jeune fille soit allongée lascivement dans un canapé à côté de lui alors qu’il s’entretient avec Herzog n’est pas un hasard, il travaille son image de rock star, d’acteur hollywoodien. Le film décortique ainsi les différents leviers que le Dr. Scott actionne pour toucher son auditoire. Il peut être complètement contradictoire dans ses propos ou ses méthodes, mais cela ne trouble pas ses fans. On touche alors l’inconstance du monde audiovisuel où tout et son contraire peut coexister du moment que le public reste bien passif, réceptif.

Scott n’évolue plus dans le monde réel, mais dans celui des images : « I’m in the celluloid world, Los Angeles ». Herzog glisse ici l’idée d’un monde virtuel – celui du média télévisuel, de la représentation du réel, de sa recréation – qui prend peu à peu le pas sur la réalité. Sans illustrer Baudrillard, il travaille néanmoins discrètement sur cette idée de simulacre du réel qui est aussi une facette importante de la société américaine, de la société de la croyance.

Les icônes, les images, la représentation ont plus de réalité que le réel même. Un mensonge a plus de poids que la vérité. God’s Angry Man parle beaucoup de l’aveuglement : comment est-il possible que les gens se prosternent devant un homme qui est une véritable caricature de prophète de casino ? Toutes ses paroles tournent autour de l’argent et lorsqu’il fait appel à Dieu, c’est pour sermonner ses ouailles en leur demandant si vraiment « Dieu vaut 800 dollars à leurs yeux ». Il use de ficelles grossières, manipule et ment à outrance mais personne ne le questionne. Comment peut-on s’agenouiller devant de telles inepties, est-ce tout simplement ça la foi ?

Herzog ne porte pas les prophètes dans son cœur et déteste les croyances aveugles. Croyances qui ne concernent pas les seules religions mais aussi le capitalisme et autres doctrines, comme celles qui conduisent des enfants à prendre les armes dans La Ballade du petit soldat. Pour expliquer la façon dont Scott manipule les gens en jouant sur leur crédulité et sur les tensions de la société américaine, Herzog utilise un principe très simple qui est de lui laisser complètement le champ libre. Ànoter que dans la version allemande, le cinéaste fait le choix de ne pas sous titrer Scott mais de le doubler lui-même, comme s’il faisait siennes les paroles de son hôte. Herzog va assez loin dans ce principe, laissant le bon docteur s’apitoyer sur son sort (« I’m too good to be really bad, too bad to be really good »), parler de sa foi parfois vacillante, de sa stérilité, des orphelins, de sa fatigue… on se prend dans ces passages du film à avoir de l’empathie pour cet homme. S’il y a ensuite des contrechamps qui viennent le montrer dans ses arnaques télévisuelles, toute cette partie du film n’en est pas moins audacieuse car casse-gueule. Si Herzog a fait ces choix, c’est que ces séquences sont nécessaires à l’approche du cinéaste.

S’il voyait le film, Scott ne pourrait que signer des deux mains chacune des scènes, pour lui il n’y aurait aucune trahison de ses paroles de la part du cinéaste. Il sentirait peut-être un malaise, une gêne, mais ne pourrait pointer du doigt ce qui le dérange dans un film qui ne fait que reproduire son discours. Pas de piège visible, pas de commentaire en voix off où Herzog viendrait donner son point de vue… et pourtant le film est bien le portrait accablant d’une ordure aussi terrifiante que ridicule. Tout tient dans la manière dont Herzog cadre Scott : il accentue un tantinet un détail, prend un peu plus de distance avec son sujet qu’il n’est de coutume… c’est par des choses très simples, et non par un appareillage d’effets visuels ou de montage qu’Herzog brosse le portrait à charge de cet homme.

On voit comment par le biais d’un personnage bigger than life, Herzog évoque la société américaine via plusieurs angles d’approches. Il ne s’agit pas pour le cinéaste de ne parler exclusivement que d’obscurantisme et de bigoterie, mais d’élargir le film à une réflexion plus globale sur l’Amérique en évoquant d’autres de ses cultes (l’argent, la réussite, les médias, Hollywood…) et des éléments fondateurs de cette société (la liberté individuelle contre l’étatisme mais aussi la famille dans une incroyable séquence avec les parents de Scott). God’s Angry Man, malgré ses évidents aspects comiques, est un film effrayant sur la façon dont certains savent capitaliser sur les croyances et les espoirs de leurs concitoyens pour asseoir leur pouvoir et leur fortune. Une histoire qui, bien heureusement, ne peut se passer que chez ces fous d’américains… n’est-ce pas ?

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Par Olivier Bitoun - le 18 septembre 2011