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Critique de film
Le film

Embuscade

(Ambush)

L'histoire

1878. Ward Kinsman (Robert Taylor) prospecte dans les montagnes Apaches quand le Major Breverly (Leon Ames) de la cavalerie américaine l’envoie chercher. Connaissant ses talents d’éclaireur et comptant sur sa connaissance des dialectes indiens, il lui confie une mission : retrouver la seule survivante du massacre d’un convoi, la fille d’un général qui aurait été faite prisonnière par un redoutable chef indien, Diablito. Connaissant la ruse et l’intelligence de ce dernier, Ward refuse dans un premier temps, prétextant qu’il serait inutile de sacrifier toute une patrouille pour sauver une seule vie. Mais il finit par accepter quand la sœur de la disparue, Ann Duverall (Arlene Dahl), vient l’exhorter à le faire. L’escadron devra être dirigé par le capitaine Lorrison (John Hodiak) avec qui Ward entre en conflit rapidement, notamment pour les beaux yeux de la jolie et désirable Ann. Alors que les préparatifs de l’expédition pour rattraper la tribu de Diablito s’organisent, nous restons quelques temps à l’intérieur du fort où un second triangle amoureux va provoquer d’autres drames de la jalousie ; en effet, Martha (Jean Hagen), épouse d’un soldat qui la maltraite, tombe amoureuse du lieutenant Delaney (Don Taylor). Le mari va devenir fou furieux tandis que le lieutenant va se faire sermonner par Lorrison, qui ne supporte pas le plus petit manquement à la discipline et à la moralité dans l’enceinte du fort dont il vient de prendre le commandement suite à la blessure mortelle reçue par le Major Breverly...

Analyse et critique

Le fameux rugissement du lion de la MGM retentit puis se font entendre quelques secondes de pesants coups syncopés, ceux émis par des tambours de guerre. S’ensuit un lourd silence. Vue en légère contre-plongée sur des traces de chariot laissées sur la terre asséchée. Toujours sans musique, commence alors un plan-séquence avec travelling latéral s’en allant filmer vers la droite. La caméra, lentement et à faible hauteur, suit ces empreintes de roue sur quelques mètres. Apparaît alors dans son champ un cadavre, puis celui d’un cheval et encore d’autres corps avant qu’elle ne tombe sur le fameux chariot à moitié calciné et encore fumant. Après l’avoir survolé, elle découvre encore de nombreux morts gisant pêle-mêle. Des cris sauvages et stridents déchirent ce silence pesant. La caméra s’élève alors à l’horizontale pour découvrir en fond de champ des Indiens à cheval quittant tout excités les lieux du massacre. Le titre Ambush vient alors s’incruster brutalement sur l’écran et le générique de se lancer ! C’est, il me semble, la première fois qu’un western débute par une séquence pré-générique et elle s’avère fulgurante. Le film ne tiendra pas ses géniales promesses mais se révèlera néanmoins être une bonne surprise en se situant dans une très honnête moyenne.

En ce début des années 50, John Ford, qui a quasiment inventé le western de cavalerie et qui n’a pas manqué de nous éblouir avec, n’en a désormais plus le monopole. C’est le cinéaste Sam Wood qui, pour son dernier film, vient marcher sur ses plates-bandes. Mais que Ford se rassure, Ambush n’a pas grand-chose à voir avec les deux films qu’il a lui-même déjà réalisés avec les Tuniques Bleues pour principaux protagonistes (Fort Apache et She Wore a Yellow Ribbon) ; le ton et le style sont totalement différents. Le ton élégiaque et chaleureux de Ford fait place à une description plus terne de la vie militaire, peut-être aussi d’ailleurs plus proche de ce qu’elle devait être réellement ; les hommes semblent ici s’y ennuyer, ce qui était probablement le cas confinés qu’ils étaient dans ces garnisons de petite taille sises aux abords de contrées dangereuses mais désertes. Quant au style, il serait malhonnête de vouloir les comparer, les deux cinéastes n’ayant jamais vraiment boxé dans la même catégorie. Même s’il ne possède pas le génie de Ford, Sam Wood ne manque pourtant pas de talent et nous en avons la preuve à travers cet ultime long métrage. Auteur réputé aux USA, Sam Wood le fut beaucoup moins en France, pays où l'on a malheureusement toujours eu du mal à dissocier l’homme de l'artiste. Son degré d'appréciation fut donc moindre, non pas à cause de ses qualités cinématographiques mais en raison de ses positions politiques ultraconservatrices et anticommunistes. Il n'en réalisa pas moins un film qui allait à l’encontre de ses convictions, et pour cause puisqu'il s'agissait de l'adaptation de Pour qui sonne le glas (For Whom the Bells Tolls) d’Ernest Hemingway. Si le peu de ses films qu’il m’a été donné de voir ne m’a guère enthousiasmé, il mérite tout de même notre estime pour être l’auteur d’au moins un chef-d’œuvre du mélodrame, le superbe Kings Row (Crimes sans châtiment) avec Ann Sheridan, Robert Cummings et un Ronald Reagan qu'on ne s'attendait pas à voir aussi bon, et pour avoir mis en scène quelques films des Marx Brothers parmi leurs plus drôles, Un jour aux courses (A Day at teh Races) et surtout Une nuit à l’Opéra (A Night at the Opera). Il existe certainement d’autres pépites au sein de sa filmographie mais déjà Ambush peut aisément figurer parmi ses réussites.

Pour une bonne moitié de sa durée, soit environ ¾ d’heure, Embuscade pourrait s’apparenter, plus qu’au western, au mélodrame, Sam Wood ne se contentant pas pour l’occasion d’un seul triangle amoureux en nous en proposant un deuxième pour le même prix. On en trouvait un dans La Charge héroïque de Ford mais les relations entre les trois personnages (John Agar, Joanne Dru et Harry Carey Jr.) étaient plutôt amusantes et somme toute très bon enfant. Sam Wood prend ses romances bien plus au sérieux, les deux se terminent même assez tragiquement en permettant que la morale soit sauve par la même occasion, les deux femmes n’ayant plus vraiment à choisir entre deux hommes : pour le studio familial par excellence qu’était la MGM, il n’en fallait pas moins. Mais que les amateurs d’action se rassurent, l’autre moitié du film est consacrée aux guerres indiennes avec force batailles, traquenards et fusillades au milieu de forts beaux décors naturels. Que ce soit pour la première séquence après-générique au cours de laquelle, au milieu d’étonnants paysages rocheux, Robert Taylor et John McIntire tentent de récupérer des chevaux pour se sauver de la mauvaise passe dans laquelle ils se sont fourrés, ou bien pour les deux combats successifs de la dernière demi-heure, la mise en scène de Sam Wood s’avère très efficace. Ceux qui se seraient un peu lassés des histoires d’amour ayant eu lieu dans l’enceinte du fort se voient récompensés de leur attente notamment lors de cette embuscade finale qui voit les Indiens s’ensabler au milieu d’une vaste plaine pour surprendre les soldats qui ne s’y attendent absolument pas ; un très bon suspense et une violence assez sèche qui clôturent le film aussi bien qu’il avait débuté.

Quasiment dix ans après son Billy The Kid, on retrouve enfin Robert Taylor dans un western ; mais le jeune premier a fait place à un acteur n’hésitant pas à se présenter devant nous sale et mal rasé, pas forcément héroïque, souvent maltraité aussi bien par les militaires que par les civils et assurément très peu habile de ses poings ; au cours d’un combat à mains nues qui l’oppose à John Hodiak, il prend même une raclée carabinée. Bref, la scénariste a eu un certain culot de nous offrir un personnage principal loin d’être immaculé, qui plus est interprété par une star que l’on avait peu l’habitude de voir ainsi. Les relations qu’il entretient avec son rival en amour sont d’ailleurs plutôt bien vues, à la fois tendues et savoureuses. Pour interpréter cet officier rigide « qui ne commet pas d’erreur et qui ne supporte pas qu’on en commette », John Hodiak s’avère également très bon tout comme les deux actrices féminines, Jean Hagen (vous savez, la Lina Lamont à la désagréable voix haut perchée dans Singin’ in the Rain) et Arlene Dahl, la belle rousse au grain de beauté situé pas loin de la commissure des lèvres (rien que pour elle, le Technicolor aurait été un atout supplémentaire). Le reste du casting se tient très bien, de Don Taylor à John McIntire en passant par Leon Ames dont le personnage de commandant du fort nous fait beaucoup penser à son pendant dans La Charge héroïque de John Ford joué par George O’Brien ; à tel point que j’ai cru pendant un long moment qu’il s’agissait du même protagoniste.

Hormis cela, outre une intéressante description de la vie quotidienne dans un fort, des intrigues sentimentales assez bien écrites (même si prenant un peu trop d’importance) et d’efficaces morceaux de bravoure, on mettra aussi à l’actif de ce bon scénario une certaine franchise des dialogues, le culot (pour l’époque) de certaines situations et une vision des Indiens tout à fait honorable contrairement à ce que certains ont pu dire en taxant ce film de racisme, ce qui me semble totalement déplacé. Les Indiens sont effectivement les ennemis à éliminer ou à raccompagner dans leurs réserves, mais le fait est historique et aucun moment le réalisateur ou les protagonistes ne les considèrent avec mépris ; au contraire, ils sont filmés avec respect et loués par Robert Taylor pour leur intelligence tactique (ils le prouvent lors de la dernière embuscade) ; et ce n’est pas cette phrase « un Apache qui ne parle pas et qui ne se défend pas, en voici un bon Apache » qui devrait faire penser le contraire. Il ne faut pas confondre les idées de certains personnages avec celles des auteurs ! Le fait d’avoir choisi pour les incarner de véritables Indiens et de les faire parler dans leur vrai dialecte en est à mon avis une preuve supplémentaire. Embuscade est un bon western sur les guérillas Apaches, qui ne laissera pas forcément de grandes traces mais qui aura permis de passer un agréable moment.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 19 avril 2014