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Critique de film
Le film
Affiche du film

Description d'un combat

L'histoire

Douze ans après la fondation de l'Etat d'Israël, Chris Marker filme et commente sa visite du pays.

Analyse et critique

Description d’un combat devait initialement sortir sous le titre Lettre de Tel-Aviv (comme une prolongation au Moyen-Orient de la Lettre de Sibérie). Le changement opéré est opportun, le film ne se déroulant pas que dans cette ville limitrophe d’une frontière bien gardée. Jérusalem, Haïfa, Nazareth, le Néguev… Marker se déplace, cartographie un jeune pays à la mythologie ancienne (les références bibliques, souvent dérivées de parallèles délibérément anecdotiques abondent dans le commentaire). Cinéaste globe-trotter, voyageur curieux prolongeant par ses documentaires son travail de directeur à la collection « Petite Planète » aux Editions du Seuil, il répond ici à une commande/proposition du couple Van Leer, à la condition de garder son indépendance au tournage et montage : « Chris a accepté de réaliser un film pour nous mais avec la condition d’être libre et de faire ce qu’il voulait et qu’on ne lui impose pas ce qu’il devait filmer. Il m’a donné seulement la possibilité de lire son scénario. Pas Wim, seulement moi ! (…) J’apportais des chats à Chris (rires) et tout ce dont il avait besoin pour son film, comme une assistante. Je me souviens d’un évènement, quand il a tourné à Eilat où il n’y avait rien. L’hôtel était une petite maison de deux étages, avec quatre chambres… il dit dans le film qu’il avait l’inquiétude que cet endroit devienne comme Miami Beach : c’est un peu ce qui est arrivé ! Il était visionnaire sur ce qu’Israël allait devenir. » (Lia Van Leer (1))

Aux spectateurs de l’ère Netanyahou le titre a de quoi laisser craindre le pire. Mais de quel combat Marker entend-il exactement parler ? Le carton introductif de nous y préparer : « Nation élue, nation errante, nation martyre, nation ressuscitée, Israël a connu le combat sous toutes ses formes. Il en découvre aujourd’hui une nouvelle – le combat qu’un jeune Etat plein de forces doit mener contre lui-même pour rester fidèle, dans la victoire, à ce qui fut sa gloire dans l’oppression. » La problématique du cinéaste est le devenir du socialisme en Israël, sur laquelle, douze ans après la fondation de cet Etat sur la base d’accords flous avec la Grande-Bretagne, il ne semble déjà pas se faire grandes illusions. Le film est inscrit dans la démarche des jeunes metteurs en scènes de la Rive Gauche, accompagnant de leurs caméras les émancipations nationales et gestes de décolonisation. Les statues meurent aussi que Marker co-réalise avec Resnais, Varda (saluée ici par un plan clin d’œil sur l’échoppe d’un salon de beauté) se rendant à Cuba ou aux meetings des Black Panthers, Jean Vilar en aîné inspirant, qui met ici sa voix au service du commentaire rédigé par le cinéaste. Celui-ci apparaissant quant à lui parfois à l’image : donnant une photographie d’eux à des habitants de Jérusalem, conversant avec une Arabe, chez elle, au sujet des conditions de vie de la famille qu’elle élève seule.

Par quel bout prendre Description d’un combat ? Ses thématiques graves ou observations délicieusement dérisoires ? Ses considérations géopolitiques ou son compte-rendu bienveillant des coutumes ? Chez Marker, les deux s’entremêlent, du détail naît le commentaire général, des idées, il retourne, par le sens du cadrage et du montage, au concret dans ce qu’il a d’étonnant, d’irréductible aux théories préconçues. « Détail qui tue » pour ce qu’il choisit de filmer, invasion du ludisme pour les juxtapositions révélatrices. Ce monsieur Klein donnant à manger à de maigres félins semi-sauvages en les appelant en hongrois fait bon ménage avec un chapeau de cow-boy et le mural figurant une entraîneuse de saloon, rendant saillants la dimension western que le film donne à l’aventure Israélienne. Les objets du boom économique, en vente dans les vitrines (« Israël a ses David, mais également ses philistins »), cohabitent avec les plages, les marches costumées… et les habitants orthodoxes de la capitale, ostracisés, perçus comme n’étant pas sortis du ghetto, témoignages d’une oppression millénaire à l’origine de cette reconquête (« en dépit du bon sens, de l’Histoire »). Qui eux-mêmes répondent aux délibérations du kibboutz, institution victime de son succès (on recrute moins en temps d’entraînement que de conflit), tentative de socialisme nationaliste, utopie à l’interne, coupée à la fois de l’internationalisme et des habitants bourgeois de la Terre Promise. Marker observe avec une sympathie amusée un débat à main levée, court-circuité par le niet catégorique d’une tricoteuse, refusant de voir son mari, Uri, être séparé d’elle… « sans doute suite à un fâcheux précédent biblique ». 

Minorité Arabe, enfin « celle qui donne mauvaise conscience aux meilleurs de ce pays », le film pointant un modèle plus global de cohabitation dans les classes populaires par une coopérative, gérée à Nazareth par un père catholique, employant et des Juifs et des Arabes. Et cette béance qui hante le film, l’habite sans se voir mentionnée : les territoires Palestiniens. Il se peut que l’escalade de mesures répressives menées par l’Etat d’Israël soient pour quelque chose dans la gêne de Marker vis-à-vis de ce film. Lui qui fit tout son possible pour en limiter la visibilité de son vivant et salua, voire encouragea, sa reprise contestatrice et désabusée par Dan Geva en 2006 (le nombre de questionnements sur l’avenir de jeunes portraiturés dans l’original appelaient idéalement à une suite sur le ton du « que sont-ils devenus ? »). Il se peut aussi qu’il en ait simplement été insatisfait sur le plan de l’exécution - ou que les deux motifs se soient mélangés à ses yeux : « Personne ne fait grief à Cocteau de ne pas avoir republié La Lampe d’Aladin, ni à Zelimski d’avoir mis au rencart sa première symphonie après une seule exécution… On a le droit d’apprendre, il n’est pas indispensable d’étaler les étapes de son apprentissage. Même si –et c’est la seule chose que j’espère encore- on n’a jamais fini d’apprendre. » (C.M., 1998) (2)                             

On peut donc prendre Description d’un combat par deux lorgnettes opposées : ou ne pas le trouver suffisamment critique, ou saluer son ouverture d’esprit (le cinéaste sait regarder ceux que le point de vue touristique n’envisage que comme matière au pittoresque) ; ou le considérer d’une étonnante prescience sur la tournure socio-politique du pays, ou regretter le non-dit qui est à son centre. Il est une autre vérité douloureuse que le film ne contourne pas, différant cruellement son évocation : la diaspora suivant la Shoah, la fuite d’une Europe persécutrice vers un foyer protecteur, le trauma de n’avoir été voulus par personne, maltraités des peuples ayant leur lieu national. Ce ne sont plus les images du présent que le documentaire convoque, mais les archives de l’exil, des galères d’infortune quittant le Vieux Continent par la Méditerranée, comme d’autres aujourd’hui viennent s’y échouer en sens inverse. De ce drame fondateur, Marker ne tire pas un commentaire versant dans la démagogie de l’excuse systématique des politiques qui s’en suivraient, mais au contraire le rappel d’une responsabilité accrue. Ce qu’il désigne comme l’injustice de ne pouvoir être, comme les autres nations, aveuglément injuste. Par son portrait impressionniste, tour à tour inquiété et facétieux, il désigne une faille, en partie explicatrice de l’attitude d’Israël face à ses voisins : les grandes inégalités observables en son sein, entre membres du même pays. « L’injustice pèse en Israël peut-être plus que partout ailleurs, car cette terre est elle-même la rançon de l’injustice. »



(1) in Booklet Tamasa
(2) Ibid.
                           

DANS LES SALLES

DESCRIPTION D'UN COMBAT

DISTRIBUTEUR : TAMASA
DATE DE SORTIE : 22 FEVRIER 2017

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Par Jean Gavril Sluka - le 22 février 2017