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Critique de film
Le film
Affiche du film

Destination: Zebra, station polaire

(Ice Station Zebra)

L'histoire

D'un satellite non identifié s'est détachée une capsule tombée à portée de la station météorologique anglaise de Zebra, dans la banquise arctique. Rapidement des signaux de détresse sont captés en provenance de cette station. Une violente tempête empêchant toute approche par air, l'amiral Garvey charge Ferraday, commandant du sous-marin nucléaire américain « Tigerfish » basé en Ecosse, d'aller porter secours à la station. Un sabotage révèle la présence d'un traître à bord...

Analyse et critique

En 1968, lorsque Destination Zebra, station polaire sort sur les écrans, son succès important n’est pas une surprise. Dans un premier temps, il est utile de préciser que le film est tiré d’un roman à succès d’Alistair MacLean. L’écrivain, spécialiste des romans à base d’hommes et de missions dangereuses, est alors dans les années 60 ce que Michael Crichton est aux années 90 : un écrivain aux œuvres très convoitées par Hollywood. Pour ne se limiter qu'aux plus célèbres adaptations de ses livres, nous citerons le superbe Les Canons de Navarone (1961) de Jack Lee-Thompson, le très efficace Quand les aigles attaquent (1969) de Brian G. Hutton, ainsi que le bien sympathique Solitaire de Fort Humbolt (1974) de Tom Gries. Quoique l’on en dise, ces films se présentent comme des réussites (en tout cas commerciales), et ce Destination Zebra ne déroge pas à la règle. L’autre qualité majeure, actrice du fait que ce film a plu au public de son temps, est également son appartenance au film de commando, car c’est à cela que prétend le film de John Sturges, bien que formellement sa construction dramatique soit parfois déroutante dans ce domaine.

Tout d'abord, la distribution du film est impressionnante : Rock Hudson interprète un commandant de sous-marin héroïque à souhait, Patrick McGoohan s’offre un superbe personnage ambigu à la fois antipathique et secret, Ernest Borgnine joue les gros ours aux faux airs de gentil, et Jim Brown incarne quant à lui le militaire rude et intransigeant. Tous interprètent un rôle qui leur correspond habituellement au cinéma, ce qui nous offre des comédiens parfaitement à l’aise dans la peau de leurs personnages, mais également une sérieuse absence de surprise. Cependant il ne faudrait pas bouder notre plaisir pour si peu car tous sont au diapason. Notons particulièrement l’extrême maîtrise du jeu de McGoohan, tout en finesse et en retenue, ponctué par de rares explosions de colère et somptueusement accaparé par une ambiguïté merveilleuse et des plus habiles. Ce rôle était écrit pour lui, cela ne fait aucun doute. Quant à Rock Hudson, il livre une performance impeccable : dialogues débités à grande vitesse, sûreté des gestes et des mots, calme olympien définissant un caractère fort... Tout est là et tout est dit. Une fois passé ce quatuor de tête, on est aussitôt pris dans la majesté de la mise en scène. John Sturges est toujours en forme en cette fin des années 1960 et cela se voit à chaque plan. L'ensemble du film est découpé minutieusement, les plans sont la plupart du temps somptueux et le tout est monté avec un souci de précision fort plaisant. Le cinéaste n’a visiblement pas perdu la main et nous offre un film tout aussi bien mis en scène que les désormais classiques Sept mercenaires (1960) et La Grande évasion (1963). Le souci de réalisme est présent, avec de longues scènes sur les manœuvres du sous-marin ainsi que sur les nombreuses séquences de bravoure qui parsèment le film. Il faut que cela sonne épique et réaliste à la fois, en ce sens Destination Zebra, station polaire est réussite incontestable. D’autant que la photographie sert admirablement le travail de Sturges. Il suffit de regarder les scènes du module dans l’espace, du sous-marin glissant sous la glace fortement bleutée, du déploiement des hommes sur la banquise ou encore de la découverte de la station Zebra détruite pour s’en convaincre : ce film nous offre tout au moins l’une des plus belles photographies du cinéma d'aventures des années 60, proposant une esthétique jamais à court de beauté et constamment surprenante. L’image est « léchée » du début à la fin, formant un festival visuel d’envergure et servant un récit efficacement mené jusqu’au bout. L’intérêt que le spectateur porte au suspense du film et à son déroulement ne retombe qu’en de très rares occasions, ce qui n'est pas mince un exploit quand on voit la durée d’un tel film qui ne présente, il faut bien le dire, que peu d’action.

On retrouve le groupe d’hommes déterminés à réussir la mission, le face-à-face avec la puissance adverse, la présence d’un traître dans le groupe... Tout d’abord, le pitch de départ prend sa source au beau milieu de la Guerre Froide, opposant les deux blocs que sont l’Ouest et l’Est (les Américains et Britanniques contre les Soviétiques). La richesse thématique de l’œuvre prend soudain tout son sens et le film fait finalement figure d’important témoignage de son époque, alliant avec bonheur fiction et réalité pour nous maintenir dans un suspense qui se veut « vrai ». Cela explique notamment la présence d’une véritable volonté de crédibilité, car contrairement à un James Bond (dont il affiche tout autant le très gros budget), il n’est absolument pas question de faire exploser quoi que ce soit ni de déclencher un quelconque affrontement. L’action ne tient alors qu’une très faible part dans ce film d’aventures. Nous parlions toutefois de morceaux de bravoure, de surcroît tout à fait hallucinants, comme l’escapade du sous-marin sous la glace ou bien la chute d’Ernest Borgnine dans une crevasse qui se referme en raison des mouvements de la banquise. Le film propose du rythme, mais un rythme surtout entretenu par le récit, les rebondissements scénaristiques relancés à maintes reprises sur la possible identité du traître ou la difficulté du sous-marin à percer la glace pour sortir. Finalement, nous ne notons que très peu de coups de feu tirés, aucune explosion, aucune bataille rangée (ou presque), et peu de bagarres. Dans une certaine mesure, Destination Zebra s’apparente davantage au film catastrophe qu’au film d’action pur. C’est une force, beaucoup plus qu’une faiblesse, car on accroche et pourtant rien ne semble réellement décoller. Il s’agit d’impressionner le spectateur en lui montrant uniquement des décors grandioses matinées de séquences au suspense haletant. Bien sûr, Destination Zebra n’aurait pas toute la dimension qu’on lui concède si Michel Legrand n’avait pas composé pour l’occasion une formidable bande originale. Sa musique épouse chaque moment du film, proposant un thème principal énergique et épique à souhait, ainsi que diverses compositions parfaitement en accord tour à tour avec les séquences clés : la traversée du sous-marin sous la glace, le déploiement d’hommes sur la banquise, l’arrivée des Soviétiques, la découverte du traître sont autant d’instants sublimement soulignés par la virtuosité de Legrand et son orchestre. En définitive, le film présente un tableau fort réjouissant, à la fois très intelligent et fourni en rythme. Toutefois, les défauts ne sont pas étrangers à cette entreprise.

Le premier d'entre eux concerne la précision des détails. Ne nous en plaignons pas, cette précision donne quelques scènes d’une crédibilité inouïe, mais l’ennui c’est qu’à force de vouloir donner dans le détail et le réalisme, John Sturges en oublie parfois que ces séquences devraient être plus courtes. La traversée du sous-marin sous la banquise demeure certes un grand moment de cinéma, aidé par une photographie splendide (surtout ici), des effets spéciaux convaincants et une musique inquiétante comme il se doit, mais reste tout de même légèrement trop longue. C’est la même chose quand il s’agit de remonter le sous-marin à tout prix alors qu’il est en train de couler (événement dû à un sabotage). Ce qui, en soit, ne serait pas si longuet si les personnages ne nous abreuvaient pas en plus de répliques composées d’une tonne de mots spécifiques aux sous-mariniers. En ce sens, on ne comprend parfois rien du tout, et cela pendant des minutes entières. Le déroulement du récit et sa compréhension ne s’en trouvent nullement altérés, mais le problème se pose de manière claire, suffisamment d’ailleurs pour qu'on ait parfois l’impression d’être de trop en tant que spectateur au milieu de ces dialogues qui ne nous concernent visiblement pas. Ce n’est pas le premier film a faire montre d’un jargon difficile, mais c’est en tout cas l’un de ceux qui en étalent plus. Un autre élément un peu perturbant à notre humble avis, est la présence de cartons au début et en milieu de film, à la manière d’un Ben-Hur ou d’un Lawrence d’Arabie, sauf qu’ici l’usage n’est nullement utile, la durée et le récit du film ne l'exigeant absolument pas. Ce sont d’agréables moments, une fois de plus servis par la partition de Legrand, mais totalement dispensables tant leur importance s’avère limitée, sauf peut-être à découper le film en deux parties bien distinctes : tout d’abord le huis-clos à l'intérieur du sous-marin et ensuite l’aventure sur la banquise. Enfin, la scène finale décontenance quelque peu : l’affrontement impressionnant tant espéré entre les deux commandos (américain et soviétique) n’ayant finalement lieu que de manière très limitée. Cela dit, le suspense largement entretenu, la tension finale mue par l’urgence de la situation et la découverte du traître sont autant d’éléments qui suffisent à nous maintenir en haleine tout le long de ce spectacle et à éviter la déception ; et il faut garder à l'esprit que le film cherche avant tout à rester réaliste autant que possible (autant qu’Hollywood le permet bien sûr). Les effets spéciaux, eux, sont dans l’ensemble très réussi, (surtout pour l’époque, tenant la dragée haute à un épisode de James bond, offrant avec brio trucages optiques, plans d’extérieurs et en studios mais, et c’est bien dommage, certaines séquences subissent le lourd poids des ans : le vol des avions de chasse soviétiques trop évident au niveau des transparences, la banquise donnant parfois une trop sérieuse impression de tournage en studio (malgré les averses de neiges et autres grands vents qui donnent de l’allure à un ensemble tout de même fort travaillé). Enfin, et voila certainement l’élément le plus gênant, celui sans lequel nous tiendrions probablement un très grand film : la froideur de l’ensemble. Les personnages sont très bien campés, mais en aucune façon l’on ne s’attache à qui que ce soit. La trop présente rigueur formelle de l’ensemble, bien que l’esthétique soit ici très importante, empêche de regarder le film avec une réelle passion. C’est froid, et la patte du cinéaste n'est pas suffisamment reconnaissable. Voila qui n'est pas vraiment nouveau chez John Sturges, le cas s’étant déjà présenté pour La Grande évasion par exemple (excellent, mais trop formel lui aussi, trop froid). Est-ce en ce cas de la sobriété ou bien de la froideur ? Il semble en tout cas que, bien qu'en grande forme, le John Sturges des années 1950, c'est à dire sec, allant à l'essentiel et attaché à ses personnages, ait disparu.

Destination Zebra, station polaire reste un excellent divertissement, un film important, à défaut d’être un chef-d’œuvre. Sans cette froideur inhérente au film et cette abondance de palabres, non inutiles mais compliquées, nous tenions assurément un beau morceau de cinéma. Amputé de certaines qualités non négligeables, Destination Zebra demeure cependant un classique du genre, visuellement éblouissant (on ne le dira jamais assez), au récit inattaquable, magnifié par une musique méritant tous les superlatifs, et parfaitement mis en image par un cinéaste au professionnalisme légendaire qui en profite au passage pour nous offrir un casting attendu mais jouissif. Un excellent film posant un regard plutôt efficace sur son époque.

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La fiche IMDb du film

Par Julien Léonard - le 4 février 2006