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Critique de film
Le film

Face au châtiment

(The Doolins of Oklahoma)

L'histoire

A Coffeyville, le 5 octobre 1892. Le Gang des frères Dalton, trahi par Wichita Smith, tombe sous les balles des hommes de loi dirigés par le Marshal Sam Hughes (George Macready). Seul rescapé de la bande, Bill Doolin (Randolph Scott) réussit à s’enfuir après avoir tué Wichita en état de légitime défense. Même s’il comptait changer de vie, il est désormais recherché par toutes les polices pour ce "meurtre". Il décide alors de fonder un nouveau gang avec pour membres Red Buck (Frank Fenton), Arkansas (Charles Kemper), Tulsa Jack Blake (Jock O' Mahoney), Bitter Creek (John Ireland) et Little Bill (Noah Beery Jr.). Sans verser le sang, ils n’en pilleront pas moins moult banques et trains. Satisfait du butin récolté, Bill décide de faire le partage puis conseille à ses acolytes de se séparer le temps d’un break de trois mois qui leur permettrait de se faire oublier. Toujours poursuivi par Hughes, Bill parvient à se cacher dans la petite ville de Claymore où il tombe amoureux de la fille du pasteur, Elaine Burton (Virginia Huston). Se faisant passer pour un dénommé Bill Daley, il achète une ferme et épouse Elaine, bien décidé à mettre fin à sa vie de hors-la-loi. Mais bientôt, ses ex-associés viennent le chercher. Refusant d'abord de les suivre, il se voit néanmoins contraint d’accepter après que ses complices ont révélé à son épouse sa véritable identité. Les larcins reprennent donc mais l’ambiance au sein de la bande n’est plus la même que par le passé, une certaine aigreur venant remplacer la convivialité...

Analyse et critique

Girl Rush en 1944 s’apparentant plus à une comédie musicale, The Doolins of Oklahoma est le premier véritable western d’un cinéaste qui n‘occupe malheureusement pas la place qu’il mériterait au sein des différentes anthologies du genre, voire même du cinéma. Gordon Douglas commença par diriger quelques épisodes de la série Our Gang avant de réaliser son premier long métrage à l’âge de 35 ans, Laurel et Hardy faisant quasiment partie de ses premiers interprètes. Sa filmographie sera au final conséquente et très éclectique, le cinéaste travaillant dans presque tous les genres mais se révélant surtout très doué pour le film policier, la science-fiction et le western. Dans le genre, Face au châtiment demeurera son meilleur western même s'il réalisera encore, à partir de la deuxième moitié des années 50, quelques autres belles réussites avec comme têtes d’affiches Alan Ladd ou Clint Walker. En 1951, Gordon Douglas reprendra un peu le même schéma que celui de The Doolins of Oklahoma pour Les Rebelles du Missouri (The Great Missouri Raid) mais le résultat sera bien moins réussi et surtout bien moins captivant.


Bill Doolin (1858-1896) fut un véritable bandit du Far West qui écuma l’Oklahoma durant la dernière décennie du 19ème siècle. Après que Randolph Scott a endossé sa défroque dans cette excellente surprise que constitue Face au châtiment, on verra le brigand de nouveau en 1951 dans A feu et à sang (The Cimarron Kid) de Budd Boetticher mais cette fois sous les traits d’Audie Murphy. Que ce soit dans les westerns de Boetticher ou de Gordon Douglas, on peut dire que ce personnage aura été à deux reprises l’un des hors-la-loi les plus attachants du grand écran. Il faut dire que le véritable Doolin était réputé pour avoir été un criminel malgré lui, refusant la violence lorsqu'elle n’était pas utile. Il fut capturé par le shérif Bill Tilghman après quatre années d’inlassable traque. Sa vie aventureuse, à l’instar de celle de Jesse James, traîne derrière elle une sacré aura romantique au point de n’avoir laissé dans l’imaginaire collectif que le fait que Doolin ait été une "victime du destin" (pour reprendre le titre français d’un film de Raoul Walsh qui abordera également le même sujet et avec encore plus de réussite) rattrapée par son passé. Quand en plus, Hollywood fait de cet outlaw un homme d’une grande noblesse de cœur, tentant de trouver la rédemption et la dignité par l’amour, il ne pouvait être que préféré par les spectateurs à ses poursuivants qui pourtant, dans le film de Gordon Douglas, ne font que consciencieusement leur travail, sans animosité.


Car si dans le film de Boetticher les hommes de loi et de justice étaient parfois haïssables, il n'y a aucun manichéisme au sein du scénario bien enlevé d’un Kenneth Gamet qui aura rarement fait preuve d’autant d’humanité. C’est George Macready qui incarne la loi dans The Doolins of Oklahoma ; il prouve ici qu’il était aussi doué en bad guy que l’on aime détester (Coroner Creek, déjà aux côtés de Randolph Scott) que de l’autre côté de la barrière. Son Marshall est tenace quant à son envie de mettre fin aux agissements de la bande de Doolin mais, s'il mène la chasse sans relâche, c'est aussi sans aucune haine, juste par conscience professionnelle. Doolin a beau lui en vouloir d’avoir tendu un piège aux Dalton ( « No man's bad enough to be shot in the back »), il lui laissera la vie sauve alors, qu’en pleine cavale, il l’avait à sa merci. Doolin, c’est donc Randolph Scott. Coïncidence assez cocasse : l’année précédente dans Far West 89 (Return of the Bad Men), le comédien avait l’étoile épinglée sur sa chemise et parmi les bandits qu’il poursuivait se trouvait... Bill Doolin ! Après avoir été Wyatt Earp dans Frontier Marshal d’Alan Dwan, Bat Masterson dans Trail Street de Ray Enright et Sam Starr dans Belle Starr d'Irving Cummings, Randolph Scott revêt une fois encore la défroque d’un personnage célèbre de l’histoire de l’Ouest américain. Poli, civilisé, d’un remarquable self-control sans pour autant se départir d’envoyer des punchlines bien senties (cf. la séquence de son apparition au saloon après que les Dalton se sont fait tous descendre), il se révèle en outre romantique, noble et profondément humain. Après s'être battu avec vigueur contre un des membres de son équipe, il écoute la leçon de morale d’un troisième, acceptant le fait de s’être trompé et faisant tout pour recoller les morceaux et effacer les rancunes.


Les amateurs de Randolph Scott devraient pleinement l'apprécier dans le rôle qu’il tient ici. Vêtu déjà de sa fameuse veste en cuir qu'il continuera à porter durant toute la décennie suivante, il s'avère aussi à l'aise sur un cheval que le revolver à la main, et les séquences plus intimes qui le confrontent à Virginia Huston nous font redécouvrir un comédien aussi à l'aise dans ce registre. Leur couple est vraiment touchant notamment lors de la séquence de leurs retrouvailles. Charismatique, humain, souriant, romantique, Randolph Scott est absolument parfait. Tout comme la kyrielle de femmes qui peuplent le film, les compagnes des membres de son gang, en perpétuelle attente du retour de leurs hommes avec bien évidemment l'actrice incarnant son épouse (la charmante Virginia Huston) mais également Louise Allbritton qui interprète le personnage de Rose of Cimarron - qui sera d'ailleurs tout aussi attachant dans le film de Budd Boetticher. La seule faute de goût au sein de ce casting féminin est Dona Drake dans le rôle de Cattle Annie ; on se demande qui du personnage ou de l'actrice est le plus tête à claque. Il n'en reste pas moins que l'importance des femmes dans ce western n'est pas négligeable, un élément qui constitue l'une de ses originalités : d'une grande noblesse de sentiments, plus matures que leurs homologues masculins, prêtes à tout pour protéger leurs compagnons (« Je me dois de soutenir mon époux »), elles n'auraient pas dépareillé dans un film de John Ford ! Pour le reste, le choix est également tout à fait judicieux, y compris pour les seconds rôles masculins hauts en couleur avec notamment John Ireland, Noah Beery Jr. dans le rôle du bandit cultivé et lucide (« Les hommes comme nous feront bientôt partie du passé ») et, en discret faire-valoir comique, le toujours sympathique Charles Kemper, peu avare de répliques assez piquantes (« It's a funny thing. She won't marry me when I'm drunk and I won't marry her when I'm sober »). Enfin, un autre protagoniste se montre très touchant, celui du père d'Elaine (Griff Barnett), très compréhensif quand il apprend la véritable identité de son gendre (« You're dead, Bill - and I don't want my daughter married to a dead man »).


Des personnages fortement caractérisés, crédibles et attachants au sein d'une histoire a priori conventionnelle mais rehaussée par un scénario dynamique, soigné et très bien écrit qui fait d'ailleurs débuter le film par une mise en place de la situation nette et précise. Sans presque aucune bavure (à l'exception de quelques fautes de goût déjà évoquées plus haut), le script fourmille de nombreux détails réalistes ou cocasses, tous dans l'ensemble très intéressants et/ou nouveaux (le morceau que doit jouer l'orchestre pour prévenir les membres du gang qu'il est temps pour eux de s'enfuir ; la séquence de l'église au cours de laquelle Randolph Scott doit cacher qu'il est porteur d'une arme qu'un petit garçon va pourtant remarquer...), dévoile un sens de l'ellipse tout à fait réjouissant (le plan qui nous apprend la mort de John Ireland par la vue de ses éperons plantés sur une tombe) et refuse de tomber dans le sentimentalisme (cf. cette même séquence toute en sobriété). Avec des combats à poings nus secs et violents (celui qui oppose Randolph Scott à Frank Fenton est assez rude), une touche d'humour, une vitalité rarement démentie, nous avons ici réunis tous les éléments typiques des productions Harry Joe Brown & Randolph Scott qui font décidément partie de ce qui s'est fait de mieux dans le domaine de la série B westernienne, et ce depuis la deuxième moitié des années 40, et qui donneront naissance à la fameuse série Scott / Boetticher.


Non seulement l’histoire est bien racontée mais Gordon Douglas prouvait à l’occasion qu’il était déjà devenu un technicien hors pair, très à l'aise dans la gestion de l'espace. Son film est parfaitement cadré, monté et rythmé, alternant harmonieusement séquences mouvementées et séquences plus intimes. Les premières, d'une vigueur et d'une efficacité à toute épreuve, comportent des images de toutes beauté - notamment lors des poursuites filmées au milieu des paysages rocheux de Lone Pine (encore une récurrence des productions Scott / Brown) -, des plans splendides en plongée abrupte sur les bandits caracolant, une autre image étonnante pour l'époque, un immense plan d'ensemble vu de très haut sur une horde de chevaux apeurés soulevant un énorme nuage de poussière (plan qu'on croirait tout droit sorti d'un film des années 60), de superbes travellings sur des chevauchées nerveuses, le tout sur une musique de George Duning qui ne manque pas de puissance. Les fusillades, attaques, cavalcades et autres bagarres sont tout aussi bien exécutées par Gordon Douglas avec l'aide de Yakima Canutt en tant que cascadeur. Profondément humain sans jamais verser dans le sentimentalisme, trépidant sans s’empêcher de prendre des pauses jamais ennuyeuses, vigoureux, violent, tendre et romantique à la fois, Face au châtiment est un western au rythme soutenu, dynamique et généreux, qui mériterait sans plus tarder d’être sorti de l’oubli.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 9 mai 2015