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Critique de film
Le film
Affiche du film

Ecce bombo

L'histoire

Michele vit à Rome avec ses parents et sa sœur. Dépressif et constamment frustré, il se comporte en tyran, aussi bien avec sa petite amie Silvia qu’avec sa famille. Souvent, Michele se réunit avec ses amis pour écouter les premières radios libres, pour parler simplement en groupe, ou pour psychanalyser sa génération désœuvrée.

Analyse et critique

Après Je suis un autarcique, Nanni Moretti met de nouveau en scène une bande de jeunes Romains, toujours dominée par le personnage de Michele Apicella, et échouant pareillement à entreprendre collectivement. Il n’est plus question ici de théâtre expérimental mais d’un groupe d’"autoconscience", une pratique elle aussi issue de la mouvance soixante-huitarde. Celle-ci consistant en une sorte de psychothérapie collective et sauvage : on y explore ses états d’âme, dans un désordre relatif, sous l’œil et l’oreille des autres membres du groupe. Mais aucun d’entre eux ne tirera finalement profit de l’occasion ainsi offerte de mieux se connaître soi-même mais aussi et surtout de découvrir autrui et d’être ainsi en mesure de lui apporter son aide. Sortes de Vitelloni des années 70, Michele et ses camarades sont aussi égotistes et immatures que l’étaient les personnages de Je suis un autarcique. Les réunions d’"autoconscience" sont prétextes à des jeux d’une cruauté puérile - le harcèlement téléphonique d’une jeune femme - ou au développement de stratégies amoureuses par Michele pour séduire Flaminia (Carola Stagnaro), l’épouse de Cesare (Maurizio Romoli), l’un des membres du groupe... Rapidement vouée à l’échec, tout comme celles qui l’unissaient auparavant à sa fiancée Silvia (Susanna Javicoli) ou qu’il entamera par la suite avec une ex-amie de lycée, cette relation viendra confirmer l’incapacité de l’alter ego morettien à réussir sa vie affective. Une impossibilité que le personnage formulera d’ailleurs explicitement en déclarant : « Je suis incapable de coexister avec une femme. » Et d’ajouter : « J’ai un défaut de fabrication. Je ne donne rien aux êtres, je me méprise. »

Un constat à la lucidité implacable que les autres membres du groupe pourraient faire leur, ainsi que le démontre l’étonnante séquence finale de Ecce bombo. Cette dernière dépeint le soudain accès d’altruisme, et sa disparition presque aussi immédiate, que connaît la troupe d’amis lorsque celle-ci décide au cœur de la nuit de traverser la ville pour aller saluer Olga (Lina Sastri). L’empathie naissante que les personnages éprouvent alors à l’égard de cette jeune femme atteinte de schizophrénie restera sans suite. Au fur et à mesure de leur cheminement nocturne dans Rome, les Vitelloni morettiens oublieront Olga, de nouveau submergés par leurs diverses pulsions. Ludique pour les uns qui se lancent dans un match de football. Gourmande pour les autres qui s’empiffrent de pastèques. Discrètement voyeuriste pour quelques autres s’abimant dans la contemplation de couples en train de danser. Seul Michele rejoindra finalement Olga. Mais l’ultime plan du film, montrant le personnage totalement coi face à la jeune femme, planté à quelques mètres d’elle, laisse planer rien moins qu’un doute quant à sa capacité à communiquer avec elle.

Enregistrant comme Je suis un autarcique l’irréductible individualisme à l’action dans le corps social italien, Ecce bombo déroule une même logique politique en affirmant l’impossibilité de la réalisation des utopies collectives du gauchisme soixante-huitard. L’occupation de leur école, une semaine avant la fin des cours (!) par la sœur de Michele et ses camarades, n’a d’autre vocation que de rallonger le temps des vacances. Et c’est plutôt la rigueur bureaucratique que l’esprit libertaire qui commande dans l’appartement communautaire représenté dans Ecce bombo. Quant aux séquences concernant un restaurant pour jeunes autogéré ou un festival de rock en plein air dans le Lazio, celles-ci les dépeignent comme vidés de toute potentialité subversive, réduits à l’état d’épiphénomènes médiatiques à l’intention d’une télévision manifestement déjà ressentie par Nanni Moretti comme aussi puissante que néfaste.

Tout aussi psychologiquement et politiquement aporétique que Je suis un autarcique, Ecce bombo s’en distingue cependant par un ton globalement plus grave. L’humour demeure certes présent. Le portrait à charge du journaliste de Telecalifornia (Giorgio Viterbo), auteur de reportages stéréotypés et médiocres sur la vie des jeunes Romains, s’inscrit par exemple dans la droite ligne critico-bouffonne du film précédent. Mais le réalisateur dévie fréquemment de celle-ci pour composer un univers dominé par le malaise. Ce peut être selon une tonalité relativement douce, aussi mélancolique qu’émouvante, comme dans les séquences consacrées à Olga, lors de certains échanges entre Michele et sa jeune sœur ou bien encore à l’occasion de l’errance balnéaire du groupe d’amis. La caméra filme alors en plan moyen des personnages immobiles, comme statufiés, dans la pénombre d’une chambre ou sur une plage désertée. Mais lorsque l’incommunicabilité entre les protagonistes d’Ecce bombo devient totale, le rendu cinématographique du trouble se fait alors sur un mode plus tendu. Et les compositions dépressives d’inspiration picturale laissent place à des séquences au montage serré, dynamisant le champ/contre-champ jusqu’à lui donner des allures de salve de mitraillette. C’est un véritable état de guerre affective entre les personnages que Nanni Moretti donne ainsi à voir.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Lire l'analyse de Je suis un autarcique

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Par Pierre Charrel - le 15 mai 2010