Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Docteur Petiot

L'histoire

« Librement inspiré de la vie du docteur Petiot » ainsi que le précise le générique du film, Docteur Petiot évoque l’un des faits divers les plus marquants de l’histoire criminelle française du XXème siècle. Se présentant comme un passeur auprès de Juifs ou de truands cherchant à échapper à la police pendant l’Occupation, Petiot assassina vingt-sept d’entre eux entre 1943 et 1944. Le film évoque quelques-uns des assassinats perpétrés par le médecin, ainsi que sa fuite après que ses crimes ont été découverts en mars 1944...

Analyse et critique

Comment la fiction cinématographique parvient-elle à éclairer la vérité historique ? Qui plus est, lorsque celle-ci relève d’un moment aussi trouble - selon la formule consacrée - de notre passé que l’Occupation ? Sans doute la voie la plus couramment empruntée en la matière est-elle celle du réalisme. À l’instar, par exemple, de la forme qu’adopta François Truffaut avec Le Dernier métro, y prenant prétexte d’une trame de fiction amoureuse pour multiplier des notations véristes transformant, in fine, ce film en une chronique para-documentaire. Ce que n’est assurément pas Docteur Petiot de Christian de Chalonge ! Rien moins que naturaliste, c’est une vision au contraire proprement surréaliste de l’Occupation que le réalisateur de Malevil (1) déploie sous couvert de l’évocation des exactions du fameux médecin homicide.

Ce programme esthétique est revendiqué d’emblée : ses instants inauguraux sont placés sous les signes affirmés de l’artifice et de l’étrangeté. C’est en effet dans une salle de cinéma que s’ouvre le film. On y projette d’abord des bandes d’actualité dont la tonalité documentaire est immédiatement contredite par la musique ostensiblement extradiégétique de Michel Portal, en charge de la bande originale. Pour accompagner ces images d’époque évoquant pour les unes une course de vélo-taxi, pour les autres l’exposition antisémite Le Juif et la France, le jazzman compose une valse interprétée à l’orgue Hammond - instrument à la sonorité singulière s’il en est… -, oscillant entre le grinçant et le grotesque. Et le montage d’archives, plutôt que d’inscrire (de manière attendue) le film dans le contexte historique, offre ainsi à Christian de Chalonge une première occasion de faire planer sur Docteur Petiot l’ange du bizarre. Mais ce n’est encore que l’ombre de ce dernier qui se profile alors. Et c’est durant les instants suivants que sa présence va se dévoiler définitivement. La bande-son joue, là encore, un rôle décisif. L’étrange rengaine de Michel Portal s’interrompt un temps, cédant l’espace sonore à un bruit pour le moins inquiétant : celui d’un couteau que l’on aiguise, avec autant d’énergie que d’application... Quant à lui intradiégétique, ce bruitage provient du film succédant bientôt à l’écran aux actualités maintenant terminées.


L’œuvre projetée est un apocryphe cinématographique, droit sorti de l’imagination de Christian de Chalonge. Intitulé (en lettres gothiques) Das Schloss des Gehenkten (2), ce prétendu film allemand joue le temps de quelques plans avec les codes essentiels de l’univers expressionniste : une sorte de clone du Nosferatu imaginé par F.W. Murnau évolue dans un décor morbide et baigné d’éclairages violemment contrastés. Parmi les spectateurs de ce Schloss des Gehenkten, assis au premier rang, Petiot lui-même. Encore noyé dans l’ombre de la salle, le praticien maniaque se lève, entamant une sorte de dialogue avec le vampire blafard se dessinant à l’écran... avant de traverser bientôt ce dernier et de pénétrer à l’intérieur même du film en cours de projection ! Ainsi devenu l’un des personnages de Das Schloss des Gehenkten, Petiot en arpente les décors puis regagne finalement le monde réel. La séquence suivante montre en effet le thérapeute assassin se rendre à son cabinet et y procéder à ses consultations...

Aussi éphémère soit-elle, cette extraordinaire immersion du personnage historique de Petiot dans la fiction expressionniste s’avérera essentielle, irriguant en réalité la totalité du film de Christian de Chalonge. Michel Serrault en est la manifestation la plus immédiatement spectaculaire, nourrissant son incarnation du médecin tueur des compositions de Werner Krauss dans Le Cabinet du docteur Calligari (1920) et de Max Schreck dans Nosferatu (1922) de F.W. Murnau. Le comédien campe en effet un Petiot aux yeux outrancièrement cernés se détachant d’un visage au teint maladivement bistre. S’y ajoutent des sourcils redessinés en d’improbables accents circonflexes auxquels répond une chevelure aussi folle que la gestuelle frôlant sans cesse l’hystérie. Tout aussi référentiels sont les décors dans lesquels Christian de Chalonge fait évoluer ses personnages. Privilégiant des angles de vue plongeant (ou contre-plongeant) ainsi que des jeux d’ombre et de lumière violemment contrastés, la photographie de Patrick Blossier transforme, par exemple, un néoclassique hôtel particulier parisien - théâtre des crimes de Petiot - en un semblant de manoir gothique pareil à celui du comte Orlok dans Nosferatu.


Ne se réduisant cependant pas à un seul usage formel - et encore moins formaliste -, cette référence à l’expressionnisme germanique dans Docteur Petiot détermine aussi - et surtout - le sens même du film. Christian de Chalonge semble en effet y faire sien le postulat affirmé par Siegfried Kracauer dans son œuvre maîtresse : De Caligari à Hitler. Rappelons, en substance, que cet intellectuel affilié à l’École de Francfort opérait dans ce livre paru en 1947 une relecture socio-politique du cinéma expressionniste allemand du sortir de la Première Guerre mondiale. Siegfried Kracauer y envisageait ainsi les œuvres alors réalisées par Robert Wiene, F.W. Murnau ou bien encore Fritz Lang comme autant de révélateurs filmiques des troubles de l’inconscient collectif allemand ; ceux-là mêmes dont le nazisme allait, par la suite, faire son lit idéologique. Or c’est cette même fonction d’exploration de la psyché politique - cette fois-ci française - que Christian de Chalonge attribue à l’esthétique expressionniste dans Docteur Petiot. Et que révèle cette relecture "caligarienne" de la France occupée ? Le triomphe absolu d’un ordre politique déserté par la raison et désormais commandé par la seule pulsion. Une situation que le personnage de Petiot semble diagnostiquer à l’occasion d’une scène le voyant entonner devant une jeune patiente cette célèbre comptine : « Ah ! vous dirai-je, maman, / Ce qui cause mon tourment. / Papa veut que je raisonne, / Comme une grande personne. / Moi, je dis que les bonbons / Valent mieux que la raison. » Et Michel Serrault d’insister sur les deux derniers vers que le comédien prend soin de répéter de manière aussi insistante qu’inquiétante...

Rien d’étonnant à cette lucidité du médecin quant à l’état psychologico-politique de la France d’alors. Puisque le Petiot dépeint par Christian de Chalonge synthétise à lui seul l’ensemble des plus bas instincts auxquels l’Occupation donna libre cours. Parmi ceux-ci figure en première place la peur primitive de l’autre. Celle-ci prenant, bien entendu, la forme d’un antisémitisme dont Christian de Chalonge dénonce, ainsi qu’on l’a déjà vu, la virulence dès l’ouverture du film. Une passion raciste dont Petiot se fait, justement, l’instrument particulièrement zélé. Choisissant en effet de ne représenter que des victimes juives (3) du médecin bourreau, le réalisateur met en outre en scène leur assassinat en convoquant des motifs visuels évoquant irrésistiblement la Shoah. Petiot fait en effet périr ses victimes dans une manière de chambre à gaz avant de faire disparaître leurs corps dans un vaste poêle faisant office de four crématoire. La fumée noirâtre et pestilentielle s’échappant ensuite du repaire du tueur fait, immanquablement, écho à celle planant au-dessus d’Auschwitz. Et la dernière image de Docteur Petiot, celle d’une accumulation de valises vides ayant appartenu aux victimes du médecin, cite quant à elle ces images d’archives représentant les monceaux d’objets volés par les nazis aux victimes du génocide.

De Caligari... à Petiot ou bien encore D’un docteur l’autre (4), tel aurait donc pu encore s’intituler Docteur Petiot. Un film qui, à son inquiétante et singulière manière, démontre que le surréalisme constitue aussi un efficace moyen de (re)visiter l’Histoire.


(1) Malevil (1981) est, comme Docteur Petiot ainsi que L’Argent des autres (1978) - cette œuvre ayant valu à Christian de Chalonge les Césars du meilleur film et du meilleur réalisateur - désormais disponible en DVD grâce à Tamasa.

(2) Soit en français Le Château du pendu. Facétieux, Christian de Chalonge reprend ici le titre de l’un des épisodes de la série Les Dossiers secrets de l’inspecteur Lavardin qu’il réalisa quelques temps avant Docteur Petiot. C’est en effet à Christian de Chalonge que Claude Chabrol confia le soin de mettre en scène deux des enquêtes télévisuelles du personnage campé par Jean Poiret : Le Diable en ville (1988) et, donc, Le Château du pendu, une aventure de Lavardin sise au Portugal et tirant nettement vers le fantastique. Le Château du pendu sera diffusé par TF1 en février 1990. Docteur Petiot sortira quant à lui sur les grands écrans en septembre 1990.

(3) Rappelons que l’on compta aussi parmi les vingt-sept victimes de Petiot des non Juifs, plus précisément des truands en cavale et que le médecin abusa en leur promettant de les mettre à l’abri des forces de l’ordre.

(4) Puisque l’on paraphrase ici le titre d’un roman de Louis-Ferdinand Céline, on en profitera pour évoquer - rapidement - les liens que Christian de Chalonge tisse entre la figure de Petiot et celle du médecin-romancier antisémite. Par exemple en faisant traverser par le personnage de Petiot le passage Choiseul, l’un des hauts lieux céliniens de la Capitale...

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Pierre Charrel - le 20 mars 2013