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Critique de film
Le film
Affiche du film

Fantasmes

(Bedazzled)

L'histoire

Stanley est un homme moyen, avec un appartement moyen, un métier moyen et une vie moyenne. Il rêve secrètement de Margaret à qui il n’ose avouer son amour, et après un énième échec, décide de se suicider... quand Satan vient à son aide et lui propose la réalisation de sept vœux en échange de son âme. Pari faustien conclu, mais Stanley se fait balader de fiascos en frustrations diverses : successivement transformé en milliardaire, en intellectuel, en tombeur, en star, en mouche et en nonne, il échoue à chaque fois lamentablement dans ses tentatives de séduction de Margaret, peu aidé il est vrai par le caractère taquin du Diable...

Analyse et critique

Un rapide tour sur la toile suffit pour prendre le pouls de la popularité de Dudley Moore et Peter Cook. Une célébrité certes circonscrite à la seule Grande-Bretagne, dont ils furent les trublions les plus célèbres avant l’arrivée fracassante des Monty Python, mais qui semble ne pas devoir faiblir avec les années. Au point d'escamoter purement et simplement le nom de Stanley Donen de la plupart des articles anglais consacrés à l’unique collaboration du duo avec ce dernier. C’est dire si Pete N’ Dude, nom de scène de la paire comique, sont bel et bien les véritables stars de Bedazzled (Fantasmes en français, auquel nous préférons le titre anglais) : auteurs, scénaristes, compositeurs, ils sont quasiment de chaque plan. C’est dire aussi, donc, s’il convient d’être amateurs des deux comédiens pour profiter pleinement de leurs petits délires.

Hormis quelques seconds rôles discrets dans Princess Bride, Supergirl, Great Balls of Fire ou Elémentaire mon Cher... Lock Holmes (titre débile, excellent film), le moins qu’on puisse dire c’est que Peter Cooke, âme et principal "créatif" du duo, n’aura guère laissé de trace dans l’histoire du cinéma : décédé en 1995, il restera donc surtout dans les mémoires pour son duo avec Dudley Moore, qui dynamita les planches puis les plateaux de télé britanniques de 1964 à 1974. Dommage et d’autant plus frustrant que son interprétation du Diable est un monument de drôlerie... Son acolyte, lui, eut plus de chance, et son nom évoque encore aujourd’hui vaguement quelque chose aux cinéphiles du monde entier - ne serait-ce que pour ses deux collaborations avec Blake Edwards : Ten et Nicki + Maude - sans oublier évidemment le film qui nous intéresse ici, et dans lequel l’acteur excelle. Pour le reste, la filmographie de Dudley Moore navigue entre l’insignifiant et le franchement raté, et l’on soupçonne le sosie anglais de Michel Sardou d’avoir poussé la ressemblance avec son double français jusqu’à calquer la hauteur de ses talonnettes et l’insignifiance de son œuvre sur notre Michel national.

Tableau peu avenant donc... Et pourtant, Bedazzled est une heureuse surprise au regard des carrières respectives de Pete N’ Dude. Revisitant avec irrévérence le mythe de Faust, le duo s’offre ici un film à sketchs qui évite avec finesse les écueils d’un genre qui faisait alors florès dans les salles. Grâce notamment à des passages de relais entre des épisodes aussi réussis qu’efficaces, le film se tient, sans éparpillement ni dispersion inutiles : les intermèdes aussi drôles et enlevés que la plupart des sketchs, offrent au film un point d’équilibre assez miraculeux pour le genre. Brillamment dialogué (on vous laisse la découverte de la formidable réplique d’Eleanor Bron, serveuse dans le restaurant où officie Dudley Moore, lorsque l’envoyé de Scotland Yard lui demande la dernière chose que lui ait dit l’infortune cuistot avant de se suicider), multipliant les clins d’œil à l’actualité et au cinéma (« It's the standard contract. Gives you seven wishes in accordance with the mystic rules of life. Seven Days of the Week, Seven Deadly Sins, Seven Seas, Seven Brides for Seven Brothers... » (1)) et jouant à merveille de la satire, le duo dézingue à tout va. Religion, star-system, classes sociales, police : tout y passe jusqu’à un épilogue détonnant, et étonnant de clairvoyance dans ses pessimistes prévisions. C’est dans ces moments que le film prend vraiment son envol, atteignant ici et là un degré d’absurde proprement réjouissant. La meilleure scène du film, satire grinçante de la religion, anticipe même avec quelques mois d’avance l’éclosion des Monty Python, qui n’auraient renié en rien la folie de ces nonnes en trampoline.

Le film n’est malheureusement pas totalement à la hauteur de cette hilarante scène et souffre parfois d’un certain manque de rythme, malgré ses enchaînement trépidants et bien huilés. Les séquences mêlant nos deux héros aux sbires de Satan - Avarice, Gloutonnerie et Vanité notamment - traînent ainsi en longueur... et il en va de même pour la scène la plus célèbre du film, qui lui servit d’argument marketing appuyé (même aujourd’hui, Carlotta s’en sert encore pour promouvoir son DVD) et qui n’est finalement qu’un vague prétexte à nous dégainer une Raquel Welch tout seins dehors. Malgré leur érotisme léger et l’abattage de l’actrice, ces cinq petits minutes comptent parmi les plus faibles et les moins bien écrites de toute la carrière de Donen.

Donen justement... Adulé par la fine fleur de la critique française, de Lourcelles ("parmi les moments les plus irrésistiblement comiques du cinéma de ces trente dernières années") à Tavernier ("Bedazzled, bien que moins spectaculaire que Voyage à deux, est encore plus réussi") en passant par Marc Cerisuelo (cf. les bonus du DVD), son Bedazzled est parfois considéré comme l’un de ses meilleurs films - Donen lui même estimait d’ailleurs que c'était son long métrage le plus abouti. Pourtant, sans faire injure au propre jugement de l’artiste sur son œuvre, on lui préférera nettement une grosse poignée de films piochés dans sa filmographie, ne serait-ce qu’à cause des griefs émis ci-dessus. Reste que si l’on fait fi de ces quelques problèmes de rythme, de l’inégalité de l’interprétation (Moore et Cook à leur meilleur, Eleanor Bron fade et insipide) et de gags parfois foireux ou répétitifs, Bedazzled est bel et bien signé Donen. Sa patte est là : sens de la chromatique (tant dans les décors flamboyants que dans la beauté des centaines de costumes), virtuosité de la bande-son, éclat du générique, rapidité du mouvement et du montage, perfection du détail (magnifique utilisation de la profondeur de champ, qui dissémine les gags dans le plan)... Stanley Donen confirme - et sa parodie de Top of the Pops en est la preuve ultime - qu’il est bel et bien le cinéaste pop par excellence. Et qu’en la matière, aujourd’hui encore, il reste indépassable.

Mal remaké il y a quelques années par le pourtant talentueux Harold Ramis (Un jour sans fin), Bedazzled est en effet trop ancré dans son époque et son décor pour pouvoir traverser la Manche ou l’Atlantique sans dommages. Bedazzled, c’est 68, le Swinging London, les Beatles, l’église anglicane et George Orwell (« Big Sister is watching you »), Agatha Christie (délicieux et fugace gag dans les locaux de Satan), les fish and ships, Trafalgar Square, Scotland Yard et le délicieux accent suranné de Peter Cook. Un monde que Donen le Californien n’eut pas le moindre mal à croquer, de la même façon qu’il peignit sans peine la France des chemins de traverse dans Voyage à deux. Etonnant de modernité, tant dans ses décalages que dans ses discrètes innovations (le film alterne dessin animé, séquences en noir et blanc et multiples sauts de puces spatiotemporels, jusqu’à une douche froide finale plus qu’insolite), Bedazzled n’a peut-être pas la magnificence des grands chef-d’œuvres du réalisateur de Singin’ in the Rain. Il n’en reste pas moins un spectacle réjouissant, emportant ses menus défauts dans un tourbillon virtuose et éblouissant.

(1) Seven Brides for Seven Brothers, aka Sept Femmes pour Barberousse, comédie musicale adaptée au cinéma par... Stanley Donen. Et chroniquée par Erick Maurel sur Classik.

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La fiche IMDb du film

Par Xavier Jamet - le 28 janvier 2006