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Critique de film
Le film
Affiche du film

Explorers

Analyse et critique

Suite au phénoménal succès de Gremlins (1984), Joe Dante est devenu la coqueluche de Hollywood, responsable d'un des films les plus rentables de son temps. La Warner tente alors de l'intéresser en vain à son nouveau gros projet : l'adaptation cinématographique de Batman (dont héritera finalement Tim Burton). Mais c'est la Paramount - et en son nom Jeffrey Katzenberg - qui va emporter la mise avec Explorers. Le scénario d'Eric Luke plaît très vite à Dante qui se met au travail avec enthousiasme. Malheureusement, en pleine production, Katzenberg est appelé à rejoindre Disney, laissant ainsi le chantier sous la responsabilité d'une nouvelle équipe et transformant en cauchemar ce qui s'annonçait comme une partie de plaisir...

ECRAN TOTAL

On comprend que Dante ait été séduit par le récit proposé. Explorers met en effet en scène trois enfants fans de sous-culture vivant en décalage avec leur environnement. Les rêves de Ben sont nourris par les vieux films de science-fiction que diffuse une télévision allumée même la nuit, influençant directement son inconscient. On recroisera encore ce personnage de gamin banlieusard et cinéphile dans Matinee et Small Soldiers, comme autant de portraits à peine voilés du jeune Joe Dante.

Le réalisateur de Piranhas appartient en effet à la même civilisation de l'image que ses héros. De la même manière qu'un Spielberg, il se débrouille toujours pour placer dans le corps de ses œuvres des écrans de télévision ou de cinéma qui diffusent ses films préférés, avec une tendance marquée pour ces séries B dont il est friand. Une forme d'hommage qui n'a ici rien de gratuit puisque ce sont précisément ces visions qui apparaîtront aux yeux des aliens comme le reflet fiable de l'Humanité. Et lorsqu'il ne cite pas des films authentiques, il les crée de toutes pièces, tel Starkiller, l'irrésistible pastiche de SF-spaghetti projeté lors de la scène du drive-in, mimétique jusque dans la mauvaise synchronisation du doublage (autre exemple plus tardif : le troublant Mants, le film dans le film de Matinee). Notons également l'amusant clin d'œil au cartoonist Chuck Jones, une des influences les plus importantes et revendiquées du cinéaste, avec le "Charles M. Jones High School" où vont étudier les enfants (Dante avait précédemment offert un petit rôle à l'artiste dans Gremlins).


Le cinéma permet de vivre par procuration. Explorers nous convie à une véritable traversée du miroir, ou plutôt de l'écran. Ce film, l'un des plus personnels de son auteur, est d'autant plus intéressant qu'il contient une inattendue critique de sa propre cinéphilie et du pouvoir des images, devenues à notre époque le seul référent pour comprendre le monde alors que leur vérité est souvent factice. Les personnages eux-mêmes se retrouvent à vivre une aventure digne de celle des films qu'affectionne Ben. Au détour d'une scène, il cite This Island Earth. Ici encore, la référence a un sens : Eric Luke a reconnu s'être inspiré de cette œuvre phare du ciné SF des fifties pour son scénario. Dans ce film de Joseph Newman, les héros fabriquent une machine dont ils ignorent la finalité et qui se révèle être un instrument de communication avec une civilisation extraterrestre sur le déclin. Dans Explorers, Ben rêve des composants de cette machine, qu'il communique à Wolfgang. Ce principe sera à nouveau repris dans le très beau Contact de Robert Zemeckis, autre cinéaste cinéphile issu du même moule que Dante. Les enfants sont ainsi littéralement projetés dans un récit de science-fiction qui épouse les schémas narratifs des classiques du genre. Leur réalité se confond pour un temps avec l'illusion. Le vaisseau spatial qu'ils fabriquent de bric et de broc en est la parfaite illustration, littéralement absorbé le temps d'une scène par le film de drive-in, puis projeté hors de l'écran pour rejoindre les étoiles. Le spectateur est ainsi amené à se délecter de cette vertigineuse mise en abyme, relecture très premier degré de tout un imaginaire cinématographique. Dans Gremlins et sa suite, Gizmo ne se rêve-t-il pas en Clark Gable puis en Rambo, singeant les actions de ces deux icônes et les transposant dans la réalité avec succès ? Dans Explorers, derrière le filtre hollywoodien, la réalité va cependant s'avérer désespérément triviale.

En effet, si la rencontre du troisième type aura bien lieu, elle laissera les enfants totalement frustrés. Les deux extraterrestres, Wak et Neek, n'auront strictement rien à apprendre aux enfants et se révèleront même incapables de communiquer. Wak n'est qu'un récepteur sur pattes, émettant une sorte de zapping monstrueux - un show à lui tout seul qui n'est au fond pas très dépaysant. Il est parfois drôle, certes, mais surtout quelque peu inquiétant. Des extraits du Jour où la Terre s'arrêta et de À des millions de kilomètres de la Terre montrent les humains en lutte contre des extraterrestres. Pour Wak et Neek, ces images sont une mise en garde contre l'accueil que pourraient leur réserver les Terriens. Ben sera incapable de faire saisir la nuance, tant il est vrai que son peuple ne cache pas par ailleurs un goût marqué pour la guerre. Du point de vue d'un système de pensée étranger, fiction et actualité n'ont soudain plus de frontière. Les images ne peuvent être mises en doute. Jusqu'ici, Ben a toujours su faire la distinction entre artifice et réalité, et le comportement de Wak le consterne plus qu'il ne l'amuse. On dit parfois que la télévision fait fondre le cerveau, Wak semble en être la preuve.

Comme l'écrit très justement Charles Tesson : "Wak est un peu le double monstrueux du cinéphile que Ben pourrait devenir, auquel il n'a pas forcément envie de ressembler. Il lui offre le spectacle d'un répondeur automatique qui débite en tranches les images qu'il a ingurgitées, tel un Gizmo adipeux et immature à qui la boulimie du cinéma n'aurait pas trop réussi." Ben est parti la tête pleine de questions existentielles (sommes-nous seuls ?). La réponse obtenue est davantage qu'une déception. Pour sa part de mystère non résolu, le rêve se révèle au final bien plus beau que sa réalisation.

LA TOILE DONT SONT FAIT NOS RÊVES

Dans son mélange constant entre réalité et imaginaire, vérité et fiction, on finit par ne plus trop savoir ce qui est du domaine du songe et ce qui appartient à la "vraie" vie. La dimension onirique est d'ailleurs constamment au premier plan. Le film s'ouvre et se ferme sur un même rêve de vol, le premier mettant en scène Ben tout seul, le dernier étant collectif, avec les trois enfants auxquels est venue se joindre la jeune Lori. Dans ce final, Ben rejoint totalement les héros de l'enfance : son vol nocturne au-dessus de la ville fait penser à Peter Pan, et son poing tendu en avant imite la pose mythique de Superman. Ce happy end tranche évidemment avec le sentiment de déception qui a gagné les enfants - et le spectateur - à la fin de leur aventure. Mais cette dernière image est néanmoins assez grisante, joliment soutenue par le thème de Jerry Goldsmith. Communion cosmique, appel à plonger dans l'imaginaire... Au fond, on pourrait très bien considérer que le film entier n'est qu'un rêve, peuplé de tout l'univers personnel de Ben. La machine volante extraterrestre ne lui a-t-elle pas permis de vivre un fantasme, en allant espionner Lori à sa fenêtre ? De même, l'exploration de l'intérieur du vaisseau extraterrestre, avec ses décors extravagants et ses mécanismes sans logique, s'apparente à une promenade qui oscillerait entre le rêve et le cauchemar.

Derrières ses apparences de film d'aventures familial, Explorers traite ainsi du mensonge et de la dissimulation. Pour réaliser leur expérience et vivre leur rêve, les enfants ne cessent de donner le change à leurs parents (les extraterrestres feront de même), systématiquement laissés à l'arrière-plan, tout simplement parce qu'ils ne comprendraient pas. Wolfgang manque à plusieurs reprises de pulvériser sa maison, sans que sa famille, fort nombreuse, ne s'en inquiète vraiment. A l'origine, Dante avait tourné davantage de scènes montrant les parents de Ben et de Darren, qu'il a éliminées au montage. L'aventure ne leur est pas destinée. Ce sont réellement les enfants les héros. D'ailleurs de nombreux plans, par leur cadrage, suggèrent clairement un point de vue proche d'un regard d'enfant (camera au ras du sol, contre-plongées, etc.). Même le personnage de Dick Miller, un temps présenté comme une menace typiquement adulte, se révèlera finalement être un nouveau double de Ben, sa projection adulte qui aurait grandi sans avoir pu réaliser son rêve : pilote d'hélicoptère, on le voit ainsi dans son appartement avec des maquettes de fusées à l'arrière-plan. Il est proche en cela du personnage de Peter Coyote (Keys), dans E.T., qui est révélé tardivement comme partageant sincèrement la même fascination qu'Elliot. C'est pourquoi Miller est le seul à découvrir le secret du trio. On lit parfaitement l'émerveillement dans son regard lorsqu'il assiste au décollage du vaisseau spatial. Son personnage, bien que brièvement présent à l'écran, apparaît ainsi comme foncièrement émouvant, loin des rôles de faire-valoir comique auquel on l'associe souvent.


Le film ne fonctionne donc pas sur le schéma classique qui oppose bons et méchants. À l'image du vaisseau extraterrestre, qui inquiète par sa bizarrerie mais s'avèrera finalement sans danger et presque aussi ridicule et inoffensif que ses occupants. L'araignée mécanique qui accueille les enfants effraie d'abord avant de faire sourire puis d'agacer par son comportement à la limite du burlesque. À l'arrivée du père extraterrestre, Wak tente encore une fois de faire jouer le référent cinématographique en tentant de le faire passer aux yeux des Terriens pour un pirate de l'espace, mais là encore, la réalité sera bien moins exotique. Les enfants aliens ont simplement fait une fugue et se font gronder. À chaque fois, la menace ne dure qu'un temps. À chaque fois, une situation cliché nous est proposée avant d'être désamorcée. Le seul personnage qui pourrait à la rigueur incarner l'archétype du "méchant" est le sale gosse du collège qui rosse Ben au début du film, brute sans cervelle vite éjectée des préoccupations du scénario. Aussi, on pourra considérer Explorers comme un des films les plus intelligents consacrés au monde de l'enfance, vivement conseillé à tout âge.

AU CŒUR DU MENSONGE

Si le spectacle concocté par Dante a autant de charme et de fraîcheur, c'est en grande partie grâce à la vérité de jeu du trio d'enfants, à leur complicité. Certains plans réjouissent par le naturel des jeunes interprètes. Lorsqu'ils baptisent leur véhicule par exemple, le lancer de bouteille d'Ethan Hawke lui procure une joie qui apparaît tellement spontanée qu'on a l'agréable impression de surprendre une émotion authentique. Pour un film mettant en scène des enfants, l'étape du casting est primordiale, et le réalisateur a personnellement assisté aux auditions. Puis il s'est efforcé au cours du tournage de favoriser une dynamique de groupe, fondée sur la propre personnalité des acteurs choisis, en résonance avec le caractère de leurs personnages respectifs.

Né en 1970, Ethan Hawke a commencé très tôt par faire du théâtre. Il déclamait déjà du Shakespeare sur les bancs de l'école. Il est la pièce maîtresse d'Explorers, son visage exprimant merveilleusement la candeur et la volonté qui seront le moteur du film. Car Ben est un personnage qui non seulement n'a pas perdu le goût du rêve, mais surtout qui continue à y croire. Quatre ans plus tard, Hawke se fera davantage connaître du grand public avec son rôle de garçon timide dans Dead Poets Society (Peter Weir, 1989) et poursuivra la carrière qu'on lui connaît, plutôt orientée films d'auteur, passant à l'occasion derrière la caméra.

Un peu comme Wolfgang, River Phoenix est fils d'une famille nombreuse un peu hippie, un peu saltimbanque, et partageant une attirance suffisamment affirmée pour la comédie puisque son frère Joaquin et sa soeur Summer iront à leur tour sous les feux de la rampe. Après quelques apparitions dans des séries télévisées, il rejoint le plateau de Joe Dante puis fera à nouveau briller son talent dans le Stand by Me de Rob Reiner (1986), inoubliable chronique de l'enfance adaptée d'un roman de Stephen King. En marge de Hollywood, acteur bohème, il aura l'honneur d'être dirigé par Sidney Lumet (Running on Empty), Peter Weir (Mosquito Coast) ou Spielberg (Indiana Jones and the Last Crusade), avant de donner sa prestation la plus bouleversante dans My Own Private Idaho de Gus Van Sant (1991) et de décéder d'une overdose en 1993, âgé de 23 ans, nous privant assurément d'une merveilleuse carrière.

Avant Explorers, Jason Presson a déjà joué au cinéma un rôle d'enfant taciturne dans The Stone Boy (Christopher Cain, 1984), entouré de Glenn Close et Robert Duvall. On le croisera une nouvelle fois dans l'univers de Dante lors d'une apparition complice dans Gremlins 2. Il fera par la suite un peu de télévision et quelques films sans jamais vraiment percer et cessera de tourner dès 1997.

Concernant le reste de la distribution, en plus de Dick Miller que nous avons déjà évoqué, on retrouve Robert Picardo, autre figure emblématique du cinéma de Dante, qui incarne ici pas moins de quatre personnages : le capitaine du film Z italien Starkiller, l'extraterrestre Wak ainsi que son père, de même que le père alcoolique de Darren (celui-ci demeurant toujours hors champ, réduit à sa voix). Sa capacité à improviser en faisait un interprète idéal pour Wak, son texte n'étant qu'une suite de répliques de films cinéma et publicitaires. Il livre une performance réellement jubilatoire, en totale roue libre et en cohérence parfaite avec son rôle. Les géniaux costumes de Rob Bottin lui firent suer des litres d'eau, torture dont il avait déjà une certaine habitude. Picardo est un partenaire infiniment précieux pour Dante puisque c'est tout simplement un des comédiens les plus aptes à porter des prothèses et des combinaisons de latex pour incarner parmi les plus belles créations des studios d'effets spéciaux de maquillage de Hollywood. Rob Bottin avoue être lui-même admiratif de son travail, de sa capacité à rendre expressif le latex. C'est d'ailleurs en compagnie de Dante et Picardo que Bottin s'est fait remarquer à Hollywood avec son travail sur les loups-garous de The Howling (1981). La même année qu'Explorers, Picardo et Bottin composeront encore la magnifique et terrifiante créature des marais pour Legend de Ridley Scott.

Pour les décors, Dante a la chance de travailler avec de prestigieux vétérans. Sont ainsi crédités en tant que production designer et décorateur de plateau Robert Boyle (North by Northwest, The Birds, Fiddler on the Roof) et George Nelson (Little Big Man, The Godfather part II, Apocalypse Now, Hammett, The Right Stuff). Et c'est au directeur de la photographie John Hora qu'incombe la tâche de les filmer. Hora a rencontré Dante sur le plateau de The Howling et apparaîtra dès lors au générique de la majorité de ses réalisations. Il sait parfaitement souligner la poésie d'une séquence, la peur d'une autre, et capturer l'atmosphère paisible et rêveuse des paysages naturels (la forêt en bordure de la banlieue). Mais dans ce domaine, les plus belles scènes du film, les plus remarquables, sont assurément celles du vaisseau extraterrestre, dont la bizarrerie des décors et les éclairages baroques évoquent explicitement le Technicolor des années 50 (Les Survivants de l'infini, Les 5 000 doigts du Dr T.) ou l'esthétique de Mario Bava (La Planète des vampires), dont Hora partage le goût avec Dante.

On le constate donc : Dante aime travailler en famille. On ne surprendra alors personne en notant la présence de Jerry Goldsmith, indispensable et désormais regretté compagnon rencontré et mis à contribution sur le sketch de The Twilight Zone : the Movie (1983). Après avoir brillamment transformé l'essai sur Gremlins, Goldsmith livre ici une partition particulièrement dynamique et riche par ses atmosphères, Dante insistant pour donner au score une tonalité mélancolique. Un des passages les plus jouissifs, plein d'une malice enfantine, est peut-être celui accompagnant la fabrication du vaisseau (The Construction), avec son montage typique à la A-Team, qui exprime à la fois la force de volonté des enfants et la concrétisation de leurs rêves. Le thème, de martial devient lyrique, aérien, jusqu'à l'envol du véhicule. Goldsmith crée une de ces mélodies qu'on garde en mémoire et qu'on se plaît à fredonner une fois sorti du film, l'air ravi.

LA FOIRE AUX DÉSILLUSIONS

Le tournage se déroulera entièrement en Californie, d'octobre 1984 à février 1985, tant en extérieur qu'au sein des studios Paramount. Dante devra faire face à un timing extrêmement serré puisque avec le changement de l'équipe de production, la sortie du film est brutalement avancée, obligeant ainsi à réécrire le scénario en cours de route, et à mettre en boîte des séquences alors que décors et effets spéciaux sont loin d'être finalisés. Alors qu'il est destiné à être son blockbuster de l'été, la Paramount a énormément misé sur le film, mais la seule chose qui compte désormais pour son service marketing est la date de sortie. Dante a la désagréable impression d'être revenu au temps de New World, au rafistolage et à l'amateurisme.

ILM parviendra cependant miraculeusement à tenir les délais de postproduction. Le film s'ouvre sur des images de synthèse à la Tron, qui démarrait lui-même sur un générique semblable. Grosse maison de production, budget confortable, réalisateur en état de grâce. Explorers s'annonçait comme un superbe terrain de jeu pour la compagnie de George Lucas, surtout entre les mains de véritables pointures en matière d'effets spéciaux. Nommé responsable des effets visuels, Bruce Nicholson a en effet fait ses preuves sur la première trilogie Star Wars, les deux premiers Indiana Jones, mais aussi Poltergeist ou L'Histoire sans fin. Les peintures sur verre sont l'œuvre de Michael Pangrazio (E.T., Dark Crystal, Starman, Dragonslayer). On sent dans certains plans composites que la finition a été précipitée. Les incrustations semblent parfois un peu approximatives. Le travail est cependant d'une réelle qualité. Mais ce sont surtout les effets mécaniques réalisés live sur le plateau qui se distinguent, notamment toute la scène de la petite sphère du champ de force qui traverse et dévaste la cave de Wolfgang. La synchronisation et le réalisme des effets sont stupéfiants, qui plus est remarquablement mis en scène, et demeurent aujourd'hui bien plus impressionnants que s'ils avaient été réalisés numériquement.

Pressé par le temps, Dante est condamné à passer des nuits blanches sur sa table de montage, faisant sauter de nombreuses scènes. Il s'était embarqué sur un projet qui lui tenait à cœur, et pour lequel il n'y avait pas de personne plus qualifiée que lui. Et c'est le cœur lourd qu'il s'astreint désormais aux exigences du studio, voyant, tel ses héros, son rêve de film progressivement lui échapper. Il exprime son état d'esprit dans un mémo au ton désabusé : "Je n'accepte que parce que j'ai compris que le studio a décidé de sortir le film le 12 juillet, avec ou sans ma coopération, terminé ou inachevé, en contradiction flagrante avec la date spécifiée dans mon contrat. En fin de compte, mon besoin de rester avec le film l'emporte sur mon envie de suivre ceux qui me conseillent de traîner l'affaire devant la justice. Je ne peux pas supporter de voir un an de travail m'être arraché dans les dernières semaines de finition. Je dois mieux que cela à moi-même et à tous ceux qui ont travaillé sur ce film." Au final, Dante estime que le résultat obtenu est un tout autre film que ce qui était prévu. Blessé par cette épreuve au goût amer, Dante décidera ensuite de fonder Renfield, sa propre société de production, en association avec son producteur de longue date, Michael Finnell. Les deux hommes avaient débuté ensemble au sein de New World. Renfield établira un partenariat avec Warner Bros. et c'est sous cette nouvelle houlette que les opus suivants de Dante verront le jour. Ces auspices n'empêcheront malheureusement pas la douloureuse expérience d'Explorers de se reproduire. Et Dante, tel un Orson Welles de la série B, se verra encore dépossédé de son travail sur Innerspace ou Small Soldiers. Il est d'ailleurs étonnant de constater que si l'on ignore ces conditions de production déplorables, ces films arrivent à vraiment bien tenir la route et constituent d'authentiques réussites qui ne dissimulent rien de la voix de leur auteur ('The Burbs, à la production tout aussi chaotique, est quant à lui bien plus boiteux).

Annoncé fièrement comme « le nouveau film du réalisateur de Gremlins », Explorers écope d'une promotion catastrophique. Sorti le 12 juillet 1985, retiré au bout de deux semaines, le film aura rapporté 7,4 millions de dollars, soit le tiers de sa mise. Dante se voit ainsi enchaîner son plus gros succès avec son plus éprouvant fiasco. La thématique du film n'est sans doute pas pour rien dans le rejet du public et la difficulté du service marketing de la Paramount pour le vendre. Dante en convient : « [Ben] espérait apprendre les secrets de l'univers et en fin de compte, il n'obtient qu'une copie carbone de lui-même. C'était un concept assez peu spielbergien... en fait, c'est de l'anti-Spielberg. Le film va contre l'idée qu'on regarde les étoiles en y cherchant Dieu, alors que tout va bien ici et maintenant. Et le public a été déçu, comme l'étaient les enfants dans le film. » Parce que tout dans le projet du film conduisait de façon audacieuse à une mise en accusation du spectacle, de la fonction de divertissement de l'image, il est vrai que l'on ne pouvait qu'arriver en fin de compte à une production kamikaze qui allait laisser insatisfaits tant les parents que les enfants à qui on avait promis le rêve et l'évasion. A sa sortie comme aujourd'hui, ce parfum d'insolite n'a pas quitté le film qui, sous ses incontestables atours de classique hollywoodien, distille toujours quelque chose de corrosif, et dont la pertinence du discours reste plus que jamais valable.


Toutes les citations sont extraites de l'indispensable ouvrage dirigé par Bill Krohn : Joe Dante et les Gremlins de Hollywood, Éd. Cahiers du Cinéma / Festival International du Film de Locarno, 1999.

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Par Elias Fares - le 17 août 2015