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Critique de film
Le film
Affiche du film

Été violent

(Estate violenta)

L'histoire

Carlo Caremoli (Jean-Louis Trintignant) est un jeune homme insouciant qui grâce à l’appui de son père, un dignitaire fasciste, a pu échapper au service militaire ainsi qu’à l’enrôlement pour les combats ; en effet, nous sommes en juillet 1943. De retour à Riccione sur les bords de l’Adriatique, Carlo n’a plus rien d’autre à penser qu’à s’amuser, rien d’autre à faire qu’à organiser des soirées et se prélasser sur les plages avec des amis de son âge. La guerre semble bien loin mais parvient de temps en temps avec fracas à faire se rappeler qu’elle est pourtant bien là, aux portes de la paisible station balnéaire ; comme ce jour où un avion de chasse allemand, volant en rase-mottes au dessus de la plage, provoque la panique. Se trouvant alors sur le chemin d’une petite fille seule et apeurée, Carlo la prend dans ses bras afin de la consoler et fait à cette occasion la connaissance de sa mère, Roberta (Eleonora Rossi-Drago), jeune femme mure, veuve d’un officier de marine tué en héros durant cette guerre. Subjugué par sa beauté, il en tombe tout de suite éperdument amoureux et désormais, de cesse de se trouver des prétextes pour lui rendre visite. La mère de Roberta voit cette idylle naissante d’un mauvais œil, le deuil de sa fille lui semblant encore bien trop récent pour être ‘bafoué’ de la sorte. Leurs amis respectifs les désapprouvent eux aussi, mais une passion réciproque s’est déjà installée...

Analyse et critique

Eté Violent est le deuxième film d’un réalisateur qui, sur une période de 22 ans, n’en aura tourné qu’à peine une petite dizaine. Une filmographie restreinte mais intéressante, intelligente, sensible et surtout très attachante, qui débute en 1954 avec d’ors et déjà une œuvre éminemment sympathique, Le Ragazze di San Frediano, pour finir en 1976 avec l’adaptation jugée irréalisable du chef-d’œuvre de Dino Buzzati, Le Désert des Tartares. Le sujet principal du roman étant l’ennui et l’attente, il paraissait difficilement transposable au cinéma surtout par l’intermédiaire d’une coproduction internationale à gros budget débouchant très souvent sur des monuments d’académisme. Au final, Zurlini accouche d’une remarquable réussite qui n’a pas grand chose à envier au roman grâce à un scénario très bien écrit et suffisamment subtil, un casting quatre étoiles (je vous laisse la surprise d’aller fouiller pour le découvrir), une photographie somptueuse de Luciano Tovoli, un score entêtant d’Ennio Morricone et évidemment, comme elle le sera à chaque film, une mise en scène tout en nuances et demi-teintes. Bref un réalisateur discret, une carrière encore aujourd’hui assez méconnue mais qui, dans les années 80, grâce en premier lieu au Cinéma de minuit de Patrick Brion, s’est révélée en douceur aux cinéphiles français.

Valerio Zurlini est né le 19 mars 1926 à Bologne. Il passe sa prime enfance à Milan avant d’atterrir à Rome où son père va faire partie des fondateurs de la société AGIP. A 17 ans, il s'engage dans l'Armée de Libération et, fréquentant quelques-uns des peintres les plus brillants de la décennie, il développe un goût certain pour les arts plastiques. A la fin de la guerre, il reprend ses études de droit tout en s’intéressant à l'art dramatique cette fois. Il devient l'un des membres du comité directeur du Centre Théâtral Universitaire dans la troupe duquel l’on trouve non moins que Giulietta Masina, Marcello Mastroianni et Gabriele Ferzetti. En 1947, alors qu'il tourne dans un film publicitaire, il se voit proposer d’en assurer la mise en scène en l'absence du réalisateur. Après avoir obtenu son diplôme de droit, il s’engouffre donc dans la voie du cinéma. Après une quinzaine de courts métrages documentaires, on lui propose de tourner l'adaptation d'un roman de Nasco Pratolini, Le Ragazze di San Frediano. Bien que n'appréciant guère le livre, Zurlini accepte et le résultat final est, en toute logique au vu de ses réelles qualités, très bien accueilli.

Le cinéaste attend cependant cinq ans avant de pouvoir réaliser son deuxième film, plusieurs projets n'ayant pu aboutir entre-temps. Ses œuvres suivantes, Eté Violent, La Fille à la valise (La Ragazza con la valiglia) et Journal Intime (Cronaca familiare), toutes trois mémorables, lui apportent le succès public et la reconnaissance critique que consacre un Lion d'Or à Venise récompensant Journal Intime. Ces trois réussites consécutives révèlent un réalisateur qui, à l’instar d’un Richard Mulligan aux USA, n’aura pas son pareil pour décrire la naissance d’un amour et la montée du désir. Puis ce seront quelques années de vaches maigres avec plusieurs échecs commerciaux successifs dont le bancal Le Professeur avec Alain Delon, pourtant l’un des films les plus intéressants que tournera l’acteur dans les années 70. La dernière contribution de Zurlini pour le septième art aura été d’assurer la direction du doublage de la version italienne de Mon oncle d’Amérique d'Alain Resnais. Il décèdera le 27 octobre 1982 à Vérone.

Eté Violent fut son plus gros succès financier et pourrait se résumer comme étant une sorte de variation sur Le Diable au corps, histoire d’amour passionnelle entre un jeune homme et une femme un peu plus âgée. Bien qu’en 1943 Zurlini ait eu à peu près le même âge que le personnage de Carlo dans le film, il nie avoir signé une œuvre autobiographique, même s’il reconnaît l’avoir largement nourrie de souvenirs personnels pour donner chair et réalisme à ses protagonistes. Une histoire d’amour sur fond de guerre, nous avons pu en voir quelques centaines depuis, mais dans la plupart le côté mélodramatique dû à un contexte violent prenait le dessus alors que Zurlini tient éloigné à distance raisonnable le spectre du conflit mondial, préférant brosser par petites touches feutrées un tableau "impressionniste" de cette période trouble et complexe. Les brèves intrusions de la guerre à quelques reprises dans le courant du récit n’en paraissent que plus violentes surtout quand, en plus, elles sont amenées par le thème martial assez inquiétant qu’a écrit Mario Nascembene avec une mise en avant pour le moins puissante et dissonante des percussions. Les partitions du compositeur n’ont jamais fait dans la dentelle (il est surtout connu pour avoir écrit les musiques de nombreux péplums ou autres films à grand spectacle comme Tarass Boulba, Barrabas ou Les Vikings) mais leur efficacité est incontestable ; outre le thème évoqué ci-dessus car difficilement oubliable, signalons aussi un thème d’amour assez poignant qui prouve qu’il pouvait aussi parfois avoir la main moins lourde (il l’avait déjà prouvé avec la musique de La Comtesse aux pieds nus de Joseph L. Mankiewicz).

Même si en arrière-plan, des évènements dramatiques se jouent avec un grand sérieux puisque nous assistons à la chute du régime mussolinien, avec les quelques débordements qui automatiquement en découlèrent, le cinéaste s’attache avant tout à cette histoire d’amour fou et déraisonnable qui se déroule sous les yeux de familles et d’amis qui la réprouvent. Nous nous rendons assez vite compte que Roberta étouffait dans ce carcan familial rigide et qu’elle n’était pas heureuse avec son mari et pas plus, une fois ce dernier tué, aux côtés de sa mère qui souhaiterait qu’elle reste fidèle au souvenir de son gendre mort en héros et qui, pour ce faire, ne cesse de la culpabiliser. La rencontre avec ce jeune homme, comme hypnotisé par sa personne, finit forcément par la toucher et l’obstination avec laquelle il lui tourne autour finit par la rendre à son tour amoureuse. La magnifique séquence nocturne éclairée par de lointains bombardements qui, suite à des échanges passionnés de regards au cirque, les voit tomber dans les bras l’un de l’autre alors qu’ils dansent tendrement sur Temptation, démontre tout le talent du cinéaste et donne un aperçu typique de son style. Les cadrages et mouvements de caméras se font sensuels et caressants, et nous fondons quasiment en même temps que les protagonistes car lors de ces moments il se dégage, tout dans la suggestion, un potentiel érotique véritablement puissant comme lors de deux autres scènes, celle ou Roberta attire enfin Carlo vers sa chambre malgré le fait de se savoir "espionnée" ou cette autre superbe qui nous fait voir le couple au petit matin, lascivement alangui sur la plage alors qu’ils viennent visiblement de faire l’amour.

Il faut dire que Zurlini est également un formidable directeur d’acteurs ; ainsi le couple formé par Jean-Louis Trintignant et Eleonora Rossi-Drago est constamment crédible sans besoin d’avoir beaucoup recours à la parole, presque tous leurs sentiments passant par les gestes et les regards. Roberta, traînant son regard triste quasiment tout au long du film, est particulièrement touchante grâce au talent de l’actrice qui peut se vanter dans le même temps d’être sublimement belle. Quant au jeune Trintignant, il nous étonne déjà dans un rôle pas forcément aisé puisqu’il n’est pas dépourvu de l’arrogance que lui a transmise son fasciste de père (parfait Enrico Maria Salerno qui marque de son empreinte la seule séquence qu’il eut à interpréter pour ce film), pouvant lorsqu’il se met en colère tenir des discours aussi méprisants que ceux prononcés par le régime dictatorial qui touchait à sa fin. Suite au coup d’éclat du 25 juillet, qui voit le pillage et la violence s’abattre sur les habitations des dignitaires mussoliniens, Carlo subit l’humiliation de devoir quitter sa maison suite à sa réquisition par le nouveau gouvernement. Mais cela ne saurait excuser la phrase qu’il tient à ce moment là, disant comprendre les sentiments dédaigneux de son père vis à vis d’une certaine frange de la population. Un personnage somme tout humain qui, s’il n’arrive pas totalement à se défaire de son hérédité, peut se révéler dans le même temps tout à fait charmant, prévenant et compatissant.

Carlo et Roberta sont des amants que nous, spectateurs, avons appris à aimer malgré leurs défauts et dont nous souhaitons qu’ils ne se séparent plus malgré les diverses embuches. La fulgurante séquence de bombardement aérien final, qui vient donner tout son sens au titre du film, en devient d’autant plus forte par son espèce de "paroxysme infernal" loin de ce que nous avions pu voir jusque-là ; le suspense étant à son comble nous fait nous demander, pendant cinq longues et intenses minutes de panique, s’il ne va pas en résulter des conséquences dramatiques pour le couple. En effet, alors que Roberta décide d’emmener Carlo se cacher dans sa villa de Rovigo jusqu’à la fin de la guerre pour qu’il puisse échapper à son accusation de désertion, leur train subit une violente attaque aérienne. Quelques images marquantes, comme cette femme apeurée que des hommes sont obligés d’assommer pour la calmer ainsi que ces corps de femmes et d’enfants étendus sur la voie ferrée, nous rappellent que si effectivement certains jeunes gens avaient beau se prélasser et "farnienter" au bord de la mer à cette époque, la violence était néanmoins tapie à leurs portes et pouvait encore les atteindre dans leur âme et leur chair. Par cette séquence éprouvante, le cinéaste nous rappelle alors à l’Histoire et nous fait oublier quelques secondes cette chronique d’une passion dévorante pudiquement filmée.

L’année 1959 et les suivantes furent d’ailleurs assez riches concernant le sujet du fascisme sous la Seconde Guerre mondiale : ainsi nous verrons apparaître sur les écrans des films aussi différents et réussis que Le Général della Rovere de Roberto Rossellini, Kapò de Gillo Pontcorvo, La Grande pagaille de Luigi Comencini, La Marche sur Rome de Dino Risi ou le méconnu et spectaculaire La Bataille de Naples de Nanni Loy. Mais aucun de ceux-là n’arrivera à dégager autant d’émotion que Eté Violent.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 23 janvier 2008